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Publié le 10 août 2011
Nombre de lectures 187
Langue Français

Extrait

Un lundi ordinaire.
4ème rond point. C’est un de ces bus accordéon qui ondule comme un serpent dans son
couloir réservé. Le convoi de 8h52. A bord, mes amis anonymes. Nous nous côtoyons tous les
jours sans nous saluer. Ca ne se fait plus. Il y a le gros type genre chauffeur de car scolaire
avec sa tignasse pelée, la citerne à bière qui lui sert de bide, et ses deux grosses fesses molles
qui pendouillent comme du fromage fondu de part et d’autres de la surpiqure de son velours
sans poches. Il y a l’employée de banque en pré retraite(elle descend devant la BNP ) qui veut
faire jeune, avec ses jambes en pattes d’oiseaux et ses varices qui boursouflent ses bas
derrière ses mollets, avec ses 12 couches de fond de teint orange, ses cheveux peroxydés et
permanentés qui font penser au tifs de ces chanteurs de hard rock des années 8O, et ses
paupières peintes de la couleur de ses tailleurs cintrés tirés sur sa silhouette d’anorexique
Weight watcher. J’imagine le boulot. Des heures de maquillage, des années de privations et de
mouvements de Gym exécutés devant la télé, des tonnes de salade et pamplemousse
ingurgités pour obtenir cette allure de travelo desséché qu’on aurait trempé dans la cire, un
compromis entre Ziggy Stardust et Axel Rose qu’on aurait enfermé un siècle dans une cabine
de bronzage et a qui on aurait ensuite liposucé jusqu'à la dernière goute de graisse pour ne
laisser sur le squelette que cette peau marron et chiffonnée rappelant celle du poulet grillé. Il y
a le bigleux bibliophile avec son strabisme hors concours et ses verres de lunette épais comme
sa myopie. Je me demande toujours quelle page il est en train de lire. Je le sais au moment ou
il tourne la page : il renifle. Son bras gauche est relié à ses sinus. Il y a le quinquagénaire tiré a
quatre épingle, avec ses joues lisses, rasées au savon, ses costumes aux coloris assorti a la
saison, Bleu marine l’hiver, beige l’été, qui se donne des airs de PDG, mais dont les
mocassins a glands de supermarché trahissent le statut de petit cadre minable. Et puis il y a
moi assis tout seul à l’arrière, avec mes tennis, mon jean, mon t shirt, ma demi calvitie
monastique, mon allure d’ado attardé, un livre ouvert sur les genoux, a moitié endormi, qui
rêve de forêt a perte de vue, de peau de bête, et de mort naturelle. Moi et mon espoir de me
réveiller un matin dans un endroit différent. 10éme feu rouge.
Nous avons tous une mine pitoyable. Nos yeux bouffis, bordés de noir, contrariés par l’heure
matinale, regardent sans voir, plongés à l’intérieur, déjà au travail. Nous anticipons nos
taches débiles de la journée, nous faisons notre petit planning de corvées dans nos tête, nous
préparons notre sourire pour nos collègues, notre patron. Vautrés sur les sièges ou debout
suspendu aux poignées comme des quartiers de viande ex sangsue, secoués par notre bus
accordéon, nous nous dirigeons vers nos emplois respectifs. Sans sourire, assis sur notre
orgueil, dévorés par des envies en trompe l’œil, nous partons travailler dans un atelier, un
bureau, un magasin, peu importe où, pour gagner de quoi nous endetter et nous offrir des
fringues à la mode, du hi-Tech, et des vacances, là bas, dans l’un des pays lointains et
exotique ou des enfants fabriquent nos téléphones portables et nos chaussures de sport. Nous
partons faire des frites, du béton, des photocopies, vendre des appartements, des jeans, du
fromage, des assurances, nous allons sourire, mentir, taper « cordialement » au bas de nos
courriel, nous rabaisser devant un petit chef au nom du dieu full HD compatible 3D et obéir à
la déesse pendule pour avoir le privilège de manger et de voyager low cost. Tous ensemble,
nous partons construire du rêve, triompher de la médiocrité, tacher de nous hisser hors du lot,
pour nous affranchir du besoin et nous assurer une consommation sans limite et sans fin, le
paradis moderne. Sauf que ca n’arrivera pas.
Et au terme de 50 années d’effort et d’abnégation tout ce qui nous restera de se servage
consenti, c’est une impression dégueulasse de ne pas avoir été a la hauteur, un sentiment de
culpabilité.
Et
elle
est là, comme une anomalie, un atoll dans le désert, assise dos a la marche, face a moi.
