Tour Puccini
91 pages
Français

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Tour Puccini , livre ebook

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Description

Un manoeuvre qui doit livrer un mystérieux colis dans une des tours du Chinatown parisien, un banquier en proie à une inquiétante rencontre avec son passé, un footballeur mis au ban de son équipe... Des personnages sans grade, désoeuvrés, étranges animent les sept récits de ce recueil. Chacun incarne à sa manière la difficulté d'exister dans le monde incompréhensible qui l'entoure. Heureusement, la rêverie et le voyage intérieur constituent parfois des échappatoires salutaires.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juillet 2010
Nombre de lectures 34
EAN13 9782296935976
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0450€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Tour Puccini
et autres nouvelles du ruban
 
 
 
© L'H armattan, 2010
5-7, rue de l'Ecole polytechnique, 75005 Paris
 
 
Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
 
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
 
ISBN : 978-2-296-12551-3
EAN : 9782296125513
 
Eneko D. Hiriart
 
 
 
Tour Puccini
 
et autres nouvelles du ruban
 
 
 
L'H armattan
 
TOUR PUCCINI
 
J e trainais pas mal en ce temps-là dans un des rades de la place J d'Italie, un vrai repère de petites frappes et de tapins, aux confins des derniers contreforts rupins du quartier latin et des fourmilières kitaïstes du treizième arrondissement où chaque tour concentre, à elle seule, la population et les mystères d'une ville.
Comme je n'en avais pas un en poche, la fortune m'infligeait mille chômages misérables je suppliai le patron des établissements Da Silva Hermanos, de me mettre sur un coup.
Passe me voir demain, qu'il me fit en train de mastiquer un paris-beurre caoutchouteux, j'ai peut-être quelque chose pour toi.
Le jour suivant, il m'attendait avec dans les mains un colis de forme ovoïde, emballé dans du papier rugueux. L'objet était assez lourd, trop pour que ce soit de la dope ou un détonateur, observai-je, avec soulagement.
Écoute-moi bien Toto, tu vas suivre mes instructions à la lettre.
Le Guèche avait une mine grave qui. encadrait sa moustache jaunie d'amateur de cigarillos.
Qui dois-je descendre, chef ?
Fais pas l'andouille, reprit-il, il s'agit d'un job sans risque à condition de bien m'écouter.
D'après les consignes, je devais me pointer au vingtième étage de la tour Puccini une de ces Babel minérales du quartier Masséna remettre à un vieux cantonnais dénommé Mr Ho le colis en mains propres, lui signifier : « c'est le Rat qui m'envoie » et tourner les talons.
Et c'est tout, chef ?
T'as que ça à faire, je te dis... Mais surtout, évite de lui causer, t'as bien compris ? Il est embrouilleur comme pas deux ce gars. À ce qu'il parait, il a fait de sales coups dans le secteur.
Je me doutais bien que le contrat cachait quelque chose de louche un objet précieux tombé du camion ou je ne sais quelle autre magouille qui échappait à ma cervelle ramollie de manœuvre mais la tâche semblait sans efforts et on topa là, d'un commun accord.
Da Silva se délesta de trois billets qu'il me glissa dans la poche puis quitta le troquet non sans avoir recouvré quelques jetons de présence auprès des marlous accoudés au zinc.
 
La vie était belle en cette matinée blême de février, je me refaisais un peu.
Pour fêter la nouvelle, je me payai un bon bouillon à la mode de Hanoï, au Phô 14, une cambuse vietnamienne et grouillante du quartier. On me fit prendre place sur une banquette éventrée, le colis assis sagement à mes côtés, en face d'un type venu seul comme moi. Le gars devait être un Viêt, visiblement un habitué, vêtu à l'occidentale avec une casquette à carreaux. Il me salua d'un acquiescement du chef, cependant que je demandai la carte.
Une phô spéciale, avec tripes et boulettes de bœuf, commandai-je à la maigrichonne préposée au service.
L'homme eut une moue approbatrice.
C'est un plat de chez moi, je suis de Haiphong.
Je lui retournai le sourire et lui tendis mon paquet de gauloises :
Ça vous parle la tour Puccini ?
Puccini ? Rien de plus facile, s'enthousiasma-t-il en tirant une tige. Suivez la rue, c'est juste à côté des supermarchés Tang. Il y a de bonnes choses là-bas, vous verrez !
Comme je n'avais rien à faire cet après-midi-là, je me retrouvai, après avoir longé l'avenue, au pied de la tour, dont le sommet semblait se confondre avec le ciel.
Jusqu'où diable peut-elle bien grimper ? m'interrogeai-je, cependant qu'un flot nourri de gamins braillards quittait le hall en courant.
 
