En mémoire d une queue
9 pages
Français

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En mémoire d'une queue , livre ebook

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Description

Le récit d'une femme qui ne se souvient que du sexe de ses amants.





Informations

Publié par
Date de parution 24 mai 2012
Nombre de lectures 110
EAN13 9782823801712
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0007€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

couverture
Sandrine Le Coustumer

En mémoire d’une queue

12-21

Peut-on aimer un homme pour sa queue ?

 

Je crois que, lui, je l’ai aimé pour sa queue. Tout de suite, je l’ai su. Après, j’ai cherché d’autres raisons, comme si celle-ci était trop obscène pour être seulement concevable. Plus tard encore, lorsque l’histoire fut terminée, j’ai retrouvé cette raison essentielle, la pure et vraie raison de mon amour pour lui. Sa queue.

Je ne sais pas vraiment ce qui m’a attirée lorsque je l’ai rencontré. Un visage veule aux contours flasques. Le corps trop épais pour son âge. Il était mou ; d’une façon presque repoussante et pourtant son regard était comme un appel.

Il n’était même pas laid – il y a des laideurs aussi fascinantes que la beauté –, non, il avait même été un jeune homme très séduisant, mais, petit à petit, son visage et son corps s’étaient imprégnés de sa nature profonde. Et le travail du caractère continuait à façonner sa personne tout entière, agissant tel un révélateur.

Je me souviens avoir connu un moment de panique quand je dus me rendre à l’évidence de mon désir pour lui. « Je ne sais pas ce qui m’arrive, je suis attirée et je ne comprends pas pourquoi… ? », voilà l’aveu que j’osais à peine formuler. Le gras m’a toujours inspiré un dégoût quasi obsessionnel. Qu’il s’agisse de nourritures ou de formes humaines, j’appliquais presque systématiquement une sorte d’esthétique de la maigreur. J’aimais les corps osseux, les visages émaciés. Alors cette attraction irrésistible pour ce corps trop lourd, cette chair dans laquelle les doigts devaient s’enfoncer, me semblait incompréhensible, et pour tout dire effrayante !

 

J’ai aimé le regard qu’il posait sur moi. L’assurance défiante qu’il y mettait m’intriguait. Ce que j’ai dû percevoir, au-delà de l’aspect rebutant, se trouvait là, concentré dans son regard. Cette façon de me dire « J’ai quelque chose qui va te plaire… ». Et s’il est vrai que notre visage porte les stigmates de ce que nous sommes, sa belle queue était là, emplissait ses yeux, sa bouche, ses joues, son front, son menton… Comme si déjà, pour moi, il n’avait été que ça, une queue.

 

La première nuit, je ne remarquai pas l’objet. Il était trop occupé à dissimuler son corps. Ses hésitations étaient en fait un manque de confiance envers sa capacité à séduire. Je l’emmenai sur mon lit. Il mit une éternité avant de m’embrasser. Je crois qu’il avait peur. Peur d’un refus ? Ou peut-être conscience que ce qu’il allait dévoiler pouvait engendrer le dégoût. C’est moi qui dus poser mes lèvres sur les siennes afin de lui donner le signal. Et même à ce moment, il ne fut pas tout à fait sûr d’être autorisé à aller plus loin. D’impatience, je finis de me déshabiller seule. Il fallut encore laisser beaucoup de temps s’écouler avant qu’il vienne me rejoindre sous les draps, et alors il éteignit la lumière.

Il voulut voir mon visage pendant que nous faisions l’amour. La flamme de son briquet éclaira un instant nos corps. Je vis ce ventre énorme – du moins me parut-il énorme – au-dessus de moi et j’eus l’impression anachronique d’être aux prises avec un bouddha. Ce corps débordait du mien à tel point qu’il aurait pu entièrement me recouvrir, m’écraser, m’étouffer. J’eus la sensation étrange que quelque chose se passait en dehors de moi, un acte auquel je ne participais pas vraiment, dont j’étais la spectatrice étonnée et, tout à la fois, en proie au dégoût.

 

Le lendemain matin, il répétait sans fin « Pourquoi moi ?? », avec dans la voix cette reconnaissance de ceux à qui on a donné une chose à laquelle ils n’avaient pas droit. Comme si je venais de lui faire une sorte de grâce. J’ai toujours éprouvé un certain mépris pour ces hommes qui, après la première nuit d’amour, sont pleins de reconnaissance envers la femme qui se serait donnée à eux. Ne peuvent-ils seulement imaginer qu’il ne s’agit pas d’un don, mais d’un acte vécu comme une communion ? Si la femme cède, c’est à son désir, et non à leurs petites manipulations souvent si évidentes.

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