Le Journal d un philosophe
88 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Le Journal d'un philosophe , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
88 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Extrait : "Tantôt, au Club, en causant avant le dîner, Barentin m'a dit en riant: — Vous devez écrire vos mémoires, vous Villiers-Neaufle?... Et comme je protestais: — Eh ! je ne dis pas que vous écrivez vos mémoires pour en faire un livre... mais je suis certain que tous les soirs vous vous racontez à vous-même ce que vous avez fait, ce que vous avez vu... que vous jugez les gens que vous rencontrez... que vous appréciez ceci ou cela?..." À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN : Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants : Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin. Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 22
EAN13 9782335067170
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0006€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

EAN : 9782335067170

 
©Ligaran 2015

Paris, I er  juillet 1892.
Tantôt, au Club, en causant avant le dîner, Barentin m’a dit en riant :
– Vous devez écrire vos mémoires, vous, Villiers-Neaufle ?…
Et comme je protestais :
– Eh ! je ne dis pas que vous écrivez vos mémoires pour en faire un livre… mais je suis certain que tous les soirs vous vous racontez à vous-même ce que vous avez fait, ce que vous avez vu… que vous jugez les gens que vous rencontrez… que vous appréciez ceci ou cela ?… – Non, pas du tout, je vous assure…
– Eh bien ! vous avez tort !… Mêlé comme vous l’êtes aux choses politiques, littéraires et mondaines, écrivant comme vous écrivez, ils seraient intéressants, vos mémoires… Je sais bien que vous êtes très occupé par des travaux sérieux et délicats, mais il faut si peu de temps pour raconter beaucoup de petits faits… Ça reste, on relit ça et ça m’amuse… Voyez Saint-Simon, il n’a pas fait autre chose… D’ailleurs je suis sûr que, dans ce moment-ci, vous me faites monter à l’arbre, et qu’il y a beau temps que vous les écrivez, vos mémoires ?…
Barentin se trompait, mais il m’a donné (involontairement sans aucun doute,) un bon conseil. Je vais écrire, non pas des mémoires peut-être, mais des souvenirs… Je les écrirai pour moi seul. Je tacherai d’être moi franchement, sincèrement moi, car c’est le seul instant de ma vie où je pourrai être tel, et encore, le pourrai-je ? Parviendrai-je à me départir de certaines réserves inhérentes à ma nature ?…

