Vieillesse
128 pages
Français

Vieillesse , livre ebook

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128 pages
Français

Description

Dans ce livre de conversations sur la vieillesse, Lucile, 80 ans, se souvient. Après la mort de son mari, elle a été placée dans une maison de retraite et, depuis, ne cesse de se débattre pour en sortir. Car, si le personnel médical considère qu'elle n'est plus en état de vivre chez elle, Lucile, elle, est persuadée du contraire. Et Lucile se rebelle : contre le corps médical, contre son propre corps qui ne la suit plus tout à fait, contre la société qui assigne une place particulière à ceux qu'on n'ose plus nommer vieux.

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Informations

Publié par
Date de parution 04 novembre 2013
Nombre de lectures 24
EAN13 9782336329574
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0550€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Renée Guillaume
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Vieillesse
Collection « Vivre et l’écrire » dirigée par Pierre de Givenchy ‘‹” ‡ ˆ‹ †ǯ‘—˜”ƒ‰‡ Žƒ Ž‹•–‡ †‡• –‹–”‡• †‡ Žƒ …‘ŽŽ‡…–‹‘
Renée Guillaume
Vieillesse
Du même auteur Poèmes du long silence, éditions P. J. Oswald, 1972 Un silence étourdissant, Albin Michel, 2002. Premier Prix du Livre Sélection Un invisible destin ?, éditions Praelego, 2009 © L’Harmattan, 2013 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.harmattan.fr diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-343-01359-6 EAN : 9782343013596
FIN DE VIE
Fin septembre ; glorieuse clôture des beaux jours. La mer léchait voluptueusement la rive de sable qui séchait vite en brunissant. Un ruban blanc ondoyait entre le bleu et le brun pâle qu’elle unissait et séparait. Quelques marmots se lançaient des seaux d’eau. D’autres se cachaient dans des rouches pour épier les amoureux. Seule, Lucile était assise sur une petite crête mélancolique. Contraste aux quelques touristes assemblés. Une minute auparavant ses deux meilleurs amis étaient rassemblés autour d’elle, un homme et une femme. Ils venaient de la quitter. Il l’avait fallu. Un homme surgit derrière elle. « Allons, Lucile, sois raisonnable. À ton âge tu ne peux pas être dorlotée comme un bébé. À chacun sa vie. » « À chacun sa vie, murmura la jeune femme, pensive. Mais ne peut-on la partager avec ceux qu’on aime ? Ne seraient-ce que quelques années éclatantes ? -– Parle plus fort. Avec ce vent tes mots s’envolent et tes phrases dansent sur la plage. Perdues ! » D’un mouvement nerveux Lucile se leva jambes croisées. « Tiens, allons-nous en ! – C’est ça », fit l’homme. Il prit Lucile par le coude d’un mouvement possessif et l’entraîna vivement vers la maison rurale où ils passaient leurs vacances.
C’était il y a trente ans. Une Lucile méconnaissable tré-buchait à pas lents sur ses jambes énormes. Bouffie, pâlie, hésitante, elle avait l’air d’une vieille femme bien malade. Le même homme l’accompagnait, lui aussi bien différent d’il y avait trente ans. Il avait rapetissé, dos courbé, jambes trem-blotantes, teint ictérique. Il la suivait comme pour la surveiller. Aucun échange entre eux. Parfois Lucile
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marmonnait quelques mots élémentaires. « Nuage », et elle pointait du doigt un gros oreiller presque noir qui les survo-lait. « Pluie, Robert, pluie. » Robert levait la tête, hâtait le pas. Leur maisonnette transperçait les feuillages de ses ban-deaux de brique qui surmontaient les fenêtres. La porte sem-blait ouverte. « La porte ! Tu as oublié de fermer la porte », cria Robert. En guise de réponse, Lucile rit, et pointa du doigt le gros oreiller noir qui s’effrangeait. « Orage. » Robert la dépassa aussi vite qu’il put. Mais non, c’était un reflet sur les petits carreaux que la fenêtre renvoyait sur la porte. Il s’arrêta, mit la main sur son cœur : « Tu m’as fait une peur, pauvre Lucile. – Lucie malheureuse ! – Oui, je sais. Pardon, pardon. – Malheureuse quand Robert n’est pas gentil. » Robert doucement la prit par la main et ils descendirent jusqu’à la maison, y entrèrent et Lucile laissa la porte ouverte bien que le tonnerre se mît à gronder, accompagné de zig-zags brutalement lumineux.
*** Ils avaient longtemps hésité avant de quitter cette maison de Vendée qu’ils chérissaient. Retourner dans leur grande ville de l’Est malgré leur somptueux appartement, se heurter aux voisins, se cogner contre le bruit, les bruits implacables de la rue, la discordance des passants, la disharmonie des archi-tectures, tout ce qui pour eux était laideur, comparé aux souples crêtes de sable dominant la mer, retardait leur retour. Ils hésitèrent tant et tant qu’une neige précoce bloqua les routes, et entrava leur départ. Ils se réinstallèrent donc dans cette maison d’été, mal chauffée, aux portes mal jointes, et sans femme de ménage. Ils avaient, pour se consoler, un soleil chaque jour, et le souffle assourdi des vagues contre la rive.
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Le plus pressé était de trouver une ménagère, pour ne pas gâcher le repos de Lucile. Robert aussi était las, gravement cardiaque. Le voyage de retour, tant de kilomètres en auto, l’effrayait un peu. Vers le milieu de la nuit, Lucile se mit à gémir. Le lende-main matin, affalée devant son petit déjeuner, elle tenait apathiquement sa cuillère, les yeux baissés. Elle ne répon-dait pas aux questions anxieuses de Robert. Elle remonta se coucher, avançant avec peine, soutenue par Robert. Elle se remit à gémir, vagissant presque comme un bébé. Le lendemain, la voyant dans le même état, Robert appela le médecin, qu’il ne connaissait pas encore. Celui-ci l’exa-mina longuement, soigneusement, interrogea Robert, et conclut à un AVC, accident vasculo-cérébral. L’hospitaliser devenait une exigence immédiate. L’hôpital le plus proche, aux Sables d’Olonne, était au tiers vide en morte saison. Le médecin lui y trouva sur-le-champ une place. L’ambulance partit entourée de l’appel sinistre de sa sirène et Robert pleurait. Sa Lucile reviendrait-elle jamais dans leur petite maison où il faisait la vie douce à sa femme ? Bien que Lucile fût souvent capricieuse et même acariâtre, il l’avait aimée sur-le-champ. Son charme enfantin l’avait sé-duit, ainsi que sa culture. Il sortait d’un divorce qui l’avait déchiré. Son fils adulte ne se préoccupait pas de lui. Lucile avait brisé sa solitude comme seul un enfant est capable de le faire, emplissant sa vie de sons légers, rafraichissants, qui ne pesaient pas trop lourd sur son affectivité. Elle ne l’entraî-nait pas dans de profondes spéculations philosophiques, plu-tôt dans des remarques souvent malveillantes ou drôles sur autrui. Il lui offrait des fleurs, la promenait, l’emmenait souvent au restaurant, lui chantait – faux – des fragments de chan-sons qui se levaient des coins inattendus de sa jeunesse. Elle en riait, ayant l’ouïe délicate.
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