Casse pas ton balai !
105 pages
Français

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Casse pas ton balai ! , livre ebook

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105 pages
Français

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Description

Né en Afrique noire à Kinshasa, un travailleur immigré en France se souvient des nombreux moments passés à imaginer l'Europe alors qu'il vivait encore au Congo. Le lieu et l'époque du roman ? La France, un matin gris du mois d'août au début des années 80. Le temps maussade de la rencontre avec le pays mythifié serait-il prémonitoire ? La description chaleureuse des collègues de travail aux Vins de France contredit le mauvais présage, et révèle le vrai visage de Miguel, qui n'était pas celui du rêve...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 2007
Nombre de lectures 45
EAN13 9782336251196
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0424€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Casse pas ton balai !
Souvenirs d'un travailleur immigré

Eugène Mpundu
Couverture  : illustration originale de Michel Kalcina
Copyright L’Harmattan 2007
http://editions-harmattan.fr www.librairieharmattan.com harmattan1@wanadoo.fr
9782296025639
EAN : 978 2296 025639
Sommaire
Page de titre Page de Copyright Dedicace Mamadou Makala Tsoungui Monsieur Dour Le barbu Mamie Georgette Momo Michel Dubois Antonio Lachaise Les tours jumelles Gégène Miguel
A la Marie, la Droche et le Vidou, mon « Miguel » à moi, c’est vous.
Mamadou
Un pauvre bougre ! Son vrai prénom, c’était Ahmadou . Mais tout le monde l’appelait Mamadou . Mamadou, Ahmadou, c’était du pareil au même ! Qu’est-ce que cela pouvait bien changer ? Il restait le nègre, l’homme à tout faire de la chaufferie. C’était un bon mécano qui avait tout appris sur le tas. Il avait suivi de vagues études mais on ne savait pas trop de quoi. Son français était correct malgré un accent africain à couper au couteau. Quoi qu’il en soit, il savait se faire comprendre. Faisait-il exprès de se montrer un peu bêta sur les bords ?
Martin, un Français blanc, l’adjoint du chef de la chaufferie, lui raconta un jour que les femmes japonaises avaient le sexe placé horizontalement, juste au-dessus du mont de Vénus, et qu’elles n’avaient donc pas besoin d’écarter les jambes pour faire l’amour. Il goba cette information mais resta pensif toute la journée en se demandant comment cela était possible. C’était un vendredi. Le lundi suivant, il arriva furieux au boulot en brandissant une petite revue pornographique asiatique et faillit étrangler Martin. « Tu m’as pris pour un con ! Hurla-t-il. T’en as pas marre de raconter des salades ? Je ne croirai plus un seul mot de ce que tu me raconteras désormais ! » Sa petite revue fit le tour de tous les ateliers jusqu’à ce qu’un chef la confisquât pour son usage personnel selon les ouvriers. Cela n’empêcha pas Mamadou d’avaler tous les bobards que débitaient ses camarades.
Baldi aimait bien Mamadou, le seul gars de l’équipe qui ne picolait pas. Il était doux comme un agneau, un bon nègre  ! Il était chargé de nettoyer des éléments mécaniques de la chaudière et d’effectuer de menues réparations sur les chaînes de production. Il vérifiait également les tuyauteries. Sa polygamie suscitait des sarcasmes de la part de toute l’équipe : trois épouses pour lui tout seul ! La troisième, la plus jeune, était encore au pays. Il n’avait pas les moyens de la faire venir. Quand Mamadou racontait que ça lui arrivait de satisfaire ses deux épouses dans la même nuit, les autres se tenaient cois ! Mais ils voulaient des détails que Mamadou dispensaient avec parcimonie.
— Tu les satisfais toutes les deux dans le même lit ?
— Ça ne va pas non ? On n’est pas des animaux, nous  ! Répondit-il en insistant sur le nous .
Mais le fait d’armes de Mamadou, ce n’étaient pas ses prouesses sexuelles. Mamadou était un héros, il avait sauvé l’usine ! Il avait maîtrisé, à lui seul, un début d’incendie dans la chaufferie pendant que ses congénères attendaient l’arrivée des pompiers.
