Le Roi rebelle
55 pages
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Le Roi rebelle , livre ebook

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Description

Le Roi rebelle n'a jamais régné, car il est toujours à naître. Dans ce peuple mythique qui rêvait d'atteindre l'infini en croissant et multipliant, c'est celui qui aurait rompu la loi des nombres et retrouvé l'Éden originel. Le Roi rebelle ne régnera jamais. Mais à chaque étape il rappellera l'horizon, à chaque recensement il évoquera l'unité surnuméraire qui ouvre la liste close. Aux neuf muses il préférera toujours la dixième, et aux sept merveilles, la huitième. Briseur de cadres et de certitudes, c'est l'éternel insatisfait qui, athée, n'accepterait que l'univers plus un, et qui, croyant, ne se vouerait qu'à Dieu plus un.

C'est lui qui se dessine, dans ces onze apologues (10 +1), entre les lignes du premier néant, de la deuxième voie, du troisième Testament, du quatrième roi, de la cinquième couronne, du sixième sens, de la septième face, du huitième archange, de la neuvième béatitude, de la dixième légion et de la onzième plaie. Certains d'entre nous savent où il trouvera le dernier infini, lorsque la chaîne des mains se soudera à nouveau autour du monde.

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2000
Nombre de lectures 23
EAN13 9782876233287
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0063€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Aux compagnons de route qui m’ont aidé à me maintenir entre le roi et le rebelle.
Illex victus ovatus
Dans ses commentairesAd Genesim, saint Victorien évoque ce peuple d’avant la royauté, qui avait tenté de rejoindre l’Éden en appliquant à la lettre le seul commandement que l’homme y eût reçu. En croissant et en se multipliant, il recouvrirait toute la surface terrestre jusqu’au paradis perdu : lorsqu’il y aurait des hommes sur tous les chemins et toutes les montagnes, on retrouverait nécessairement la route de l’origine. Personne alors ne savait compter, ni ce qu’était l’infini. À chaque nouveau-né, on croyait avoir atteint la limite des nombres. Et toujours quelqu’un suggé-rait : « Mais s’il naissait encore un enfant ? » Bien sûr, ils n’atteignirent jamais l’infini et ne rentrèrent jamais en Éden. Mais ils inventèrent l’arithmétique – et ce seul fait nous prouve qu’ils appartenaient à la race de Caïn, laquelle fut anéantie par le Déluge. Ce
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peuple où tous les individus, par leur statut d’Unités, étaient égaux, finit par nommer « le roi rebelle » l’enfant toujours à naître, qui les maintenait dans les frontières du fini. Roi, puisque lui seul, si leur tenta-tive aboutissait, entrerait au paradis retrouvé ; rebel-le, car lui seul pourrait s’opposer à la loi des nombres qui se confondait pour eux avec la malédiction origi-nelle. Ce roi rebelle, cette unité de plus que l’infini, ne naquit jamais, et le peuple mourut sans monarque. Mais à chaque espoir déçu de connaître l’absolu, à chaque élément surnuméraire qui brise une complé-tude, c’est lui qui se rappelle aux hommes. Malicieux, quand il chante la quatrième Grâce, la huitième mer-veille ou la dixième Muse. Plus grave, quand il reven-dique un quatrième pouvoir ou un cinquième élé-ment. Rêveur quand il cherche un troisième œil ou un sixième sens. Briseur de cadres et de certitudes, c’est l’éternel insatisfait qui, athée, n’accepterait que l’univers plus un, et qui, croyant, ne se vouerait qu’à Dieu plus un. Il m’a souvent parlé, le roi rebelle qui dort en cha-cun de nous. Quand j’étais las de marcher, il éloignait l’horizon, et n’a laissé pour mon repos que les maisons dont la porte arrière ouvrait sur la plaine.
LE PREMIER NÉANT
Dieu s’était laissé assiéger dans son temple. À l’ouest, par le portail d’Éternité aux vantaux de Vie et de Mort, il tenta de sortir. L’aveugle posté sur le par-vis sentit un souffle sur sa face. « Qu’as-tu à me mon-trer ? », implora-t-il en tendant la double sébile de ses orbites. « Rien », répondit la Voix. L’aveugle brisa le mot dans la gorge, de son bâton aux douze nœuds. Le Créateur ensanglanté se réfugia dans le saint lieu et tituba vers le sud jusqu’à la porte de Justice, avec ses deux vantaux de Rigueur et de Miséricorde. Le monarque y trônait, l’orgueil du monde dans une main et, dans l’autre, le sceptre brisé à angle droit. Il sentit brûler dans sa nuque le regard du céleste rival.
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« Qu’as-tu à me donner ? », intima celui qui, de sa senestre, gouvernait l’orbe entier des désirs et de leur apaisement. « Rien », constata l’Œil sans paupière. Le roi planta l’angle de son sceptre dans le sein gauche du Seigneur. La Présence blessée reflua en elle-même et le monde ne fut plus qu’absence. Sur l’Orient s’ouvrait la rose de Silence aux douze pétales qui mènent de la Méditation à la Contemplation. Par leurs vitraux glis-sant de la pourpre sombre au cristal hyalin, il aurait pu s’échapper sans briser un carreau. Mais derrière l’autel veillait Hiram Abif, le grand prêtre. Depuis l’aube des temps, il cherchait le mot qui commande l’ouvrage, le Verbe incarné dans le premier atome de l’Univers. Il ressentit au fond de lui passer l’impalpable Présence. « Qu’as-tu à me dire ? », mur-mura-t-il. « Rien », expira un écho perdu de lui-même. Et Hiram Abif, de sa crosse d’acacia, martela le front de Dieu et le coucha mort au fond de son attente. Perdu dans la nef déserte, il savait qu’à son tour il était Dieu et prisonnier. Il savait qu’en introduisant la mort dans le temple, il s’était condamné lui-même et qu’un autre grand prêtre exigerait un jour le Verbe interdit. Mais c’était son devoir, pour que de mort en
