La palabre des Calaos
350 pages
Français

La palabre des Calaos , livre ebook

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350 pages
Français

Description

Dans un pays d'Afrique, la vie courante des populations qui s'égrène dans la misère et la monotonie habituelle est troublée par une série d'évènements extraordinaires. Dans une telle ambiance, des hommes ambitieux et sans scrupule en profitent pour déclencher un pogrom. On assiste alors à un déchaînement de forces qui transforment de banals faits divers en affaires d'État, avec des rebondissements improbables.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 mars 2013
Nombre de lectures 59
EAN13 9782296532465
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1550€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

36ISBN: 978-2-296-99847-6
Aboubacar Lankoandé
LA PALABRE DES CALAOS
Ecrire l’Afrique Ecrire l’Afrique
LA PALABRE DES CALAOS
Écrire l’Afrique Collection dirigée par Denis Pryen Romans, récits, témoignages littéraires et sociologiques, cette collection reflète les multiples aspects du quotidien des Africains.Dernières parutions Djibril SALAM,Au bonheur des damnés, 2013. Denis BOMBA-NKOLO,Le rêve du Pygmée Oyoa-Baka, 2013. Jema DAZOABA SILA,Bons vents, 2012. Fweley DIANGITUKWA,Notre vie est un mystère. Cette chambre-là May, 2012. Cyriaque MUHAWENAYO,La guerre des nez au Burundi. Je l’ai vue et vécue, 2012. Élie MAVOUNGOU,Incertitudes, 2013. Serge FINIA Buassa,Une semaine mémorable. Qui a tué Laurent-Désiré Kabila ?, 2012. Isabelle JOURDAN,C’est comme ça, à Ouaga…, 2012.Valentin DIBA KEMENA MUZEMBE,Les démons des rives. Ces maîtres qui corrompent, 2012. Corinne N’GUESSAN,Les vierges folles, 2012. Maurice HASLÉ,Un seul pied ne trace pas le sentier, 2012.Laurence RANDALL,La production littéraire camerounaise, 2012. Arnold NGUIMBI,Pascaline, dans les flots de la chute, 2012. Marilaure GARCIA MAHE,Le mythe de l’enfant fondateur, 2012. Facinet,Kiridi, 2012. Rachel KAMANOU ATSATITO,Mirages de migrants, 2012. Yacine BODIAN,Les bois de Béssir, 2012. Laurès DOSSOU,Alafia. Voyage d’illumination, 2012. Christian MOUBAMBA BAGWANGUI,Le Testament de Mbanga, 2012.G.K MWANABWATO,L’Eden est triste, 2012. Joseph Marie NOMO,Un enfant de la forêt, 2012. Ibrahim O. FALOLA,Odyssée arc-en-ciel, 2012. Adama TRAORE,L’association des mères d’élèves de Dibougou, 2012. Yaya Sickou DIANKA,Un petit baobab pour vivre ensemble, 2012. Pius NGANDU Nkashama,Dialogues et entretiens d’auteur, 2012.Hélène MILLET,Roman Bambéen, 2012. ITOUA-NDINGA, Leroman des immigrés,2012. Paul-Evariste OKOURI,Prison à vie, 2012. e Michèle ASSAMOUA,Le défi. Couples mixtes en Côte d’Ivoireédition, 2 revue et corrigée, 2012 Angeline Solange BONONO,Marie-France l’Orpailleuse, 2012.