Merveilleux petit être rose et chaud né de la rosée au matin. 15 ou 16 ans peut-être Ses longs
cheveux savamment coiffés, et ses lèvres neuves et rubicondes barbouillées à la fraise luisent
sous l’éclat jaune du soleil. Elle croise poliment les jambes. De son grand sac à main vinyle
posés sur ses cuisses lisses et courtes vêtues dépasse une épaisse pochette cartonnée
griffonnée au Bic, probablement son nécessaire scolaire. Son débardeur blanc à fine bretelles
tendu par ses seins jeunes et lourds, blottis l’un contre l’autre comme le p’tit cul rose d’un
ange, s’ouvre tel un bénitier devant moi. Amen. 11ème feu rouge.
Je la regarde. Embusqué à l’arrière du bus, avec mon teint blafard du matin, le noir sous mes
yeux, la tête encore coincée entre le jour et la nuit, feignant de bouquiner, je me repais de
cette apparition. Je me livre à ma petite anthropophagie visuelle habituelle. Je m’empresse de
gouter des yeux cette beauté avant que son teint ne grise, que son corps ne se lasse, que ses
chairs ne s’affaissent, avant que ses yeux cessent de regarder dehors, avant qu’elle nous
ressemble. Je vois mon sexe enserré entre ses nichons. Ma langue lapant ses tétons. Je sens le
gout poivré de sa chatte au fond de ma gorge. Je la vois nue, ses seins, son cul, son vagin
exposés a la lumière du jour. En train de me pomper, de m’insuffler un peu de sa vitalité. Le
bus freine violemment. Deux personnes tombent. Trois protestent. Les seins de la demoiselle
ont un petit hoquet délicieux. 19ème virage.
16ème arrêt : Belvédère. Un type en complet gris, attache case descend, suivi du gros cul
graisseux. Une femme noire enfourne une poussette à bord et nous rejoins. On tousse à
gauche.
La jeune nymphe sent mon regard vicelard dégouliner sur elle. Je fais mine de tourner une
page. Nos yeux se croisent. Bleu translucide contre marron vitreux. Elle sent mon désir et je
sens sa gène. Pendant un instant nous nous épanchons l’un dans l’autre. J’entends presque son
cœur battre dans ma poitrine. J’ai de nouveau 15 ans et je suis léger. Une chaleur
intempestive à l’entrecuisse monte à ses joues sans prévenir : elle rougit. Non, vraiment, ce
n’est pas un spectacle à offrir à un type en panne de semence. Mon pantalon enfle sous mon
livre ouvert. Je repense a mes échec successifs, a ce plaisir qui reste coincé dans mes couilles,
à Patricia et a Alice. Avec toi Lolita, j’y arriverais. Je lâcherais la purée rapidement. J’en suis
sur. Je te prendrais accroupie, la jupe relevée, sur le siège du bus et mes angoisses
s’écouleraient en toi comme une rivière pale et épaisse. Et enfin ma tête se viderait pour 5
secondes d’éternité et de plénitude que m’envieraient les maitres yogis, et je guérirai encore
une fois. L’adolescente remonte discrètement son décolleté.
20éme virage, Un cri primal met tout le monde au garde à vous. A l’avant, le gamin dans sa
poussette hurle. Imaginez vos tympans prêts à se briser comme du verre. Imaginez un porc
qu’on égorge, une cloche d’église enfermée dans votre boite crânienne. Pensez à une longue
et froide aiguille de métal qui pénètre votre cervelle par les oreilles, et vous serez encore loin
de la vérité. 12
ème
feu rouge.
Bien sur, il y a les odeurs : sueur, pet, urine de saoulard, tabac froid, frite kebab, couche de
bébé marinée, vomi, alcool renversé entre deux sièges. Les bruits aussi, les baladeurs écoutés
à plein volume, les bavardages téléphoniques de ceux qui informent leurs amis que « là, ils
sont dans le bus ». N’oublions pas toux, mastication, rôt, reniflements, mouchage, et toutes
autres formes de partage de nos petites activité organique, et souvent tout ça en même temps.
Mais ce qu’il y a de pire c’est le cri déchirant et disproportionné de cette petite chose
inconsciente, et irraisonnable qui pour une raison inconnue décide de vous charcuter les
tympans aux aurores. Les passagers rentrent la tête dans les épaules comme si un obus allait
tomber sur le bus et prient pour que ça cesse. En même temps, il n’a pas tort le môme, un bus
a 9h du matin, ce n’est pas un endroit ou se trouver.
17ème arrêt : Descartes. Les portes s’ouvrent. Le petit monstre hurleur et sa mère descende.
Nos épaules retombent. Un vieux monte. Casquette et froc en velours vert. Il regarde à droite,
à gauche avec ses mirettes laiteuses. Il cherche un siège abandonné pour y couler ses fesses
flasques. Une tique qui cherche un chien. Je prie pour qu’il ne voit pas la place libre a coté de
moi. Trop tard. Il traine les pieds jusque là et s’assoit.
