Les beaux simulacres
84 pages
Français

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Les beaux simulacres , livre ebook

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Description

"Je suis un manipulateur de sentiments, un escroc des coeurs et je suis payé pour cela. Je n'ai pas honte : si le prix de la vérité est le malheur, alors mentons, trichons, fraudons. Je fais un enfant dans le dos du destin et je rectifie les erreurs. Vous avez besoin de mes services ? Une tierce personne à secourir ? Combler la solitude d'un ami ? Entrez dans le jeu et mettez les masques. Je suis Arlequin, Polichinelle, Scapin, Pantalone et tous les autres à la fois. Laissez entrer l'usurpateur. Laissez venir à vous l'artiste."

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 octobre 2010
Nombre de lectures 312
EAN13 9782296705609
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0450€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Les beaux simulacres
Frédéric OLIVIER


Les beaux simulacres

Théâtre
© L’HARMATTAN, 2010
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-12674-9
EAN : 9782296126749

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
Personnages
Scène 1 :
BARBARA GRANT : vieille actrice
LISE BAILLET : jeune femme
Scène 2 :
ALAIN, LIO, CLAUDE, MOSS,
ROSY : les amis quinquagénaires
JUDITH : jeune femme
Scène 3 :
ANNE : la mère, la cinquantaine passée
OLIVIA : la fille, trentenaire
ARMAND : le père, la soixantaine
Scène 4 :
EMMA, BABETH, LOUISE : les sœurs (vingt ans)
AUDE : la colocataire des sœurs (vingt-cinq ans)
LE PERE : assez âgé
et L’HOMME
Les beaux simulacres
Scène 1
Dans la loge de l’artiste Bérénice Grant. Un lieu impersonnel, aucune photographie, des costumes sur un cintre, deux chaises. L’actrice vieillissante se démaquille devant la glace. Ses gestes sont mécaniques. Elle ne s’attarde pas à une quelconque introspection narcissique. On frappe timidement à la porte.
BARBARA GRANT (ronchonnant). Oui ?
La porte s’ouvre lentement et la tête d’une jeune femme hésitante apparaît.
LA JEUNE FEMME (faiblement ). Lise Baillet, journaliste au Public Presse. Nous avions rendez-vous après la…
BARBARA GRANT (l’interrompant sèchement). C’est bon, entrez.
La jeune journaliste entre et reste plantée au milieu de la loge. Quelques secondes de silence. Barbara Grant continue à se démaquiller sans accorder le moindre intérêt à la journaliste.
LISE BAILLET (hésitante). C’est un honneur…
BARBARA GRANT (désagréable). Libre à vous de m’interviewer debout, mais ne comptez pas sur moi pour me lever. Sinon vous pouvez poser votre…vous asseoir.
LISE BAILLET . Merci. C’est un honneur pour moi de…
BARBARA GRANT (la coupe d’une voix sévère ). Pour moi aussi !
LISE BAILLET (s’asseyant sur une chaise, très mal à l’aise. Elle consulte ses notes, tremblantes. Puis parle d’une manière mécanique). Vous ne donnez plus d’interview depuis des années et je ressens comme un privilège ma présence devant vous.
BARBARA GRANT (toujours agressive ). Ma chère demoiselle, mettons les choses au point immédiatement. Je ne donne plus d’interview depuis des années car on ne me demande plus d’interview depuis des années. Alors cessons les formules d’ultra-politesse. La minute diplomatique est passée, débutons l’interrogatoire !
La vieille actrice fixe la jeune journaliste, qui toujours tremblante, consulte son bloc-notes.
LISE BAILLET (veut réagir mais parle sans conviction ). Cinquante ans de métier et toujours la même flamme, le même enthousiasme sur scène, une énergie…
BARBARA GRANT ( riant ). Vous avez vu tout cela ?
LISE BAILLET ( décontenancée ). Pardon ?
BARBARA GRANT . L’énergie, la flamme, le désespoir…
LISE BAILLET . Je n’ai pas dit désespoir.
BARBARA GRANT (riant toujours). Alors rajoutez-le !
Lise Baillet est totalement abasourdie . Elle cherche du secours dans ses notes .
LISE BAILLET . Qu’est-ce qui vous fait tenir ?
BARBARA GRANT (soudainement sérieuse). La peur. Une incommensurable peur.
LISE BAILLET (timidement). Développez…
BARBARA GRANT (elle se reprend). Vous êtes journaliste mon petit, vous broderez.
Quelques secondes de silence. L’atmosphère est glaciale.
LISE BAILLET ( hésitante ). Votre parcours artistique a été assez chaotique depuis vos débuts et les critiques parfois sévères…
BARBARA GRANT . Je vous arrête tout de suite. Mon parcours « artistique » a été d’une régularité exceptionnelle (ironique) : j’ai toujours joué des rôles minables dans des pièces médiocres et les critiques, celles qui ont daigné s’intéresser à… comment dites-vous… ce parcours artistique, ont été unanimes au fil du temps : Barbara Grant déçoit, Barbara Grant cabotine, Barbara Grant affligeante, Barbara Grant indigente et la liste n’est pas exhaustive.