Je suis né en mai 1845, à dix heures du matin, de Jacques-François-Honoré marquis de Villiers-Neaufle, et d’Ernestine-Yolande-Joséphine de Laubardemont, dont je suis l’enfant unique. J’ai fait de très bonnes études, et, sans être un colosse, je me porte généralement bien. J’ai l’appétit régulier et l’humeur égale. Mes goûts sont sains. Comme écrivain j’apprécie particulièrement M. de Bonald et, comme peintre, M. Machard. En musique, je n’ai pas de préférence. Je n’aime ni le cheval, ni l’escrime, ni la chasse, ni en général aucun exercice violent, et je déplore que le prince auquel j’ai consacré toute ma vie, prise autant les sports et les sportsmen. Je suis bien de ma personne, et j’ai assez haute mine, quoique d’aucuns me trouvent l’air un peu efféminé, (ce qui est faux et prouve que ceux-là n’ont pas le tact des nuances). Je l’ai moi, ce tact, au suprême degré. Je sais approprier l’allure, la parole, le salut, le regard même, à celui à qui je m’adresse dans l’instant. J’étais né diplomate, mais quand a sonné pour moi l’heure où l’on choisit une carrière, l’Empire était là qui me fermait la seule porte par où j’eusse consenti à passer.
J’ai épousé en 1868 Sybille-Marie-Rolande de Roncevaux. Ma femme est née en janvier 1846 Elle est belle et bien faite, distinguée et supérieurement intelligente, et je dois reconnaître que son contact m’a été profitable en tous points. Elle a su faire de notre maison un foyer aimable, intellectuel et politique, où le premier rôle a toujours été taillé et réservé pour moi. Nous n’avons pas d’enfants, nous sommes parfaitement heureux. Ma femme a aujourd’hui 40 000 livres de rentes, moi j’en ai 60, ce qui nous en fait tout juste 100. Ce n’est pas la richesse, mais c’est de quoi tenir honorablement sa place dans notre milieu. Et puis, il y a bien des petites choses qui grossissent notre revenu. Quelques affaires auxquelles je me trouve mêlé ; des placements heureux conseillés par des amis renseignés ; les bénéfices réalisés grâce aux étonnantes fluctuations de la Bourse pendant ces dernières années. Enfin, nous avons un aléa qui vient certainement doubler nos revenus réguliers. Ce soir, Rolande m’a encore appris une bonne nouvelle : une rentrée de 7 000 francs sur laquelle elle ne comptait pas. Un fermier qui ne payait pas depuis cinq ans, et qui s’est décidé à envoyer la moitié de son dû. Ma femme administre elle-même sa fortune, mes travaux littéraires et mes occupations politiques me laissant très peu de loisirs.
Il n’y a presque plus personne ici. Nous y restons pourtant jusqu’à la fin du mois. À présent, on quitte Paris très tard, et Rolande trouve que c’est encore trop tôt. Elle n’aime pas la campagne, ni même la Suisse, ou les eaux, ou la mer. Elle n’aime que Paris, et je ne saurais l’en blâmer positivement. Je ne blâme, d’ailleurs, jamais ses goûts ; je ne la heurte jamais de front. Elle est adorable, ma femme, et se montre charmante pour moi ; mais, néanmoins, je me demande parfois si elle a trouvé dans notre union tout ce qu’elle s’attendait à y trouver. Je crains qu’elle n’ait cru avec trop de ferveur à la rapidité d’une carrière politique qui – comme dit Barentin – après avoir fait un merveilleux départ, a dérobé au premier tournant. Je suis sûr qu’elle m’en veut au fond, tout au fond d’elle-même, de cet arrêt qu’elle n’avait pas prévu. Elle doit se répéter sans cesse qu’à ma place elle eût réussi où j’ai échoué, et elle regrette – j’en suis sûr – de ne pas être « l’homme ». Je lui laisse, en dédommagement de ses illusions perdues – ou à peu près – une liberté absolue, de laquelle elle n’abuse pas, étant une personne d’un tact exquis. Jamais, depuis que nous sommes mariés, elle n’a eu un soupçon de flirt, ni une allure équivoque avec qui que ce fût. On nous cite – grâce à sa tenue – comme le modèle du ménage correct et, dans la famille, on nous croit très unis.
Très unis ?… Ne le sommes-nous pas, en effet, comme on l’entend entre gens bien élevés ?… Madame de Villiers-Neaufle est heureuse de mes succès d’orateur et d’écrivain ; moi, je suis flatté de voir l’effet produit par son élégance et sa beauté très réelle encore. L’un de nous est à l’autre ce que l’autre veut qu’il lui soit.
Je suis, d’ailleurs, un mari modèle, et cela, je dois l’avouer, parce que je trouve l’infidélité chose risquée et encombrante dans ma situation d’homme en vue et d’homme occupé. Je ne prétends pas affirmer que depuis mon mariage… cela, non !… Mais enfin, les occasions n’ont pas été cherchées, ni même saisies quand elles passaient à portée. J’ai vécu beaucoup seul avec mes travaux et mes livres, et je m’en suis fort bien trouvé.
Et, à propos de vivre seul, je me tâte pour savoir si j’irai ou n’irai pas demain à Saint-Germain avec les Tripoly ? Rolande vient de me dire qu’ils nous offrent deux places dans leur mail. Elle, elle ira sûrement ; il me semble que cela doit suffire. C’est qu’ils sont un peu « sur l’œil », ces excellents Tripoly ! lui surtout ; sa femme a plus de laisser-aller, plus d’entrain.
Madame Tripoly est très jeune, très belle et très charmante, mais elle manque d’autorité et ne tient à son foyer qu’un rôle de second plan. Elle n’a pas su prendre son mari qui serait pourtant, je crois, très facile à dominer si une femme intelligente voulait s’en mêler. Tripoly est un grand financier. Il m’a fait faire de merveilleuses opérations. C’est aussi un aimable homme, qui vit largement, élégamment, en grand seigneur, si j’ose ainsi dire. Chez lui, la mesquinerie accoutumée de la race est combattue par cet amour du faste qui est le propre des Orientaux.
Je viens de recevoir les deux derniers volumes de Thureau-Dangin. Nous possédons à présent dans son entier cette œuvre considérable et magistrale, que l’Académie a cru de son devoir de récompenser à plusieurs reprises. Cette histoire de la monarchie de Juillet est impartiale et bien comprise et, quoi qu’en puissent penser les blagueurs et les grincheux, le jugement qui la termine est un jugement vraiment sain :
« Le gouvernement qui peut s’honorer d’avoir laissé la France en pareille position » – nous dit Thureau-Dangin – « ne doit pas, quels qu’aient pu être, d’ailleurs, ses fautes ou ses malheurs, être inquiet du jugement qui sera port

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents