L Archet et le lutrin
456 pages
Français

L'Archet et le lutrin , livre ebook

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456 pages
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Description

Amour est la douceur même : quel amour ? Celui qui saisit tout, sans fin ni commencement. S'il y a eu, en poésie, séparation entre amour profane et sentiment religieux, n'est-ce pas parce qu'il y avait eu auparavant un cheminement commun ? Quelques poètes refusent sa forme terrestre à l'amour pur. C'est la trace de la notion d'amour pur dans les poésies des troubadours que Suzanne Thiolier-Méjean étudie ici.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 02 septembre 2008
Nombre de lectures 265
EAN13 9782296204591
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

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Extrait

Ceux quiaiment doivent servir amour de bon gré,
car l’amour n’est pas un péché mais une vertu
qui rend bons les méchants et les bons meilleurs
et qui permet à l’homme de faire toujours le bien.

Guilhem de Montanhagol

LE TROUBADOURPERDIGON

(d’après saminiature dums.I,Paris,B.n.F., fr. 854)

INTRODUCTION

Amors vens tot’autra doussor:
Qualsamors ?Silhquetot perpren,
Sesfin esescomensamen,
(Amourestla douceurmême :quel amour ?Celuiquisaisit tout,sansfin ni
1
commencement) .

Cetamour total chantéparDaude de Pradasconviendraitfortbien àune
définition de lafin’amordescansos.Et pourtantDaude désignait parces vers
l’amourdivin.N’est-cepas, cependant,un même amour ?Si les troubadours
ontdonné l’amourà l’Occident,selon la formule de Denisde Rougemont,saint
Bernard de Clairvauxlui avait offert,pour sapart, l’amourabsolu.Ceque
GeorgesDuby voulutainsirésumer:

e
Ce futalors, au premier quartduXIIsiècle,que l’Occident« inventa »
l’amour.Toutà la foisl’amourmystique, celui desaintBernard, etl’amour
2
courtois, celui des troubadours .

Laséparationque certainscritiquescomme Moshé Lazar ontétablie, non
sans quelqueraison apparente, entre amour profane et sentiment religieux,
estelle aussiprofondequ’on aparfois voulule croire?Le dangern’était-ilpasde
3
confondretotalementcesentiment religieuxetl’amourmystique?Il est
évident qu’il faut raison garderet qu’on doitconsidérerl’ensemble ducorpus
des troubadours, etnonun choixdequelquescansos.Faut-il, du reste,rappeler
que,si Moshé Lazar propose,parexemple,une lecture érotique de l’amor de
lonhde Jaufre Rudel, YvesLefèvre,unpeu plus tard,ydéchiffrera aucontraire
4
une intentionspirituelle?
Mais,s’ilya eu, enpoésie, cetteséparation entre amour profane et
amour religieux, n’est-cepas plutôt parcequ’ilyavaiteuauparavant un
cheminementcommun?On nepeut séparer que cequi était uni !

Pourcertains troubadours, etdèslesdébuts, l’affirmation de la foi, la
prière deviennentdesconstituantsde leurs poésies.Cette foi affirmée estissue

1
Édition Francisco J. Oroz Arizcuren,La lírica religiosa en la literatura provenzal antigua,
Pampelune, 1972, Daude de Pradas inQui finamen, str. I, v.6-11,p. 118(nous traduisons).
2
Art et société auMoyen Âge, Paris, Éd.duSeuil,1997,p.50-51
3
Moshé Lazar,Amour courtois et fin’amors, Paris, Klincksieck,1964,p.83-84.
4
Ibid.,p. 113,132 ;YvesLefèvre, « Jaufre Rudel,professeurde morale »,Annales du Midi,t. 78,
1966,p.415-422 ;Id., « L’Amors de terra lonhdanadansleschansonsde Jaufre Rudel »,
Mélanges RitaLejeune, Liège,1969,p. 185-196 ;Id., « Jaufre Rudel et son amourde loin »,
Mélanges PierreLe Gentil, Paris, Sedes,1973,p.461-477.

L’ARCHET ET LE LUTRIN

directementde l’enseignementdesmoinesetdesclercs ;elles’exprime dans
descansossouventassez savanteset quise font parfoisl’échodesgrands
débatsd’idées.C’estnotammentle casautourdudogme de la Trinité.De
même, le culte marial,quiserépand danslasphère laïque, connaît unvrai
e
succès poétique auXIIIsiècle.
Quelques poètes, allantjusqu’auboutde l’idée d’amour pur (c’estlesens
exactdefin’amor),refusent sa formeterrestre etchoisissentde chanterle
renoncementà la folie dumondepourleseul amourde Dieu.Tousn’ont pas
suivi cettevoie, maisceux qui l’ontfait ont-ils seulement pressentique cette
fin’amorétaitnée d’un momentde l’Histoire et que l’Histoire allaitl’anéantir ?
Cela, nonseulementà cause de la croisade contre lesAlbigeois, mais parceque,
née à la cour seigneuriale, lafin’amorensubissaitl’effacementau profitde la
vieurbaine etmarchande,protectrice d’autresformeslittéraires.

