Ankara
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Petite nouvelle écrite pour un concours ayant pour sujet : l'autre.

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Publié le 24 janvier 2012
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Langue Français

Extrait

Ankara
Elle s’appelait Ankara. Elle fut la fin du commencement de ma vie.
Qu’il est difficile de se souvenir des moments passés. Un souffle, un fragment, un
flash. Les miens se résument à tellement peu de choses. Un numéro de chambre. Le nom d’un
hôtel. L’odeur d’un parfum. Avant elle, il y avait eu Jade, Noémie, Eléna, Chloé, Marie,
Sarah… et encore bien d’autres dont les noms se sont évaporés et ont rejoint la part des anges.
Qu’il est surprenant de voir le vide laissé par quelqu’un qui ne nous est que par sa présence.
Cette personne n’est rien, et ce car son essence n’aura pu envelopper notre existence. Mais
elle est également un tout, une éternité de temps passé. Heuresement un beau jour il y eu
Ankara.
Une femme, c’est comme une fleur. Tout d’abord on l’admire, mais l’on a également
peur de la voir s’envoler. Puis après on se rapproche d’elle, on s’exalte de son parfum si
délicate, et on s’enthousiasme à l’idée de pouvoir la caresser. Puis le moment du premier
touché apparait : si doux, si affectueux, si pur. Or, à peine celui-ci est amorcé que le mal est
fait. La prison de nos désirs s’enferme autour de son être, on veut qu’elle soit nôtre, on veut
exiter à ses yeux. Qu’elle soit brune, blonde, châtain ou rousse, le mécanisme est le même,
une fois que la première caresse, la première parole, ou le premier baisé est effectué, sa liberté
nous devient notre enfermement. Peur de la perdre, peur qu’elle s’envole, peur qu’elle se fane.
Elle devient alors enchainée à l’enchainement de nos désirs. En effet, ces derniers guidaient
ma vie il y a longtemps maintenant.
C’était un lundi de septembre 1968. Alors que j’étais à Paris dans le cadre d’un
sommet sur le redressement social, et que je me promenais près de la tour Eiffel, profitant
d’une après-midi de liberté, je partis à la recherche de celle qui me ferait vivre pour le reste de
la journée. Cependant, cette rencontre eu un effet qui maintenant encore, ne me la fait aimer
que plus fort. Elle fut la cause du retournement de mon existence. Me faisant passer pour un
touriste, je me hasardais à traquer ce qui serait ma moitié. Parfois cela pouvait me prendre des
heures. Cela m’amusait tellement. Cela m’excitait tellement. Ce n’est pas que j’étais difficile
ou bien que la gente féminine se faisait rare, c’est juste que je n’apercevais pas ce petit détail
qui ferait la différence. Comme toute histoire possède son élément déclencheur, j’attendais le
mien. Ce jour-ci, ce fut un nougat.
Alors que je venai de traverser trois heures d’infructueuse recherche et que 17h sonnait
à Notre Dame, je décidai d’aller prendre une collation dans les jardins bordant la dame de fer.
Croisant un vendeur ambulant, je lui achetai une poche de nougat qu’il vendait comme étant
de Montélimar. Mes gourmandises en main, je décidai d’aller m’assoir à l’ombre d’un des
chênes longeant le chemin des promeneurs. Ainsi, je pouvais me rassasier tout en continuant
d’éveiller ma faim. Commençant à détacher l’anneau d’emballage et salivant de ce substitut
de plaisir féminin, un voile rouge apparu sous mes yeux. Ce fut, c’est, et cela restera mon
Ankara.
« Puis-je en goûter un ? ». Telles furent ses premières paroles. J’aurais voulu lui dire
qu’elle pouvait tout me prendre, mais pour l’unique fois de ma vie, je ne su que répondre. Sa
brune chevelure remontée par un ruban rubis et or, ses yeux noisette mis en avant par un
maquillage vert aciduler et sa robe rose eurent raison de moi. Habituellement, je lui aurais dit
de s’assoir et je lui aurais demandé son nom, ses origines, son histoire, mais ce qui me
semblait être si ennuyant dans toute rencontre, était cette fois-ci l’objet de ma peur du
ridicule. Sa beauté, son charme, son étincelante, surpassaient l’idée que je m’étais faite d’eux.
Autant les femmes que j’avais connues m’avaient conforté dans l’idée d’un imparfait à jamais
imperfectible, Ankara, quant à elle, semblait être le miroir d’une éternelle beauté.
Difficile de reconnaitre l’amour quand on ne l’a jamais encore rencontré. Etait-ce
cette sensation de chaleur qui se propageait en moi ? Ce sentiment de n’être rien mais en
même temps d’être l’Un ? Cette peur de la déception de soi, du regard de l’être aimé, du
jugement dernier qui vous procure également la sensation d’être enfin vivant. Je ne savais qui
j’étais avant de la rencontrer. J’étais un autre. L’autre c’était moi. Sa découverte me fit
comprendre que durant quarante années, j’avais été un autre que moi, que je m’avais été
étranger. C’est par l’amour, la peur, mon regard dans le sien, mais surtout le sien sur le mien,
que mes sens me firent don de mon sens. Par elle, je savais enfin qui j’étais et qui je voulais
être. Grâce à ma rose, grâce à Ankara, je ne voulais plus être l’homme qui aimait penser à être
aimé, mais celui qui se voulait aimé d’un être aimé.
Ce qu’elle est devenue, je ne sais pas. N’ayant su quoi lui répondre, elle partit, me
gratifiant d’un sourire qui me laissa l’amertume d’une vie échouée. Peut-être s’est –elle
mariée. Peut-être a-t-elle eu des enfants. Je ne connais rien d’elle, je ne connais rien de son
histoire, ni même son nom, qui devint finalement le lieu de fabrication des nougats que
j’aurais tant aimé partager avec elle. Je sais seulement ce qu’elle m’a apporté. Grâce à elle,
j’ai commencé à vivre. Ses quelques mots furent ma renaissance. Je ne connais rien d’elle, je
ne connais rien de son histoire, elle s’appelait Ankara et elle fut la fin du commencement de
ma vie.
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