Rats de marée
172 pages
Français

Rats de marée , livre ebook

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172 pages
Français

Description

Ce roman nous amène à nous interroger sur l'évolution de nos sociétés mondialisées. Véritable candide contemporain, l'auteur nous entraîne dans un conte philosophique. Servi par une galerie de portraits où la caricature ne détruit jamais la dimension humaine, il met en scène les relations louches entre responsables politiques et économiques. Sont-ils conscients de leurs actes ? Le progrès est-il toujours au rendez-vous ? Allons-nous vers le meilleur des mondes ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 2012
Nombre de lectures 12
EAN13 9782296502604
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0700€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Rats de Marée
Gilbert Vieillerobe
Rats de Marée
Roman
L’Harmattan
Du même auteur Romans Les géants des Cévennes,Éditions de La Manufacture, (épuisé), Lyon, 1985. La route de l’ambre bleu,Éditions de l’Harmattan, Paris, 2008© L’Harmattan, 2012 5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-99163-7 EAN : 9782296991637
CHAPITRE I
es carrosseries offrent leurs fronts, luisants et blêmes, Laux caméras de surveillance. Impossible de trouver une seule place libre sur l’immense parking de l’hypermarché. Phénomène inhabituel, le nombre de véhicules stationnant sur les bas-côtés, les voies d’accès réservées, les contre-allées, les parterres même, laisse chacun incrédule. Une affluence remarquable !  Devant les écrans, dans la salle confinée, Gustave, le chef de la sécurité, mi-allongé dans son fauteuil, un pied posé sur une chaise voisine, engouffre son quatrième pain aux raisins. Ses joues de hamster repu forment des boursouflures. Ses yeux bouffis, cernés par des poches flasques et des sourcils sombres qui poussent sur un bourrelet adipeux, portent un regard sans vie sur les écrans et les balaient négligemment.  La piètre lumière hivernale de ce jour naissant, pois-seux de brouillard humide et gras, n’a pas encore permis l'extinction des lampadaires. Les images restent floues, engluées dans ce bain jaunâtre et épais. Seuls s’animent d’innombrables points blancs, reflets lumineux, sur les crânes des voitures, sur les fronts des femmes et des hommes qui s’avancent, en une vague de profonde houle, vers l’entrée du magasin. Gustave rassemble ses pieds sous son fauteuil, pose lourdement ses coudes sur la console et approche son vi-sage d’un des écrans. Il se laisse distraire, quelques frac-tions de seconde, par l’instantané de sa tête, massive, car-rée, que lui révèle l’écran, en surimpression. Il est toujours surpris d’y compter six rides horizontales qui, parfaitement parallèles, rayent profondément son front d’une oreille à l’autre. Toujours surpris, aussi, par cette coupe qui fait de ses cheveux un plateau d’herbe à chat, noire, drue et piquante, taillée comme une haie dissua-sive.
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Sur cet écran, il a vue sur l’entrée du parking : tout y semble figé... Gustave s’interroge : « Qu’est-ce qui bloque ? Un embouteillage monstre dû à un accident ? Le parking déjà complet ? Est-ce un jour de soldes, d’affaires exceptionnelles, de rabais fantastiques, de déballages inhabituels ? D’ordinaire, la direction nous prévient de ce genre d’action qui entraîne toujours un afflux supplémentaire de clientèle. »Gustave fait pivoter son siège et se place au plus près d’un autre écran, celui qu'alimente une des caméras de l’entrée principale : la foule se presse jusqu’à l’extérieur de la galerie marchande et semble bloquée dans son élan… Son bip grésille. Un message. – Allo ! Allo ! Chef, Serge à l’entrée. Y a trop de monde, on ne contrôle plus rien. Ça commence à râler… – Ok Serge, bien reçu. Laisse entrer. Je demande du renfort et j’arrive. Gustave appelle deux vigiles, en pause, et deux autres, chez eux, afin qu’ils avancent immédiatement leur prise de service. Puis il descend, comme il dit, dans l’arène. Habituellement, dans son dos, les vigiles disent en piste, car Gustave apparaît plutôt comme un clown que comme un gorille. Son visage et son cou massif, taillés d’un seul bloc, reposent sur des épaules maigrichonnes. Sa poitrine creuse souligne, par contraste, son volumineux et débordant ventre rond. Le tout s'articule sur des jambes que l’on devine débiles sous son pantalon de flanelle trop large. Il n’a, au dire de toute l’équipe, ni la carrure d’un vigile, ni le charisme d’un chef. Ce qui lui vaut ce poste, c’est d’être le frère du directeur. Les plus courantes de ses occupations consistent à ingurgiter des viennoiseries et à réduire en cendres des cigarillos, dans le coin fumeur, devant la porte de service par où l’on pousse les poubelles malodorantes. Il prétexte, sans aucune gêne, le contrôle du contenu des bennes pour y passer des heures dans un nuage de fumée âcre.