21ème virage. Le vieux respire bruyamment. Après le coup du gamin, ce n’est pas de chance.
Du coin de l’œil je vois les poils de son nez entrer et sortir de ses narines. Un coup dehors, un
coup dedans, comme un genre de herse poilue. Ca racle, ça siffle comme si une bouillie
glaireuse allait remonter du fond ses poumons. Pas moyen de m’absorber dans la
contemplation de la jeune nymphe. A chaque expiration ça sent le salami. Le plateau de
charcuterie. Beaucoup d’hommes âgés exhalent cette odeur de viande boucanée. J’ai lu
quelque part que les chiens étaient capables de détecter la présence de certain cancer dans
votre haleine. C’est ça l’odeur de charcuterie : la maladie, ca sent la maladie, la vieillesse.
Mon avenir, notre avenir a tous. Je suis un futur morceau de viande séchée et puant. On
renifle aussi à l’avant. Le bigleux tourne une page. 13
ème
feu rouge.
Cette fois, j’en ai marre ! Marre de toutes ses tronches d’enterrements, de cette procession
motorisée de résignés asservis, marre du communautarisme de la tristesse et des yeux noirs.
Alors je me lève et j’avance au milieu du bus. J’agite les bras pour attirer l’attention sur moi.
On murmure, on s’étonne, tous m’observe. Et je dis : « Hé vous tous! Il fait beau, si on allait
à la plage ? Hein ? Et si on passait d’entreprise en entreprise de boutique en boutique chercher
tous les gens et que nous allions tous à la plage ? Si on y va tous personne se fera virer, Hein ?
Qu’est ce que vous en dites ? ». Grand silence. Les yeux s’écarquillent autour de moi, puis
se voilent et regardent de nouveau à l ‘intérieur comme pour peser le pour le contre, puis,
soudain ils se rallument comme lorsqu’on aperçoit une issue qu’on a cherché toute sa vie. Les
premiers sourires fleurissent sur les visages. Un « oui » déterminé, est lâché au fond du bus, et
tous les autres suivent. Le chauffeur à l’avant crie « Ouais, mec t’as raison, Chiche ? Il fait
trop beau, Je vous conduis ! ». Le bus est en liesse. Ce n’est plus le même endroit que cinq
minutes auparavant, La petite Lolita, me lance un sourire timide. Et nous chantons tous
ensemble No surprises de Radiohead. Sauf que je ne me lève pas de mon siège, je ne vais pas
au milieu du bus. Je me tais comme les autres et j’encaisse, comme inhibé par une force
invisible. 5éme rond point.
La petite merveille baille, révélant un implant métallique planté dans sa langue. Merde, la
gangrène la déjà prise. Dans les temples aztèques et mayas, les prêtres se perçaient la langue
lors de rituels pour communiquer avec les Dieux
.
Il y a 4000 ans, au Moyen Orient. On se
perçait le nez comme un signe extérieur de richesse. Dans l’Egypte ancienne seuls les
membres de la famille royale avaient le droit de passer un anneau dans leur nombril.
Aujourd’hui des gamines de 15 ans se trouent la langue pour faire comme Britney Spears. Des
bonnets en été, des lunettes noires la nuit, des casques géants pour reproduire de la musique
compressée. Toute une génération de gamin pourris par le culte de l’objet pour l’objet, son
esthétisme. L’échec de nos parents, la reddition de nos ainées qui prônaient la révolution et
qui aujourd’hui transpercent les langues des gamines. Et nous tous, entassés dans notre bus,
qui partons perpétuer cette trahison. Toute la planète qui part en couille. Et nous sommes la
tranquilles, dociles, affaiblis par les contraintes harassantes de nos horaires et du mensonge.
Et cette odeur de sauciflard qui m’emplit les narines. Le vieux renifle de plus en plus fort.
Une mélasse aqueuse perle dans les poils de son nez. J’ai la nausée. Remarquez, j’ai toujours
la nausée le matin avant midi.
Et là, au bruit que font les pneus sur la route, et à la vitesse réduite à laquelle nous roulons, Je
sais ou nous sommes. Je pourrais vous le dire les yeux fermés. 10 ans que je fais ce trajet deux
fois par jour. 13 feux rouges. 5 ronds points. 23 virages. 18 arrêts. 7km de trajet. 25 minutes
pour bouquiner. Je connais le moindre trou dans le bitume. C’est le dernier feu avant l’arrêt
manufacture, le 18éme, mon arrêt. J’appuie sur le bouton. Le bus s’arrête. Je me lève et je me
faufile comme je peux entre les genoux du vieux salami. Je m’offre une dernière fois les seins
de la demoiselle vus du ciel. Et je descends. Nous sommes lundi matin. Et je pars lutter pour
mon salut.
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