Aboubacar Lankoandé LA PALABRE DES CALAOS
© L’HARMATTAN, 2013 5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-99847-6 EAN : 9782296998476
Je suis Eddy H. Komidagyaba, un nom pas facile, mais bon, Eddy fait très américain. J’avais été recueilli très jeune par mon oncle qui était un admirateur d’Eddy Constantine l’acteur. Il trouva mon prénom à la naissance, Hymparatfanbabassé, assez difficile à écrire et surtout à prononcer. Il me le laissa afin de respecter la tradition, en y accolant le prénom de l’acteur dont il était fanatique. Je lui suis d’ailleurs très reconnaissant chaque fois que j’écris Eddy H. Komidagyaba. En effet, tout le monde me demande ce que signifie le « H » de mon nom, tant cette lettre mystérieuse ne donne aucune indication sur ce qu’elle cache. Je suis un pur produit de l’Indépendance, une période bénie où nous étions pleins d’insouciance et d’espoir en des lendemains brillants. Nous étions une génération d’enfants gâtés, qui allaient à l’école aux frais de l’Etat. A cette époque, tous, enfants de paysans ou de ministres, accédaient aux plus grandes écoles uniquement au mérite, contrairement à ce qui se passe de nos jours. J’habitais la capitale de notre pays, au cœur de l’Afrique et si vous connaissez une de nos capitales, alors vous connaissez Danwaziri. Comme d’habitude, c’était à l’origine un village dans un coin perdu de la brousse que des colonisateurs, pour des raisons qu’eux seuls connaissent, décidèrent un beau matin de sanctifier pour en faire la capitale d’un bout de territoire, habité par une multitude de tribus et d’ethnies qui avaient peu de choses en commun. De nos jours Danwaziri est une grande ville africaine avec une ou deux belles avenues, une multitude de ruelles poussiéreuses et plus d’un million de nègres qui s’y agitent comme des démons. L’immense majorité tente de survivre tant bien que mal dans des quartiers insalubres que seuls les rats et les moustiques trouvent à leur goût. Et pour la plupart de nos concitoyens, l’avenir se limite au lendemain. Je ne faisais pas partie de ces milliers d’êtres qui s’entassaient dans ces taudis sans nom, grâce à mon oncle qui était ministre de l’Intérieur. Le président que servait mon oncle était modeste, bien qu’on l’appelât « Père de la Nation ». En effet, il se contentait d’être seulement Président de la République, Président du conseil des ministres, Président du conseil supérieur de la magistrature et Grand maître des ordres nationaux. J’aimais bien le Président et nous l’appelions tous Papa, mes cousins et moi. C’était d’ailleurs un papa parfait que nous attendions toujours avec beaucoup d’impatience, tant il nous couvrait de cadeaux.
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J’habitais donc un quartier résidentiel où de belles villas, avec de beaux jardins, mettaient une note de gaieté dans cet univers où seul un instinct incroyable de survie permettait à l’immense majorité de mes concitoyens d’exister. En tant que privilégié, j’avais droit à des vacances, chaque fois que le programme scolaire le permettait. Mon oncle nous envoyait alors, mes cousins et moi, dans l’extrême ouest de notre pays, où nous recevions l’éducation traditionnelle que tout Noundjaba qui se respecte donne à ses enfants. Chez les Noundjaba, notre ethnie, le caractère des jeunes garçons se forge principalement par des randonnées initiatiques dans la brousse. On ne devient un homme que si on a fait la preuve qu’on peut survivre seul ou en groupe pendant trente jours dans cet environnement difficile où les animaux les plus dangereux rendaient tout séjour nocturne particulièrement précaire. Personnellement, j’avais passé avec succès cette épreuve de la vie et c’est donc avec impatience que j’attendais ces moments où je battais la brousse avec mon maître et mon compagnon d’apprentissage. Beaucoup de jeunes villageois admiraient ma témérité qui conquit l’un des plus grands chasseurs du pays. Un jour nous explorions une zone que nous avions négligée depuis quelque temps, battant la brousse en vain depuis la veille jusqu’à l’aube. Nous marchions sous la direction de Diaky le maître chasseur qui ne montrait aucun signe de fatigue, tant il était confiant. Le maître, de temps en temps, s’arrêtait pour humer l’air chaud et sec de ce mois d’avril, examinait avec soin le sol poussiéreux qui semblait irradier des vapeurs de chaleur. Diaky était dans la force de l’âge, de petite taille, sec comme une branche de karité mort. On se demandait toujours en le voyant, s’il mangeait. Il était né à Bugui, un petit village adossé à Alubdjoana, les montagnes sacrées du pays Noundjaba. Dans cette zone reculée à l’extrême ouest du pays, l’habitat très clairsemé et les habitudes culturales des habitants, laissaient une large part à la brousse. Depuis toujours, la forêt du Biigu, qui occupait près du tiers de la zone, était le refuge d’une faune abondante. On y rencontrait des lions, des léopards, des éléphants, des buffles et toutes sortes d’autres animaux qui erraient en toute quiétude grâce aux us et coutumes des habitants du pays. En effet, pour les Noundjaba, les animaux de la brousse appartenaient à des bergers invisibles qui acceptaient de temps en temps, quand on leur faisait des offrandes, qu’on prélève une partie de leur cheptel. Ils croyaient que les offrandes de poulet, de chèvre et d’autres victuailles étaient le prix que le chasseur consentait à payer à ces vachers invisibles pour avoir l’autorisation de prendre une ou deux de leurs bêtes.
