Madeleine
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Nouvelle écrite pour un concours sur le theme du "banc public". Pour moi, ce dernier devient le père castrateur d'un fils amoureux de sa mère.

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Publié le 15 janvier 2012
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Langue Français

Extrait

Madeleines
Le premier jour je la vis sourire. Aussitôt je voulu la connaitre.
Je venais d’emménager dans le quartier bourgeois de Charleville dans le nord de la
Louisiane. De nature solitaire, et n’ayant aucune connaissance dans les alentours, je passais
la majorité de mes journées à onduler dans les parcs. De bancs publics en bancs publics, je
m’inspirais de l’univers qui m’entourait. Les arbres fruitiers me rappelaient ma Californie et la
douce Suzie, une amourette d’enfance. L’odeur des framboises et des myrtilles me
ramenaient chez mamie. Le bruit des enfants, quant à lui, m’évoquait mes amis.
Puis vint un après-midi d’été où, tandis que je venais de me soigner d’une maladie
obscure, je la vis. Elle était si belle. Pas très grande, mais des cheveux bruns interminables.
Des yeux bleus d’une si grande intensité. Il ne faisait pas tellement chaud ce jour-là mais la
robe qu’elle portait fit naitre l’été en mon cœur. Le rouge cerise présent devant moi me faisait
saliver et espérer pouvoir en gouter un jour le jus.
Je me posai à distance d’elle et passai l’après-midi à l’observer. Je m’imaginais assis
sur le banc à côté d’elle. Je m’imaginais lui raconter la vie, la joie, l’amour. Je me voyais lui
dire qu’elle était magnifique. Que ses yeux me rappelaient les lagunes. Que ses cheveux
m’évoquaient les dunes. J’aurais vendu la moitié de mes après-midis passé pour que celui-ci
dure éternellement. Cependant le temps passe, les souvenirs trépassent et la mélancolie
prend place. Mais comment la rencontrer.
C’est alors, quand mon après-midi commençait à prendre fin, que mon apothéose eu
lieu. Un regard. Un sourire. Un signe. Je ne savais s’ils étaient pour moi ou pour l’autre au
bout du banc, mais, ne sachant si cette opportunité se reproduirait, je me levai. Il est vrai que
je n’étais pas sûr de ce que j’avais vu. Peut-être avais-je été victime d’une illusion, d’un
mirage. Ou de ma volonté.
Je marchais lentement vers ma terre promise. Je me demandais comment l’aborder.
Finalement, ce fut elle qui prit les devants : « Une petite madeleine ? ». Naissance du parfum
de l’amour. Petites, grosses, fines ou bosselées, je ne les appréciais guère. Pourtant, à partir
de ce moment, je me mis à les remercier. Madeleine. Madeleine. Les madeleines, origines
des larmes de mon plaisir.
Mais cette rencontre ne fut pas la seule. Ainsi, le lendemain, au même endroit, après
une après-midi d’attente ou j’eu bien cru qu’elle m’avait oublié, l’heure des madeleines
revenait. Comme la veille, je m’asseyais à côté d’elle. Non pas que le banc ne soit pas assez
grand pour nous deux. Bien au contraire, j’avais peur de me perdre dans sa totalité. Entre
les déclarations d’amour juvéniles et les déclarations de guerre, j’avais peur de l’oublie de
mes sentiments.
Bien adossé contre le dossier, j’attendais ma petite madeleine. Tu es si belle. Tu es si
douce. Dans ma main elle devenait amour. Je m’envolais d’extase. Je regardais alors ma
belle demoiselle, et la remercié. Elle me souriait. Me donna de son jus de fruit. J’eu voulu
donner du mien .
Devinez quoi ? Le lendemain, ma madeleine m’attendait encore. Toujours assise sur
ce banc, maison de notre amour. Je m’envolais à chaque fois pour le jardin d’Eden. Les
bancs ne furent pas souvent source de bons souvenirs, mais celui-ci restera le lieu de ma