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mort se transmette le mot de la vie. Seul il avait com-pris que les lèvres pures de mensonge ne trahiraient pas la vérité. « Rien. » Tel était le mot créateur, le premier conçu dans la pensée divine, qui se confon-dait encore avec le néant de toute chose. Qu’aurait-il pu nommer, à l’heure où le Verbe se fit chair, sinon le vide infini et l’absence éternelle ? Mais ce souffle infime, cette syllabe échappée était déjà le scandale de l’existence et la splendeur d’un monde dans ce qui n’avait encore ni lieu, ni temps, ni nom.
LA DEUXIÈME VOIE
Lorsque le Seigneur eut achevé le ciel, la terre, les eaux et tout ce qui y vivait, il s’assit sous l’arbre de la Connaissance du Bien pour méditer sur sa Création. Il regarda l’Œuvre de ses mains et connut que tout était bien. Il sourit et ce fut le premier sou-rire. Dans le miroir des mers qui s’assoupissait sous ses pieds, il se vit et connut qu’il était bon. Dans l’eau plane, le reflet lui renvoyait un souri-re satisfait. « Qui suis-je ? » lui demanda le Seigneur. « Tu es toi et tu es le Bien », rayonna le visage ; « tu es ta Création et ta Création est bonne ; l’arbre sous lequel tu te reposes confère la science du Bien. Tout est ordre ; tout est bien. » Et Dieu se prit à rêver, et ce fut le premier soupir. Ne serait-il que cela, ce « bien » si vite enclos dans une syllabe mouillée ? N’y
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aurait-il jamais qu’une voie, du bien au bien, sans erreur ni repentir, sans question ni mystère ? « Il n’est pas bien qu’il n’y ait qu’une seule voie », prononça le Seigneur. Alors il cueillit son reflet dans l’eau et l’appela Adam. « Adam, cherche la seconde voie, lui dit-il, car je suis Dieu et le sou-verain Bien, je trône sous l’arbre de la Connaissance du Bien et rien ne peut naître en moi que de bien. » Comme guide, il lui donna le plus humble de ses anges, qui marchait tête basse en balayant la pous-sière devant les pieds du pèlerin. L’homme partit droit devant, et les montagnes qui étaient bonnes s’aplanissaient pour le laisser passer ; et les mers qui étaient bonnes se solidifiaient pour lui constituer un chemin. Et le soleil le suivit vers l’ouest pour éclairer sa route. Une femme lui donna ses habits pour supporter la fraîcheur et il s’étonna plus de la rencontre que du cadeau. N’était-il pas le pre-mier et le seul homme ? Quand il fut las d’avoir mar-ché sans que le jour se décidât à mourir, il voulut se reposer. Mais une autre femme sortit de la forêt et le soutint sous les épaules. Sous sa caresse, Adam oublia sa fatigue mais sentit tressaillir un corps qu’il connaissait trop mal. Une autre femme alors sortit du bois, vieille et laide, mais vigoureuse, et prit le relais
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pour le porter plus loin. Et de terre en terre, de muettes messagères encourageaient sa quête, désalté-rant sa soif d’eau fraîche et le réconfortant quand sa mission lui paraissait surhumaine. Quand il reconnut les abords de l’Éden, il fut sur-pris : il ne savait pas que la terre fût ronde. N’y avait-il donc pas de seconde voie, mais un infini parcours sur la même route balisée du Bien ? Au loin, déjà, il voyait Dieu, assis de dos sous l’arbre de la Connaissance du Bien. Mais quand il voulut lui par-ler, il se rendit compte que par-derrière, le Seigneur montrait une autre face, et qu’à l’arbre pendaient d’autres fruits. « Eh bien, lui demanda le Dieu postérieur, as-tu trouvé la seconde voie ? – Oui, répondit l’homme. Il suffit de tourner le dos à Dieu et de marcher dans l’autre direction. » Et il fit demi-tour, foulant de ses orteils l’empreinte de ses talons. L’envers du monde était tout neuf. Le soleil, qui obéissait à Dieu, avait poursuivi sa route dans l’unique voie qu’il connût et Adam marchait dans une nuit froide. La femme qui avait apaisé sa hargne attisait à présent sa rancune. « T’a-t-il bien eu, ton Dieu, à t’envoyer nulle part en quête de rien du tout ! » Celle qui l’avait désaltéré n’avait plus qu’un vin épais pour étourdir ses sens et
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exaspérer sa colère. La vieille lui apprit des secrets interdits qu’il vérifia, honteux, sur la jeune fille qui l’avait soutenu. Mais ses caresses ne purent réveiller l’endormie. Quant à celle qui l’avait vêtu, elle le dépouilla de ses habits et des lambeaux de son inno-cence. Aucun ange ne le protégea. Celui qui le gui-dait, le porteur de lumière, était resté derrière l’arbre, la tête haute, quand Adam s’était retourné. Il parut nu devant son juge. « Alors, Adam, as-tu trouvé la seconde voie ? – Oui, Seigneur, puisque me voilà. – Et où mène-t-elle ? » L’homme se tut, regarda l’arbre mêlé de bien et de mal, regarda le ciel qu’il désignait d’un doigt trom-peur et la terre qu’il fouillait de ses racines sour-noises. Puis il regarda Dieu comme on fixe un miroir.
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