Chaco
254 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

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Description

CHACO : c'est la quête d'un homme, Lémuel, venu d'Europe, au sein de ce grand sommeil immaculé qu'est le Paraguay. Il marche en Asuncion, la capitale endormie, où vient frapper la rumeur d'une révolution qui se répand, aveugle, silencieuse, et blanche. C'est elle qui détruira ses amours. Démarche initiatique qui le mènera jusqu'à ce Chaco (prononcez "Tchaco"), vaste plaine chaude et aride, le pays d'au-delà des eaux... Et c'est dans ce désert vert, vert et blanc - devenu le Désert -, qu'il trouvera le combat avec l'ange, et peut-être sa propre vérité.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 2009
Nombre de lectures 208
EAN13 9782296235687
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0950€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

CHACO
Copyright


© L’Harmattan, 2009
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris

http:// www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-09832-9
EAN : 9782296098329

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
Title


Philippe Drevon


CHACO


roman


L’Harmattan
CHAPITRE PREMIER
L a même lumière… – peut-être un peu plus insistante, un peu plus diaphane ? – et les deux semblables étroits rubans, éternellement, qui séparent, à l’est comme à l’ouest, les eaux du ciel.
Pendant des heures la bande verte de droite est là, tout près, quatre, cinq mètres, vingt mètres : presque à la toucher peut-être ; savoir enfin ce qu’il y a derrière : montagnes, collines, forêts, steppes, troupeaux, maisons même… ou bien cette bande verte s’agrandirait démesurément, multipliée à l’infini par-delà les horizons ? Cela, et cela seulement.
On ferme les yeux, on les rouvre, et voilà : le ruban vert disparu. C’est celui de l’ouest maintenant qui s’approche. Bandez les yeux !
A l’Est, l’ancien désir n’est plus qu’une ligne verte avec un mince filet violet-rouge en dessous, pour couper l’eau de l’éther.
Hier – ou bien n’était-ce pas avant-hier ? A certaines heures il avait regardé : ce n’était plus un fleuve, mais un lac immense dont on apercevait à peine les rives, un lac entier qui serait en mouvement, brassant ses eaux puissantes et limoneuses de si loin au Nord ; alors on ne savait plus dans quel sens marchait le bateau, peut-être avait-il changé le cap ? Et cela avait duré longtemps, très longtemps, à deux reprises : il y avait deux jours et trois jours. Et ce soir-là, le bateau avait traversé de vastes embouchures mordorées au soleil couchant. Pendant combien de temps ? Il n’aurait su le dire ; d’autres rivières géantes se déversaient majestueuses dans le fleuve, et très tard dans la nuit, guetteur posté au flanc du bâtiment, il avait aperçu au loin les enchevêtrements fabuleux des entrelacs lunaires, triomphants au sein des grands espaces, et pourtant méconnus – totalement – des fourmilières humaines, très loin au-delà des océans.
Cette terre-là – immensité du fouillis plat – déjà proche, mais qui ne se livre pas ; cette terre attendue, longtemps imaginée, elle était là, réelle, et pourtant rêvée, elle existait et tous l’ignoraient. C’est cela : il faut s’embarquer à Buenos Aires, remonter le Parana, tout droit au Nord longtemps, longtemps, toujours dans la même direction. Un jour le Parana vous abandonnera, voudra s’éloigner vers le Matto Grosso, alors doucement, laissant le corps, prenant le bras, vous trouverez d’autres eaux verticales encore ; ils l’appelleront : el Rio Paraguay.
Il se lève. Pour la centième fois, il faut refaire le tour du bateau : le pont promenade, la salle à manger, le grand salon au mobilier hostile ; les fauteuils noirs et or, de style néo-pompéien, sont rassemblés dans un coin, prêts à foncer sur un petit groupe de chaises modern-style qui complotent à l’autre bout, réunies autour d’une table ovale de même époque ; le décor est tendu de velours rouge. Il y a aussi plus loin une étrange pièce dénommée salon de musique, peut-être parce qu’un piano y sommeille dans un coin.
Il s’arrête dans cette pièce ; le plafond de bois est peint.
Derrière lui, quelqu’un a dit :
Dans deux jours, les grands oiseaux gris apparaîtront.
Une voix féminine a répondu :
S’il est bien exact que nous nous sommes embarqués il y a sept jours, alors les îles flottantes devraient commencer à se montrer dans trois ou quatre jours.
Et les Acares aussi, ils sont beaux par-là, plus grands que dans le Chaco.
Le silence retombe.
Lémuel s’assoit dans un angle : c’est la meilleure place pour tendre ses filets, scruter ces visages, avidement.
