En marchant vers la nuit et l océan
123 pages
Français

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En marchant vers la nuit et l'océan , livre ebook

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Français

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Description

Au crépuscule de sa vie, Stelliane veut se raconter à travers un livre. Elle espère effacer les ombres de son parcours et le magnifier. Aussi cherche-t-elle un biographe, un maquilleur, qui rectifierait les traits du personnage pour en faire une toile lisse et acceptable, un peu comme le faisait Rembrandt de ses tableaux. Le nouveau roman d'Alain Melka nous entraîne dans un étrange jeux de miroirs et de connivence, de fausses apparences et de vérités trompeuses.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juillet 2010
Nombre de lectures 157
EAN13 9782296698468
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

En marchant
vers la nuit et l’océan
© L’H ARMATTAN, 2010
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-11792-1
EAN : 9782296117921

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
Alain Melka


En marchant
vers la nuit et l’océan


L’H ARMATTAN
Du même auteur :
Silhouette/Shadow, The Cinnematic Art of Gao Xingjian avec Gao Xingjian (prix Nobel de littérature 2000) et Fiona Sze-Lorrain, Contours, 2007
Les Larmes d’Abraham , Transbordeurs, 2006
Mystique et Politique avec Jean-Jacques Léonetti et André Gence, Le Manuscrit, 2006
Nos plus belles années, art sud a vingt ans (collectif), Transbordeurs, 2005
Les Morts vivent à Auschwitz , Transbordeurs, 2005
De l’étranger (Collectif), Terres d’encre, 2000
Mains de sang, parole de sable , Autres Temps, 1999
À Sydney et Rémy M.
Peut-étre y a-t-il aussi une autre écriture,
je ne connais que celle-là :
la nuit, quand l’angoisse m’empèche de dormir.
Franz Kafka
Vendredi matin
Stelliane…
Et comme chaque jour Stelliane me téléphone.
Depuis bien des années, je pense à débrancher mon combiné pour ne plus entendre ses plaintes. Pourtant, et sans vraiment le comprendre, je n’arrive pas à accomplir ce geste qui me couperait définitivement de cette femme.

Cette femme me harcèle depuis des années.
Et elle a décidé de raconter le récit de sa vie.
Elle cherche un biographe qui rectifierait le cours de son histoire. La restaurer pour ainsi dire, comme on le fait d’un tableau ou d’un meuble ancien. Il est vrai que Stelliane est une sorte de meuble. Un meuble non signé par un ébéniste de talent. Un meuble de style indéterminé, mais de charme évident.
Il y a fort longtemps que j’ai rencontré cette vieille salope.
Femme insaisissable qui pendant quelques années m’a diverti, surtout au lit. Mais aujourd’hui elle ne me chante plus qu’une triste mélodie. Que voulez-vous il n’est pas facile de vieillir sans fredonner une éternelle rengaine.
Stelliane est avide.
Et je déteste les gens avides.
Ce sont des parvenus qui n’arrivent jamais à emplir leur estomac parce qu’un jour ils ont connu la faim. Ces gens-là passent le reste de leur vie à accuser les autres de les avoir humiliés. Il y a des hommes avides, mais plus encore des femmes. Pauvres dans leur enfance, battues et spoliées, elles se vengent sans cesse de ce qu’elles ont souffert.
Finalement, je dois bien admettre que je suis misogyne.
J’ai souvent de l’hostilité et du dédain à l’égard des femmes.
Et si je les accepte dans mes moments de plaisirs intimes, je les méprise pour tout ce qui concerne le reste. Cependant depuis quelques décennies, je suis proche de Stelliane, c’est peu dire que je l’admire. Mais l’admiration n’est jamais qu’un sentiment immobile telle une toile de Monet.
Toutefois cette femme me fascine vraiment, car elle possède le souffle pour mener à bien le combat qui est le sien. Et la force d’en être souvent vainqueur.

Stelliane est abstraite.
Et elle est desséchée et vivante uniquement par des yeux d’un noir intense qui profitent de la faiblesse des autres.
Elle me téléphone, droite dans son lit. Son corps est soutenu par un amoncellement d’oreillers et de coussins. Malgré son grand âge, elle continue à dominer son petit monde qu’elle a créé et organisé.