naissance. Avec ses petits fers aux pieds, et son costume vert, il n’est pas très attrayant, vu
de l’extérieur, mais c’est à l’intérieur que se cache sa réelle richesse. Pourtant, je ne sais
pourquoi, la crainte surgissait en moi à chaque fois que je m’asseyais dessus. Je me sentais
observé. A chaque fois que je venais lui rendre ma visite « madeleinale », un certain
Rodolphe, aimé d’une Charlotte, m’épiait. Peut-être ma madeleine lui appartenait-elle ?
Comme à ce qui devenait une habitude, mon petit sucre d’orge retira le petit gant
blanc qui habillait ses doigts et attrapa l’objet de ma venue, de mes vues, de ma victoire.
Avec son petit jus de fruit, Madeleine devenait fruitée. Elle devenait exotique. Elle devenait
des tropiques. Elle me faisait voyager à chaque morceau d’amour qu’elle me donnait. De
plaisirs en plaisirs, je commençais à m’envoler, de souvenirs en souvenirs. Des souvenirs de
mes plaisirs.
Cela continua au quatrième, au cinquième, au dixième jour. Ma madeleine me faisait
toujours voyager. Mon amour ne faisait que s’accroitre. Néanmoins, mon désamour, lui
aussi, ne faisait que s’accélérer. Rodolphe me méprisait, je le sentais. Il ne cessait de me
dire que mon plaisir ne serait que de courte durée. Que lui aussi il avait connu ça. Il me
frustrait. Dès que je m‘asseyais entre eux, mon départ était exigé. Son nom était écrit dans
une ancre bien plus résistante que la mienne, et il me le faisait comprendre. Je n’étais que
superflu. Je n’étais qu’éphémère. Il fallait que je comprenne la réalité. Il fallait que je
grandisse. Ma madeleine devenait amour impossible.
Mes voyages devenaient des obligations. Mes plaisirs des peines. Ce qui avait dû
être la naissance de mon amour, de mon être, de mon sens, essayait désormais de
l’émasculer. Je me perdais. De la joie des premiers jours, des plaisirs que m’avait procurés
ma petite madeleine, ne subsistait que la peur d’un autre jour. La peur d’un
recommencement. La peur de revoir Rodolphe juste à côté de moi. Allait-il encore subir mon
insolence, mon insouciance longtemps ? Je ne savais quand il agirait, quand il me ferai
perdre définitivement ma madeleine. Mes sens avaient besoin de son essence pour
l’encenser, or Rodolphe me laisse penser qu’il ne restera plus que des cendres.
Je devais agir. Mon amour était en jeu. Je ne savais comment. Est-ce que je savais
réellement pourquoi ? Je ne le sais même pas. La seule chose dont j’étais certain c’était que
je ne voulais pas perdre ma petite Madeleine, qu’elle soit des îles ou non. Je devais fuir ce
regard qui ne cessait de m’observer, de violer mon intimité. Son silence était la plus grande
de ses vengeances. Par son aphonie je ne savais quand il agirait. Je ne savais quand il me
reprendrait ma Madeleine. Je ne savais ce que je me ferais si je la perdais. Je deviendrais
l’aveugle au royaume des borgnes. Je serais celui qui a perdu son seul amour. Mais
comment le vaincre ? Comment vivre librement avec Madeleine ?
L’heure du final avait sonné. L’un de nous deux était de trop sur ce banc public. L’un
de nous deux devait quitter l’autre. La séparation était la seule solution. Pour que l’un
survive, l’autre doit mourir. De notre confrontation naitra l’essence d’un parricide. L’essence
du meurtre d’un être qui vous aura persécuté. L’essence d’un être qui voudrait vous voler
votre moitié. Je ne m’aime pas. Je ne suis pas aimé de tout le monde. Je n’aime qu’elle, ma
petite Madeleine. Quitte à te perdre, t’obtenir en vaut mon aveuglement. Royaume des
borgnes prépare toi à peut-être m’accueillir, mon amour va peut-être bientôt mourir. Je me
levai alors du banc, regardai tendrement ma petite madeleine et lui dit : « Maman, viens… je
veux changer de banc ».
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