« Vous tirez des plans sur la Comète » : la Tante Marie-Louise aurait pu lui dire cela, il y a bien longtemps, à B.…
Scruter ces visages et ces corps : il se répète qu’ils sont tous paraguayens sur ce bateau d’un autre âge, tous initiés.
A son arrivée à Buenos Aires, il s’était rendu à l’Ambassade. Usant de quelques recommandations, il avait questionné. Personne n’était jamais allé là-bas, mais tous en parlaient sur un ton sibyllin.
Vous partez pour le Paraguay ? Très intéressant, très intéressant. Mais pourquoi diable voulez-vous aller dans ce pays perdu ?
Il avait répondu évasivement.
Ah ! Là-bas vous verrez… c’est différent… Méfiez-vous quand même, il ne faut pas les contrarier. Mais vous aurez le temps de les connaître, rien à faire d’autre que de vous balancer dans un hamac.
Ou bien :
Là-bas ? C’est encore la grande aventure, les coups de fusils, les femmes, la contrebande, la dictature, les propriétés immenses, les petits avions qui disparaissent et ceux qui partent à leur recherche disparaissent également. Ah ! Evidemment, ils se fichent un peu des Nouvelles Normes, ceux-là !
En Europe, avant de partir, de nombreuses librairies fouillées sans succès – jamais rien. Il avait finalement mis la main sur deux petits ouvrages déjà anciens. Pour l’un, le Paraguay était le Paradis sur terre, pour l’autre l’Enfer.
Il y avait des reproductions de vieilles photographies d’amateur – presque les mêmes – dans chacun des deux livres.
Enfin, on lui avait indiqué une personne qui avait – paraît-il – vécu longtemps là-bas. Un rendez-vous avait été organisé dans une pâtisserie de la rue de Rivoli, à Paris. Il avait attendu près de deux heures, personne n’était venu…
Maintenant, c’est la nuit. Il est debout contre la roue de tribord. Un coffrage la recouvre, mais si l’on se penche au bastingage, on peut apercevoir les grandes pales en mouvement. Les yeux rivés sur elles, et le bateau est devenu un énorme moulin qui brasse le fleuve.
Musique au piano, quelqu’un joue. Cela, c’est très différent de ce qu’il avait imaginé, et pourtant ces danses ont un air de famille… avec quoi ? Impossible à trouver, rien à voir avec les disques d’Amérique Latine qu’il avait entendus en Europe. Peut-être avec le salon de B. lorsque sa grand-mère jouait des airs redondants et désuets sur le piano droit du petit salon, lui se glissant derrière pour apercevoir, saisi chaque fois d’étonnement, le visage tellement grave de la pianiste, presque torturé.
Non, il y a quelque chose de plus dans cette musique – polka, galopa – de plus, de nouveau, et pourtant il lui semble en reconnaître la mélodie. Est-ce la musique paraguayenne ?
Il va jusqu’à la poupe. Immense le fleuve droit, immense le fleuve plat, droit au Nord et le bâtiment peine, s’agrippe pour remonter. Lémuel : les eaux violentes s’écoulent profondément en toi ; cette lente et rêveuse et pénible remontée en lui, en son âme traversée. Remonter jusqu’où ? Plus loin encore il y aura une porte close, il la sait déjà, confuse et ferme.
La musique l’appelle inexorablement. Trop grande silhouette debout devant l’entrée du salon de musique, il regarde, il écoute.
Elle est là, la femme, celle qui a parlé tout à l’heure.
Tombez à la renverse, hommes de loi et d’écoles, vous, hommes d’affaires à la cervelle trop froide, vous, bêtes humaines d’équilibre et d’efficacité, ô barbares, vous dont l’agitation secouera désormais l’Europe et le monde entier, tombez à la renverse !
Sacre de Louis XVI, chœurs et musique pour le Nouveau Roi, tonitruant dans la petite église de Saint-Julien un soir d’hiver pendant la guerre, il avait dix-huit ans alors. Archanges, Trônes, Dominations, ouvrez le ciel à mes vœux !
Il regarde encore, et il reconnaît :
Elle est là, la femme, avec sa tresse noire qui lui tombe sur les hanches.
Mais tout est très simple et très banal. Il s’approche, avec son air de toujours, et la femme se lève comme elle s’est déjà levée maintes fois auparavant, toutes les fois se levant ainsi, en son sommeil ancien, redressant les épaules, pointant les seins, effaçant le ventre : toutes : répétitions persévérantes et fidèles et patientes.
Il aime son ventre, mais quelque chose l’empêche de s’y attarder et il appelle cela l’amour, ce regard qui efface, qui remonte au visage, au cou, aux yeux, au creux de l’épaule.
Pas de métamorphose, pas d’étonnements – ils se connaissent déjà depuis longtemps même… pourquoi s’y attarder davantage ? Ils dansent maintenant et lui, il trouve cela très normal, qu’elle le tutoie :
Non, que craindrais-je ? J’ai été déjà là-bas, tu sais, il y a des années… Non, je ne me souviens plus de rien.
Et toi, pourquoi es-tu venu si tôt ?
Il

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