La tour Puccini, comme son nom l'indique, est, au même titre que les tours Ancône, Bologne ou Verdi, principalement peuplée d'Asiates. De ses toits, on peut observer les nombreuses gargotes aux idéogrammes enluminés qui bordent l'avenue de Choisy ainsi que, le jour du nouvel an chinois, le char géant passer devant le Mc Donald version cinq parfums.
Les murs de cette tour alimentaient les fantasmes les plus singuliers. Ils demeuraient, disait-on, farcis de cadavres de règlements de comptes entre triades qu'on avait coulés dans le béton à leur construction. D'après les racontars, les appartements étaient peuplés de bouchers pratiquant l'avortement clandestin au stade ultime de la grossesse, de nems conçus dans les baignoires stagnantes et souillées, de chirurgiens esthétiques formés à l'école Khmère rouge, de tripots d'esclaves mineurs rappelant les grandes heures de Cholon, de gredins hongkongais sanguinaires et pire il y avait même eu une fois, mais rien n'était moins sûr, un prix Nobel de littérature.
Moi, je ne croyais qu'en une seule divinité à cette époque, le dieu de papier Picaillon dans lequel mon salut résidait, et toute cette mythologie fantasmagorique, qui me semblait bonne pour les concierges barbues en collants crème, ne valait pas tripette.
Je pénétrai donc dans le hall, il était étonnamment clair et soigné, des yuccas et autres ficus faisaient face à de larges baies vitrées où se diffusait la lumière pâlichonne de février. Sur l'interphone, se planquait parmi le peuple séculaire des Chang, Ping et autres Yao un certain professeur Ho, appartement 2093. Je pressai le bouton.
Quelques secondes passèrent. Pas de réponse.
Je vérifiai de nouveau le nom sur l'interphone, pas de doute, il s'agissait bien du seul Ho de la résidence.
Qu'est-ce qu'y trafique le vioque ?
Cette histoire s'engageait mal.
Posant cette fois-ci le colis au sol, je tentai de nouveau ma chance.
Qu'est-ce que c'est ? finit par répondre une voix grésillante et frêle.
Le Rat m'envoie, m'essayai-je.
Ah ! fit l'autre avec une pointe de réjouissance dans le timbre, montez ! Vingtième étage à droite au fond du couloir.
Tour à tour manutentionnaire, coursier, livreur, j'ai beaucoup vadrouillé dans ces wagons de la verticalité que sont les ascenseurs. Chacun a son odeur caractéristique qui souvent rebute la première fois que l'on y grimpe : puant le graillon, empestant la bombe odorante brise marine qui brûle les yeux, exhalant des effluves viciées de clébard mouillé de retour de promenade ou de chatte rousse. Celui-ci était frais et engageant et il ouvrit ses portes en gare du vingtième, où sur le palier, un groupe d'Asiates s'exerçait au tai chi.
L'un d'entre eux me fit signe de la main :
C'est par là, il vous attend.
Je longeai donc le long couloir, avec le pas viril et assuré des rouleurs de mécaniques de la rue Losserand pour me donner un peu de la contenance qui me faisait défaut. Au bout, une porte rouge sur laquelle était suspendue une lanterne fumante.
Toc, toc, toc !
Un vieux chinois en peignoir, difficile de dire s'il penchait vers les soixante ou les quatre-vingt-dix ans, m'ouvrit le sourire aux lippes. Je lui tendis le colis qu'il prit délicatement dans ses mains.
Entrez donc deux minutes, jeune homme, je vous en prie.
Me souvenant des bons conseils de cet escroc de Da Silva, je déclinai poliment.
Vous ne voulez pas ? c'est bien dommage, j'avais quelque chose pour vous.
Le visage du pauvre vieux dégageait douceur et tranquillité. Il y avait dans ses yeux un je ne sais quoi d'apaisant et de familier, un regard évoquant un aïeul qu'on n'a jamais connu et qui semble étonnement proche, un flux séduisant et fraternel qui tentait de m'amadouer en me chuchotant : « Entre donc, Toto, n'aie pas peur ! ».
Je parcourus une nouvelle fois l'ancêtre du regard, songeant que ce petit homme grêle et arqué ne pouvait manifestement me chercher les noises.
Et puis, je ne résistai pas à l'envie de pénétrer dans le cœur de cette tour aux mille rumeurs folles ; il me vit franchir le pas avec une satisfaction non dissimulée.
À la bonne heure !
 
L'appartement n'avait rien de Byzance. C'était un banal deux pièces décoré 

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