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Gustave rejoint Serge à l’entrée et reste interdit devant le spectacle. Un raz-de-marée, une déferlante ! Serge, qui l’a aperçu, lève les bras en signe d’impuissance. Gustave lui répond d’un geste de semeur qui signifie : « Laisse, laisse ! » La foule est quasiment silencieuse, et c’est ce qui l’inquiète le plus. Serge, excédé, l’interpelle froidement, sans élever la voix. Il retient une colère sourde. – C’est maintenant que tu arrives !… À quoi ça sert les écrans ? Tu te branles là-haut, ma parole, pendant qu’ici c’est l’invasion ! Ce qui se passe, je n’en sais rien, mais ils rentrent tous les mains vides : pas de sac, pas de caddie… Si, juste deux clientes, qu’on va dire normales, poussent un chariot, visiblement intriguées et mal à l’aise. Dans un premier temps, seul le patron, mains crispées sur la rambarde de la galerie qui court au-dessus de la ligne de caisses, sourire satisfait aux lèvres, avait pronostiqué un chiffre d’affaires exceptionnel. Il avait ordonné que toutes les caisses soient ouvertes. Mais maintenant, le doute… Le doute, car les pre-miers clients qui se présentent, ne tiennent, serrés contre leur poitrine, qu’un pain, une baguette, une couronne, c'est-à-direDU PAIN… brandi comme un symbole, comme un dû, comme un indiscutable moyen de vivre, de survivre peut-être. Ils ne le posent pas sur les tapis qui avancent à vide, mais, fixant hôtes et hôtesses de caisse dans les yeux, ils passent au travers de cette ligne imagi-née, fiers, exaltés. Quelques caissières pressent sur les boutons d’appel au secours. Deux ou trois vigiles vont se précipiter, réflexe conditionné, vers ces caisses dont les numéros clignotent, quand Gustave, dans un sursaut de lucidité, les stoppe dans leur élan. – Je crois que nous ne devons pas intervenir, dit-il. Aussitôt Serge téléphone au commissariat et expli-que la situation. Bruno, le chef du rayon « boule-pâte », fonce droit sur Gustave, à contre courant de la foule qui continue de
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s’engouffrer dans l’allée centrale. Sa petite voix aiguë lance ses flèches au-dessus de la marée humaine silen-cieuse, grave, têtue, déterminée… – Y a plus de pain ! crie-t-il. N’y allez pas, le rayon est vide ! Plus de pâtisseries, plus rien ! Gustave, bon Dieu ! baisse le rideau ! Gustave !… le rideau !… « Baisser le rideau ? »réalise enfin. Gustave Jamais il n’avait envisagé de fermer un jour le magasin pour cause de déferlante de clientèle.« Mais, est-ce possible ?» Il va essayer.Il demande à ses gars de se poster devant la ligne des caisses pour décourager toute tentative de passage en force et se précipite, trousseau de clés en main, vers le boîtier qui commande manuellement le rideau de l’entrée principale. Mais, à sa grande surprise, devant le rideau la foule n’insiste pas, fait demi-tour et s’en va ! « Discipline,pense Gustave.Cette foule est disciplinée, organisée, pacifique : c’est une manifestation construite et encadrée. »Les derniers de ces curieux clients franchissent les caisses les mains vides. Le reflux se tarit aussi vite que le flux a submergé les rayons. Le personnel reste figé, hébété, silencieux, sous le choc ; puis, comme répondant à un signal mystérieux, les commentaires fusent autour des caisses où tous se sont rassemblés. Les deux clientes, dites normales, déposent leurs achats sur les tapis de deux caisses différentes ; les caissières réagissent de la même manière : – Laissez, Mesdames, laissez, vous pouvez sortir avec vos chariots. Mais les clientes insistent. – Mais non, nous voulons payer, enfin ! Nous ne sommes pas des voleuses. – Vous comprenez bien que c’est particulier au-jourd’hui, mesdames. C’est spécial, gratuit, profitez-en. Si l’une des deux, un peu inquiète tout de même, sort avec son caddie plein, l’autre préfère abandonner le sien et repartir comme elle est venue.
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