C’était l’heure de la pause repas au mois de juin, un jour où le soleil d’Abidjan s’était invité à Gennevilliers. Mamadou n’aimait pas trop déjeuner à la cantine car, même si on y proposait des plats pour les musulmans, les conditions dans lesquelles ils étaient préparés n’étaient pas très claires ; impossible de garantir qu’il n’y avait aucun contact avec des ustensiles ayant servi à préparer du porc. C’était plus prudent d’apporter sa gamelle. Mais quel plaisir prenaient-ils à lui poser des questions désobligeantes du genre: « C’est quoi ces cochonneries que tu manges ? » Pour les éviter et manger en paix, notre homme se mettait à l’écart des autres. Au début, il ne ramenait que du riz, du mouton, des plats normaux . Pour ne pas se faire remarquer. Le jour de l’exploit qui le rendit célèbre, il mangeait derrière la chaufferie quand il vit s’échapper de la fumée sous une petite porte pas souvent utilisée. Il accourut, décrocha au passage un extincteur et se précipita à l’intérieur sans réfléchir. De l’autre côté de l’atelier, la panique gagnait du terrain. La fumée provenait d’un élément de la chaufferie très sensible qui risquait d’exploser. L’intervention d’une brigade spéciale devenait impérative. Baldi, tout en surveillant nerveusement sa montre, ordonna à toute son équipe d’évacuer l’atelier. La fumée s’épaississait de plus en plus. Mamadou repéra rapidement d’où elle émanait. Il éteignit la flamme qui se développait et ferma la vanne qui alimentait la petite machine en feu. Il décida de ressortir par l’entrée principale de la chaufferie devant laquelle s’étaient regroupés ses camarades et les curieux des ateliers d’alentour. Son apparition éberlua les camarades. Il sortit du nuage noir, toussant, suffocant, titubant, et cria : « C’est bon, je l’ai éteint ! » La surprise passée, les ouvriers se précipitèrent vers lui pour le tirer de là. Les pompiers débarquèrent peu après, et tout rentra dans l’ordre. L’exploit de Mamadou n’avait servi à rien, ce fut l’arrivée rapide des pompiers spécialisés qui régla le problème. Mais son courage était tout de même surprenant ! Les mauvaises langues prétendirent que c’était plutôt par ignorance qu’il s’était précipité dans la chaufferie. Mamadou était fier de son acte : depuis ce jour-là, il passait pour un héros, quelqu’un qui comptait dans l’atelier !
Chaque nouveau venu avait droit à deux versions de l’histoire : celle qui mettait en avant le courage du héros et celle qui soulignait la stupidité de l’ignorant qui agit sans réfléchir. Mais il s’avérait impossible de ne pas être au courant, Mamadou était une légende ! Son acte d’héroïsme s’embellit d’année en année, chacun y ajoutant de menus détails de son cru. Il récitait sa prière loin derrière la chaufferie quand Allah lui fit une révélation : il devait sauver l’usine ! Son acte lui valut un blâme du chef pour son inconscience — un blâme que Baldi voulut discret pour ne pas casser l’image du héros. Les ouvriers noirs, ces grands enfants, avaient souvent besoin de disposer de repères comme celui-là.
Depuis cette époque, Mamadou était monté en grade : de OS2 — Ouvrier Spécialisé de niveau 2 - il est passé OP1 — Ouvrier Professionnel niveau 1. Pour un immigré, ce n’était pas rien ! Il avait fait venir sa troisième épouse mais les choses devenaient compliquées. Les toubabs ne voyaient plus d’un bon oeil la polygamie et il ne savait pas trop comment faire pour les papiers. Selon lui, les assistantes sociales montèrent la tête de sa première épouse, la seule reconnue par l’état civil au point que qu’elle refusa de vivre sous le même toit que la dernière, la plus jeune - à peine plus vieille que sa fille aînée. La première épouse fit front commun avec la seconde pour barrer la route à la gamine comme elles l’appelaient. Mamadou ne savait où donner de la tête. Il parvint à installer sa jeune concubine dans un petit studio pas loin de chez lui mais il eut de plus en plus de mal à boucler les fins de mois. Les enfants grandissaient et devenaient exigeants, les allocations et le salaire ne suffisaient plus pour couvrir toutes les dépenses. Le recours à des prêts accordés par le service du personnel ne pouvait pas s’éterniser. Il dut réduire le montant de la somme qu’il envoyait chaque mois, au pays, pour la grande famille. Mais s’il fallait supprimer une dépense, ce n’était surtout pas celle-là. Ah non ! Plutôt mourir ! Il ne pouvait pas abandonner ses parents, ses frères et sœurs, ses cousins dont d’ailleurs beaucoup s’étaient cotisés pour lui payer son voyage vers la France. Sa résistance à la pression des neveux et autres jeunes cousins désireux de débarquer ici pour tenter eux aussi leur chance faiblissait. Il n’y avait plus beaucoup de travail pour les Noirs car les Toubabs commençaient à leur disputer le domaine réservé qu’ils partageaient naguère avec les Arabes: le balayage des rues et le ramassage des poubelles. Certes, bien souvent, ce n’était pas des Français mais des Blancs , néanmoins ! Certains employeurs les préféraient aux immigrés issus de l’Afrique noire.
Mais Mamadou était tranquille, il n’aurait quitté la Société des Vins de France pour rien au monde. Il s’y sentait bien, jouissait de la confiance de Baldi, le chef de la chaufferie, s’entendait bien avec ses collègues, et il apprenait, tous les jours, des tas de choses. Avec l’expérience, il ne gobait plus tous les bobards. C’était plutôt l

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