Le Liban et la Syrie au miroir français
395 pages
Français

Le Liban et la Syrie au miroir français , livre ebook

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Description

Dans un contexte géopolitique régional et international particulièrement mouvementé, les représentations de ces deux pays ont connu en France, de leur indépendance en 1946 à la guerre du golfe en 1991, des évolutions aussi importantes qu'inattendues. Cette étude se propose de cerner les diverses facettes de ces représentations au fil des nombreuses crises vécues, et notamment de la guerre qui débute en 1975 au Liban, véritable moment charnière dans l'histoire et les relations de ces pays.

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Publié par
Date de parution 01 juin 2010
Nombre de lectures 292
EAN13 9782296257160
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

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Extrait

Première partie
Première époque De 1946 à 1975
Chapitre 1
Préambule
Depuis bien longtemps, la France entretient des rapports particuliers avec le Liban et la Syrie - ce qu’on appelait jadis le Levant -, elle y a exercé un Mandat durant plus d’une vingtaine d’années, influant alors sur leur destin. De ce compagnonnage, ont émergé, au miroir français, des représentations contrastées qui interviennent encore, de plus d’une façon, dans leur percep-tion actuelle. Devenus indépendants, Liban et Syrie n’ont cessé de s’opposer et de s’appeler, sur le plan politique comme dans l’imaginaire français, et ce jus-qu’aux événements les plus contemporains. Il convenait donc, afin d’étudier les fluctuations d’images de ces deux pays en France, de suivre leur évolu-tion, leurs choix divers, leurs rapports souvent tumultueux. Ce faisant, il a été nécessaire de faire intervenir, à tel moment, d’autres acteurs en interférence étroite avec la zone, les Palestiniens, l’Egypte, et, plus généralement, les rela-tions franco-arabes. De même Israël, dont la présence, depuis 1948, n’a cessé de peser sur la région, de mobiliser l’intérêt d’une large frange de la population française, influençant l’approche des pays environnants. Interviendront aussi contexte régional et international, puisque le positionnement de Beyrouth et de Damas durant la guerre froide, face au conflit israélo-arabe ou aux inter-ventions occidentales dans la région, a nourri la représentation même de ces pays. La période retenue court de 1946 à 1991, de l’indépendance des deux pays à la guerre du Golfe, en 1991, où le soutien de Damas aux armées occi-dentales entérine la tutelle syrienne sur le Liban. Cette période est largement émaillée de péripéties et de drames, avec en parallèle une impressionnante dérive des discours portant sur ces pays. Les moments de crise sont des tests qui mettent à l’épreuve la pertinence de telle représentation. C’est notamment le cas pour la guerre du Liban, moment tournant qui modifie profondément
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la vision française, tant du Liban que de la Syrie, et c’est pourquoi il a été retenu pour organiser cette étude : une première époque couvrant les années 1946 à 1975, une deuxième allant de 1975 à 1991. D’autres événements es-sentiels, comme la crise de Suez, l’épisode de la RAU, les guerres de 1967 et de 1973, l’invasion israélienne de 1982, influenceront eux aussi fortement le champ de l’imaginaire. De même que tel changement politique décisif comme la prise du pouvoir par Hafez el Assad, en 1970. A certains moments, la France pourra être directement concernée, comme lors de Suez ou après 1982, avec la Force Multinationale et les prises d’otages français. Cependant les temps ont changé, les intérêts matériels, stratégiques ou spirituels français, les humeurs et les modes, ne convergent plus spontanément vers ces pays, des chocs ma-jeurs sont nécessaires pour raviver la curiosité, ébranler certaines idées bien ancrées. Indéniablement l’opinion française suit désormais plus qu’elle ne pro-pose. Si l’idéologie tiers-mondiste en France, après 1968, a entraîné des sym-pathies, si tel gouvernement français a pu, par ses prises de position, générer des inflexions, les jalons essentiels relèvent du terrain oriental lui-même et de ses fluctuations. L’IMAGINAIRE, versant majeur de la recherche, balaie un vaste champ aux multiples supports. L’investigation s’est cantonnée au domaine de l’écrit, déjà assez consistant. Le terme d’imaginaire sera entendu au sens d’univers mental et culturel, englobant représentations collectives et individuelles. Cet univers symbolique est constitué des multiples discours sur l’Autre, avec les interfé-rences qui ont pu présidé à leur constitution - stéréotypes culturels, repré-sentations traditionnelles de l’Orient, du monde arabe, de l’Islam face à la Chrétienté, poids actuel des médias, contacts personnels ou savoir livresque. Ces discours se différencient selon les types de textes et leurs objectifs scien-tifiques ou de fiction. Cependant peu de productions échappent vraiment à la fiction, revendiquée ou latente. Même le discours historique implique une reconstruction imaginaire du réel. Malgré sa revendication d’objectivité, l’his-toire baigne souvent dans le mythe, voire l’idéologie, surtout s’agissant de pays jeunes comme le Liban et la Syrie. Telle histoire du Liban peut être aussi ro-mancée et mythique que le meilleur feuilleton, et, à l’inverse, tel roman peut constituer un bon témoignage sur une guerre. Le destin de la Syrie n’a-t-il pas été parfois lu à travers le mythe de « la grande Syrie » ? Le regard orientaliste a 1 été lui-même soupçonné d’être, plus que de raison, travaillé par l’idéologie et 2 l’ethnocentrisme . Les formes prétendues non-fictives, comme les mémoires ou les biographies, s’abreuvent à peine moins que les fictives dans l’imagi-
1.[Hentsch(1988)] 2.[Said(1980)]