À gauche du lit, se tient la gouvernante, Sarah.
Et elle est immobile, le regard ailleurs.
Sarah est l’actrice d’un spectacle dont elle connaît le rituel depuis toujours.
À l’autre bout du fil, Stelliane est volubile. Elle s’étale et exige : je m’étonne, Emmanuel, que vous n’ayez pas encore trouvé celui que je cherche.
Je réponds : ce n’est pas aussi simple que cela, ma chère.
Elle réplique : vos excuses et vos dérobades me sont insupportables. Et je devine le pourquoi de vos manœuvres. Tout simplement parce que c’est vous qui voudriez remplir ce rôle de restaurateur de ma vie. Et ce n’est pas une raison parce que vous avez été un amant plutôt divertissant, que vous pouvez rendre compte de moi-même. Vous êtes un écrivain de qualité, certes, éternel puisque académicien, mais cela ne suffit pas à faire de ma vie la statue que j’ai décidé d’édifier. Alors Emmanuel, pour la dernière fois, je vous demande de me trouver l’homme capable de remonter ma vie comme on le fait d’un film, et en suivant les plans que j’ai dressés…
Je l’interromps : ce ne sera pas facile…
Elle reprend aussitôt : je le sais. Car j’ai été et je suis encore une garce et une traînée. Mais l’important est l’image que je veux laisser de moi-même : Stelliane de Laboissière, celle dont on oublie toujours le nom pour ne garder que le prénom, veut entrer vivante dans l’Histoire. Vous m’entendez, Emmanuel ?
Je réponds : je ne fais que cela !
Elle continue : alors, il me le faut ce manipulateur, ce monteur et démonteur, sans lequel ma vie ne serait que l’épisode inachevé d’un roman qui ne me plaît pas. Et ne protestez pas parce que vous êtes de ma race. Vous êtes plutôt bâtard et demi-rapace. Votre talent, vous le tenez de votre plume, moi de mon cul et alors ! On écrit l’histoire plus classiquement avec ses fesses qu’avec sa main courant sur le papier. Donc ce magicien que vous me promettez, ce sculpteur du vide, qui va enfin ébaucher ma statue, où est-il ? Où se cache-t-il ? S’il existe, saisissez-le par les oreilles et la queue, et traînez-le ici !
Je dis : je vais faire mon possible.
Elle réplique : je veux que vous fassiez mieux que votre possible. Car pour vous comme pour moi, ce ne sont plus les années, ni les mois, ni même les semaines ni les jours, ce sont les heures, que dis-je, les minutes qui comptent. Vous vous imaginez peut-être avoir le temps ?
Je réponds : que vous le vouliez ou non, ce temps qui passe inlassablement nous échappe, et nous n’y pouvons rien !
Elle enchaîne : parlez pour vous ! Pour ma part, j’ai quelques pouvoirs pour dompter les années qui défilent, en tout cas les ralentir. Et cette volonté ne cédera pas, elle ne faiblira pas, elle veille et surveille. Elle me dit qu’il me faut avant de mourir réaliser une version définitive de ma vie. Une vie qui me convienne et soit acceptée par tous. Ne l’oubliez jamais Emmanuel, c’est vous qui vous êtes engagé à me fournir cet oiseau rare…
Je l’interromps : mais…
Elle enchaîne : non, je ne vous laisse pas la parole. Vous connaissez le dossier mieux que quiconque et vous savez très bien ce que je veux : un expert en contrefaçon ! Et il ne s’agit pas d’imiter je ne sais quelle toile de maître, mais de faire sous ma direction et ma surveillance une version parfaite de la vie que j’ai tricotée et qui, même brute et non corrigée, n’a jamais été sans intérêt. Donc, vous vous taisez ! D’ailleurs, j’en ai terminé avec vous pour aujourd’hui. Une dernière chose : je veux que d’ici demain vous arriviez avec le spécialiste que j’exige, conforme en tout point à ce que j’espère.
Ayant dit cela, Stelliane tend le combiné à sa dame de compagnie, qui le pose sur le récepteur.

Stelliane ferme les yeux.
Et son visage est momifié, ses chairs jaunâtres et pendantes.
On peut y remarquer l’absence de sourcils et un front large, surmonté de cheveux rares. Pourtant malgré le désastre de la vieillesse, il y a la présence nostalgique d’une certaine harmonie, le dessin encore glorieux de la bouche, l’élégance du nez, la finesse des oreilles. Pourtant ce noble visage va devenir tête de mort, étrange vision, pour celui qui sait voir, d’un indicible charme.

Sarah…
Voilà une vingtaine d’années que Sarah sert dans ce très bel hôtel particulier du 16°arrondissement de Paris.
Elle est l’ordonnatrice silencieuse qui coordonne les différents services de cette maison dans laquelle une Proserpine ne dort plus jamais.
Toujours immobile, Sarah sait d’avance ce que va lui indiquer sa maîtresse : vous viendrez toutes les heures. Aujourd’hui je n’ai pas l’intention de me lever.
Sarah sort de la scène, la tête un peu penchée. Stelliane détaille ce corps tendu, ces fesses rebondies et ces jambes

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