Alors, conduire cettefin’amorsurlescheminsescarpésde l’amourmystique
était sansdoutepoureux une manière de la maintenirenvie;horsde la cour
seigneurialeoùelles’étaitdéveloppée, mais qui estdésormaisentrée en
décadence, lapoésiesurvitdansle cadreurbain, dansl’universdesmarchands
lettrésetdévots, de ceux qui fondèrentlesPuysdédiésà Marie.
Opérant unretouraux sources, cellesde l’enseignementdesgrands
e e
théologiensdesXI etXIIsiècles, André le Chapelain dira : « Amorest
5
passio».Avec Matfre Ermengaud etRaymond Lulle,Ramon lo Foll, il a
clairementaffirméqu’il fallait, nonpoint renier totalementlapoésie d’amour,
maisen faireune étapeverslapoésiereligieuse.Pour tous, c’estl’amour,
principe même de la Création,quiunifie etexplique l’œuvre de chacun.

On a beaucoupétudié lafin’amordes troubadoursen elle-mêmeoudans son
contexte féodal, maislerôle,pourtantdéterminant, de lascholan’apas toujours
étéprisen compte.Il est vraique latâche estdifficile etles sources peu
nombreuses.Mais on nepeut s’interroger surla nature de « l’amour pur» en
ignorantla formation intellectuelle des poètes.
e
Orla conception de l’amour selon les théologiensduXIsiècle apu
contribuerenpartie à l’élaboration de lafin’amordes troubadours.S’il est vrai
qu’on nesait pasgrand-chose de l’instruction des poètes, nepeut-on demander
quelquesélémentsderéponse aux pédagogues, anciens oucontemporains,qui
œuvraientà l’ombre de laschola?Etcomment retrouvercetenseignement
dansles poésiesdes troubadours ?Cequ’onsaitde leurcarrière nousa fourni

5
AlfredKarnein, «Amor est Passio.A definitionof CourtlyLove?», inCourt and Poet(Glyn S.
e
Burgess, ed.),3Congrèsde l’International CourtlyLiterature Society, FrancisCairns, Liverpool,
1980,p. 215-221.

8

INTRODUCTION

quelques pistes, ainsi que l’étude de leur vision du monde dans lescansoset la
place qu’ils y accordent aux clercs.
C’estaucontactde laschola, école cathédraleouécoleurbaine,voire à
l’université,que les poètes ont pu recevoir un enseignementfondésurlecultus
virtutumpourl’adapter, àtraversleurs poésies, aumondeseigneurial.Et s’ils
avaient quelqueteinture de littérature classique, à commencer parlapratique
d’Ovide, le maître de l’amour, comment pouvaient-ilsbien l’avoir reçuesi ce
n’est, d’une façonoud’une autre, grâce à cetteschola?

Les troubadours ont prônéune moralepratique fondéesur un enseignement
chrétienqui, certes, nese confondpas toujoursavec la moralereligieuse :
l’universde la cour,sescontrainteset sesexcèsconduisentà des
aménagements, à des tolérancesde lapartmême desclercs.Cependant, le
cultusvirtutumexplique en grandepartie leur vision dumonde.Une conduite
devie apparaîtdansleurs poésies, etmêmesi elle estdestinée àune courlaïque
etnonplusaucouvent, elle contientbien deséléments quisont pourtant
l’émanation d’une éducationreçuesouslatutelle de l’Église.
Et,si lepoèteseveutéducateur,s’il auntelsouci d’enseignement, le désir
detransmettreses préoccupationséthiques,si certains sontdevenusdesmaîtres
de morale, n’est-cepas qu’ilsavaientété à bonne école et s’ensouvenaient ?

Lapoésie des troubadoursestnée à la cour seigneuriale, elle en est
l’émanation.Or, c’estentre PoitouetAquitaineque de grands seigneurs,
destinésà devenirlesmécènesdes poètes,poèteseux-mêmesà l’occasion,
établirentavec l’Église desliens privilégiés.Ilseurent pour pédagoguesde
grands théologiens qui firentde l’amourlepointcentral de leurenseignement.
Celui-ci atouché, deprès oude loin,touslesintellectuelsdu temps, ceux qu’on
nomme leslitterati;commentles troubadours yauraient-ilséchappé?

Mais, entreune Histoiresouventdéfaillante,surtoutlorsqu’ils’agitdes
auteursmédiévaux, et une littérature forcémentbiaisée,pourrons-nousjamais
entrevoirlaréalité?

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PREMIÈRE PARTIE

DE L’ÉCOLE À LA COUR

« Fils, puisquevous allezauxécoles,
jevous donneune poésie etjevous prie de l'entendre.
Qui n'a ni argentni savoir n'estguère prisé,
car il n'a rien à dépenser ».

Cerverí de Girona

LEMOINE DEMONTAUDON

(d’après saminiature dums.K,Paris,B.n.F., fr. 12473)

CHAPITREI

L’ENSEIGNEMENT ET SES MAÎTRES

I- L’ÉDUCATION DES PRINCES

FULBERT DECHARTRES ETGUILLAUMEV

e
Déjà auXIsiècle, letrivium(grammaire,rhétorique etlogique)etle
quadrivium(arithmétique, astronomie, géométrie etmusique)étaientdevenus
e
lesbasesd’un enseignementidéal dûauxmaîtresbénédictins qui, duVI au
e1
XIIIsiècle, firentde leursabbayesdes«pépinièresde lettrés».Un brillant
exemple en est offert parl’abbaye duBec, fondée en1042, etdontl’éc

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