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naire. A l’inverse, la littérature de fiction recèle une part cognitive tout à fait précieuse, puisqu’elle projette sur la société des schèmes d’interprétation. Variable selon les genres traités, le discours sur l’Autre est intimement lié à de nombreux paramètres - public-cible, option politique et religieuse, statut et personnalité de l’émetteur. Les mémoires d’un ambassadeur de France au Liban camperont un visage du pays bien différent d’un reporter ! La commu-nauté de foi crée une connivence parfois décisive. Jules Roy finit par justifier ainsi son parti-pris pour les chrétiens libanais. Les positions politiques géné-rent souvent aussi des représentations codées de l’Autre, diabolisé ou angélisé. On pourra ainsi détecter un discours de droite sur le Liban, hâvre de reli-gion, jardin-refuge. La sensibilité aux êtres, aux paysages, à l’univers culturel, constitue aussi un facteur important de différenciation. Tout comme le niveau intellectuel, les préférences sexuelles. Le discours du romancier Richard Millet sur Beyrouth ne laisse rien ignorer de son type préféré de femme, voire de ses fantasmes. L’appauvrissement de la rêverie sur le Proche-Orient favorisera par-fois un discours terne, à la lisière du stéréotype. Emergeront ainsi des discours de supériorité, d’infériorité qui ne cessent de façonner la lecture de l’Autre. Travaillés par tous ces paramètres, ces vastes territoires de l’imaginaire ont leur organisation, leur cohérence et leur articulation avec l’histoire. Divers ou-tils heuristiques aideront à en faire l’arpentage : analyse lexicale, thématique, mythes. On y aura recours selon leur pertinence avec le type de texte, voire les périodes. La confrontation des approches est d’ailleurs en soi garante d’un repérage authentique de la variété des représentations auxquelles ces pays ont donné lieu. En effet, il n’y a pas une image d’un pays, produit de la lecture d’un peuple : « il y a simultanément plusieurs lectures possibles, selon les niveaux 3 de culture et les intérêts des diverses classes qui composent une nation ». Le plan choisi fait d’ailleurs état de plusieurs parcours utilisés. La période d’après 1975, avec le début de la guerre du Liban, s’appuie sur une vaste analyse thé-matique, justifiée par l’éclatement rapide du mythe libanais et la mise en place de nouvelles facettes du pays - Liban-barbarie, Liban-nostalgie... -, l’amorce d’un nouveau mythe fondateur centré sur la figure de Béchir Gémayel, l’ap-parition de nouveaux personnages, milicien ou franc-tireur. En parallèle, est examinée la représentation véhiculée par un écrivain particulier d’un pays ou d’un événement particulier, le Liban de Richard Millet,Quatre heures à Cha-tilade Jean Genet. S’est posé, parfois, un problème de conscience littéraire de convertir une œuvre de qualité en témoignage et simple document. Prix à payer pour cerner une autre dimension.
3.[Pageaux(1971)]
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La représentation envisagée a été choisie au « miroir français ». Cependant, il a paru essentiel d’intégrer dans le corpus, des œuvres libanaises d’expression française qui ont pu contribuer à façonner l’image de ces pays. Certes des inter-férences marquent ce discours sur Soi, avec un public duel. Le rapport à l’objet est fatalement différent, tant par l’investissement affectif que par la connais-sance des réalités. La sensibilité peut aussi varier entre l’exilé et l’auteur resté au pays, le discours peut tourner à l’image complaisante que l’on veut offrir. Le choix même de l’expression française est en soi significatif. Il vise un certain public, une élite francophone du pays, une audience élargie au-delà des fron-tières. Il est donc loin d’être neutre et s’associe volontiers à des thèmes obligés, exotisme, nostalgie d’un passé commun. Mais l’image française du Liban et de la Syrie n’en est souvent pas moins remplie, selon les positions idéologiques des auteurs. De même, afin de mieux cerner l’ensemble de cet imaginaire, ont été sollicitées les traductions françaises d’auteurs proche-orientaux, ce qui in-duit aussi des problèmes méthodologiques spécifiques. Interviennent des effets de distorsion que savoir-faire ou notes du traducteur ne comblent parfois que partiellement. Les « trous noirs » qui peuvent demeurer sont passionnants en ce qu’ils figurent toute la distance culturelle qui perdure, sans édulcoration. Ils cristallisent l’imaginaire en noeuds de résistance. Les romans de la libanaise Hanan el Cheikh, censurés un temps dans les pays arabes, projettent une lu-mière violente et crue sur certaines réalités. Parfois la préface servira de relais médiateur afin de normaliser le texte. Jacques Berque resitue ainsiDamas té-léfériquedans la lignée célèbre des romans d’apprentissage du 19ème siècle, lui conférant ses lettres de noblesse. La préface d’Histoire de Zahrapropose un double décodage, la condition féminine difficile et le civil libanais, victime de la guerre. Le CORPUS utilisé est donc éminement composite et hétérogène. Seront sollicités, aussi bien des romans policiers que des poésies ou des ouvrages spé-cialisés. D’ailleurs cette approche globalisante paraît s’accorder avec les pers-pectives en littérature comparée qui « oblige(nt) le chercheur à tenir compte, non seulement des textes littéraires, de leurs conditions de production et de diffusion, mais encore de tout matériau culturel avec lequel on a écrit, mais 4 aussi pensé, mais encore vécu ». De fait la représentation d’un pays ressort de toutes ces sources, indépendamment de leur valeur. Mais réunir un corpus c’est aussi se pencher sur la diffusion des textes qui fait intervenir d’autres données, relations, notoriété, maisons d’édition. Telle revue spécialisée, tel recueil poétique ne touche qu’un public restreint. Cer-taines éditions libanaises francophones ne s’adressent qu’à un étroit public
4.[Brunel et Chevrel(1987)]p.153.
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