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Il faut dire que contrairement par exemple au pays mandingue où la chasse et les chasseurs sont vénérés, en pays noundjaba, la chasse est une activité marginale qui n’intéresse que quelques aventuriers en quête de sensations fortes, et assez désœuvrés pour s’adonner à ces « enfantillages ». D’ailleurs, en langue noundjaba, le mot chasseur se traduit littéralement par « vagabond de la brousse », ce qui expliquait le peu d’intérêt qu’on accordait à ces hommes aux habitudes bizarres. Ils dormaient en brousse et prenaient des risques insensés pour quelque gigot de phacochère ou de buffle. Il est vrai que par moment, pour une fête ou pour des cérémonies, tous les hommes valides allaient à la chasse, mais c’était des dilettantes qui ne tiraient apparemment aucun plaisir particulier de ces randonnées, somme toute obligatoires. Ce n’est pas que les chasseurs soient méprisés, mais pour la plupart de mes compatriotes, les risques et les efforts à fournir étaient disproportionnés par rapport au gain qu’on en tirait. On disait pourtant que les chasseurs connaissaient certains secrets que les génies, chargés de mener les buffles aux pâturages, leur confiaient parfois. On prétendait ainsi, que le bon chasseur ne mourait jamais en brousse puisqu’il pouvait se rendre invisible s’il était confronté à un grave danger. Il n’était d’ailleurs pas rare de voir des chasseurs disparaître une semaine ou deux dans la brousse, puis réapparaître avec une jambe tordue ou un bras tordu, mais parfaitement cicatrisés. On racontait parfois l’histoire de ces chasseurs qu’une bête sauvage trucidait, mais qui revenaient ensuite à la vie comme par miracle. Mais pour qu’ils puissent revenir au village, leurs compagnons devaient garder le secret de la mésaventure, sinon ils disparaissaient à jamais. La famille de l’infortuné portait alors son deuil, puis on lui faisait des funérailles grandioses. Après tous ces rites, le défunt profitait alors d’une nuit sans lune pour revenir au village et emporter les objets auxquels il tenait le plus. Mais il arrivait parfois que plusieurs mois ou plusieurs années après ces disparitions, des voyageurs racontent avoir aperçu dans une lointaine contrée, ces chers disparus, défigurés ou estropiés, mais parfaitement vivants. Vous comprendrez donc que toutes ces légendes donnaient un certain prestige aux chasseurs. A quarante cinq ans, Diaky était considéré comme un « grand », à qui on faisait appel dans les cas extrêmes, par exemple quand un lion mangeur d’hommes était signalé dans les parages. Il faisait partie d’une sorte de ligue de chasseurs émérites qui comptaient à leur tableau de chasse les quatre grands de la brousse ; c’est-à-dire l’éléphant, le léopard, le lion et le buffle. Ils avaient incontestablement beaucoup de mérite, tant les armes dont ils disposaient étaient dérisoires. Les plus fortunés n’avaient que de vieux fusils Simplex à un coup de calibre 12. Alors, abattre un éléphant ou un lion avec ces armes, relevait de l’exploit !
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Nous avions marché jusqu’au début de l’après-midi, quand le soleil, après avoir accompli plus de la moitié de sa révolution quotidienne, s’immobilisait au milieu de la voûte céleste pour mieux brûler les herbes jaunies qu’aucun souffle de vent n’animait. C’était généralement le moment que notre maître choisissait pour faire la pause. J’aimais ces instants où Diaky sortait alors de sa réserve. Nous sentant parfois découragés, il se déridait complètement en nous racontant des histoires sur la chasse. C’était autant de leçons et de connaissances que son expérience lui avait enseigné. Le maître ordonnait alors une halte de quelques instants pour nous reposer et nous sustenter. Je préparais alors le repas froid à base de moobu que nous emportions dans une gourde. Le moobu est une sorte de boule de pâte de mil aigre à souhait qu’on pouvait conserver deux semaines dans une gourde en calebasse remplie d’eau. Diaky ne pouvait pas prononcer mon prénom Eddy, préférant m’appeler Hymparatfanbabassé comme la plupart des villageois de mon pays. Tous ces gens disaient invariablement « Idy », mot qui signifie dans notre langue, boa, notre totem. Il me houspillait parfois pour que je sorte de la torpeur où je sombrais à cause de la chaleur et de la fatigue - Délaie le soumbala, n’y mets pas trop de sel, comme si tu étais un colporteur pressé de liquider sa