LISE BAILLET . Peut-être n’ont-ils pas compris votre jeu ?
BARBARA GRANT . Elle est amusante. Vous l’avez compris mon jeu, vous ? Je veux dire ce soir ?
LISE BAILLET (perdue ). Je, oui bien sûr.
BARBARA GRANT (toujours ironique ). Formidable. Alors nous en reparlerons un autre jour. Cela servira à mon auto-psychanalyse.
Intermède de Barbara Grant seule.
BARBARA GRANT . Je suis Barbara Grant, et cette pseudo-journaliste m’emmerde. Je veux me reposer, je veux du silence. Oublier Barbara Grant, ce théâtre et ce maquillage qui me colle encore à la peau. Je n’ai rien à dire, je n’ai rien à penser. Je veux être seule. J’ai tout dit sur scène bordel. J’ai tout dit. J’avais plusieurs visages, plusieurs masques, au choix. Je ne suis plus Barbara Grant là. Sa gentillesse me glace, je ne veux pas l’aumône. Pars petite, ne te sers pas de moi. Tu trouveras d’autres cobayes. D’autres fantômes qui se raccrocheront à des papiers dans la presse. Pour ma part, je n’en veux pas. Cela est vain. Ne nous fâchons pas, petite, laisse la vieille se reposer. Le silence est ma récompense. Le silence, seul.
Fin de l’intermède.
LISE BAILLET (avec assurance, mais sans âme). J’ai aimé votre jeu, votre présence dans ce théâtre et sur ce plateau. Votre présence, oui. On aurait dit que ce lieu, cet espace vous appartenait comme un lien indicible entre vous et lui. Chaque mot était écho, une résonance insondable pour nous spectateurs, mais bien réel. La scission entre le spectateur et le spectacle est la juste parabole de la pièce traitée. C’est l’échec du spectateur qui est la réussite de la pièce.
BARBARA GRANT (s’agace). Taisez-vous et cessez de vous triturer les neurones !
LISE BAILLET (veut s’affirmer ). Je ne suis qu’une journaliste débutante mais depuis toute petite je fréquente les salles de théâtre.
BARBARA GRANT . Alors ne devenez pas comme ces journalistes dont la critique ne vaut que par le style : édulcorons la forme et oublions le fond.
LISE BAILLET . Alors admettez que l’échec de…
BARBARA GRANT (en colère, elle se lève et se place devant Lise qui est toute petite sur sa chaise ). Vous me faites chier ! Je ne vais pas sauter de joie parce que les gens ont rejeté le spectacle ! « Chers amis, détestez la pièce, ah oui sifflez encore et encore et haïssez-moi de plus belle : c’est ma réussite ! ». Allez, terminons cet interview, je suis fatiguée. (Elle se rassoit )
LISE BAILLET (en vain ). Je n’ai plus de questions. Juste vous dire que j’aime votre jeu et que si les critiques avaient été plus « généreux » avec vous, vous auriez obtenu des rôles à la mesure de votre talent.
BARBARA GRANT ( excédée, elle se lève et balance sa chaise au sol ). Petite conne !
LISE BAILLET (elle a peur et se lève aussi face à Barbara ). Pardon ?
BARBARA GRANT (méchante, elle vocifère). Petite conne. Tout juste sortie du cul de sa mère et ça baragouine des compliments sans en connaître les sens. Mais je les emmerde les critiques, à la hauteur de leur dégoût pour ma personne. Qu’ils m’aient détestée a été la plus grande chance pour moi ! Je me suis nourri de leur haine, de leur méchanceté, de l’âpreté de leurs papiers. C’est quand je rentrais seule chez moi au milieu de la nuit, à me demander pourquoi continuer et continuer quoi ? C’est quand je rentrais seule chez moi et que je relisais un torchon de ces scribouillards que j’avais la réponse. « Chaque insulte est un pas en avant ». Je n’ai pas eu mon parterre de fans, je n’ai pas eu mon lot d’amants et je n’ai pas eu les honneurs de ma profession. Chaque regard méprisant m’a apporté mon flux d’adrénaline, chaque non-rappel l’envie de me battre encore, chaque indifférence la certitude d’avoir raison. Si j’avais eu tous les égards dus à mon talent, comme vous dites, peut-être n’aurais-je jamais trouvé la force de me battre : le bonheur n’est pas un combat, mais la recherche du bonheur. Alors maintenant que les portes seront bientôt définitivement fermées, gardez vos compliments. Laissez-moi terminer ma route dignement. Sortez.

La vieille actrice est rouge de colère. Lise Baillet baisse le regard et très lentement se dirige vers la sortie. Elle se tourne de nouveau vers Barbara Grant, avec l’intention de répliquer.
Scène 2
Autour d’une table dans un restaurant : Rosy et Moss, Lio et Claude. Ils parlent à voix basse. Arrivent Judith et Alain, main dans la main et sourire large. A leur arrivée, les deux autres couples se lèvent.
ALAIN ( fier ). Mes chers amis, enfin je vous présente la seule et unique Judith.
Un léger trouble. Les regards

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