marchandise. J’étais l’intendant du groupe, chargé de préparer le déjeuner frugal que nous prenions après avoir marché une bonne partie de la matinée. Le rituel était toujours le même, nous nous installions confortablement sous un tamarinier séculaire à l’ombrage bienfaisant pour nous restaurer. La préparation du repas était simple, nous délayions une boule faite de soumbala, de sel et de piment dans de l’eau tiède pour en faire une sorte de sauce froide accompagnant les boules de moobu. Lorsque la chasse avait été bonne, nous grillions alors les abats des animaux, ou même des pintades sauvages ou des outardes que nous avions abattues avant la pause. De tels festins étaient rares et la plupart du temps, c’est notre repas froid, à base de moobu, qui nous sustentait. Quelques fruits cueillis en cours de chemin complétaient le tout. Après le repas, nous nous détendions en suivant avec attention les récits du maître. Ce jour-là, Diaky vérifiait pour la énième fois son fusil qui le préoccupait pendant que Samba, mon compagnon d’apprentissage, et moi somnolions tranquillement en rêvassant. Soudain j’aperçus, à travers une éclaircie, une forme noire qui se déplaçait. Je me réveillai complètement et me mis à ramper vers la lisière du fourré où j’avais vu la forme. Brusquement alerté, Diaky se retrouva bientôt à côté de moi. - Qu’y a-t-il me demanda- t-il dans un murmure, je ne vois rien. - Là, dis-je en tendant le bras, de l’autre côté du fourré, plus à droite. Deux énormes oiseaux picoraient dans les hautes herbes sans trop se préoccuper de notre présence. L’un d’eux tourna même la tête dans notre
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direction, nous observa attentivement puis continua, imperturbable, son manège. - C’est de ces grands oiseaux dont tu parles ? Ce sont des calaos, après le repas, je te raconterai leur histoire Si vous venez dans un coin d’Afrique, demandez si on peut y voir des calaos, ces grands oiseaux noirs à l’énorme bec pointu qui fascinent. Ils vont toujours par deux, le mâle et la femelle, arpentant la brousse à grandes enjambées, pardon, je voulais dire à grandes pattées. Avec fière allure, ils vont d’une démarche de sénateur, sûrs d’eux, occupés uniquement à chercher leur pitance dans les hautes herbes. Même lorsque deux couples se rencontrent à la lisière de leurs territoires respectifs, ils s’ignorent royalement et changent de direction sans même se jeter un œil. Apparemment, il y a longtemps que les calaos ont compris que la solitude, surtout à deux, était meilleure que les mauvaises fréquentations. J’attendis patiemment la fin du repas et comme promis, le maître me raconta l’histoire d’otages au cours d’une guerre entre les hommes et les animaux. « Autrefois, les hommes et les animaux habitaient le même territoire constitué d’une vaste zone boisée avec un lac au centre. Le lac servait de frontière aux deux communautés qui vivaient l’une à côté de l’autre, sans se fréquenter. C’était la seule réserve d’eau de la région que les animaux, premiers habitants, ne disputaient nullement aux hommes, les migrants. Puis il y eut une terrible sécheresse qui dura plusieurs années, tarissant entièrement le lac, semant la désolation chez les animaux qui n’eurent plus rien à boire. Les hommes souffraient aussi de la canicule et de la pénurie, mais moins que les autres, car ils avaient creusé des puits dans le lit du lac. Les animaux ignoraient ce qu’était un puits et surtout ils étaient incapables de puiser de l’eau. Plusieurs téméraires parmi eux s’étaient noyés en essayant de descendre pour boire, au grand plaisir des hommes qui s’en nourrissaient. Les animaux les supplièrent en vain de leur donner de l’eau, arguant que sans leur générosité, les hommes n’habiteraient pas le pays. De guerre lasse, ils enlevèrent les enfants des hommes, qu’ils cachèrent, afin de les faire chanter. Les hommes battirent la brousse en vain, car tous étaient bien cachés, sauf la femme du calao qui venait d’avoir des petits. Ils s’en emparèrent, menaçant de les tuer si on ne leur remettait pas leurs chérubins. Pour sauver sa famille prisonnière des hommes, le calao trahit les autres animaux en révélant la cachette des otages. Comme d’habitude, les hommes investirent la prison, massacrèrent tout sur leur passage, libérant sans encombre les enfants. Les animaux survivants s’enfuirent loin des hommes, jurant de se venger d’eux et du calao.
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