Jésus misérable - La christologie du père Joseph Wresinski
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Description

Lire l’Évangile « à partir des plus pauvres » : telle est la voie à laquelle s’est attaché le Père Joseph Wresinski (1917-1988), le fondateur du mouvement « ATD Quart Monde », et c’est sur cette voie d’accès au mystère du Christ qu’il nous entraîne. Le Père Wresinski a compris et mis en œuvre une « christologie des pauvres » dont on voudrait montrer dans cet ouvrage combien elle peut être d’une décapante « richesse ».

La Bonne Nouvelle de l’Évangile doit être annoncée aux pauvres et, dans un même temps, les pauvres sont les premiers à l’annoncer ! Or, cette identification entre l’annonceur et le bénéficiaire du message évangélique s’accomplit dans la personne même du Christ : c’est bien parce que Jésus s’est fait « misérable », parce qu’il s’est identifié aux pauvres et « abaissé » jusqu’à eux, qu’il a pu bénéficier du salut qu’il leur annonçait.

La présence d’un tel volume dans la collection « Jésus et Jésus-Christ » pourra surprendre, Joseph Wresinski n’ayant jamais eu la prétention de faire œuvre de théologie. Ce choix éditorial entend précisément démontrer que l’expérience humaine aux côtés des plus pauvres peut devenir la source authentique d’une pensée proprement christologique.

Une collection de référence en christologie sous la direction de Monseigneur Doré.


Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 25 mars 2011
Nombre de lectures 17
EAN13 9782718907857
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0097€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Image couverture
Image page de titre
Imprimi potest
21 mars 2006
Daniel Sonveaux, s.j. prov.
© Desclée, Paris, 2006
ISBN : 978-2-7189-0785-7
Abréviations
HP :Joseph Wresinski,Heureux vous les pauvres !, Paris, Cana, 1983.
PRVD :Joseph Wresinski,Les Pauvres, rencontre du vrai Dieu, Paris, Le Cerf / Science et Service Quart Monde, 1986 ; nouv. éd., 2005.
PSE :Gilles Anouil,Le Père Joseph, les pauvres sont l’Église, entretiens du Père Joseph Wresinski avec Gilles Anouil, Paris, Les interviews, Le Centurion, 1983, réimprimé en 1994.
Présentation
Je dois d’emblée une confidence au lecteur qui se trouverait quelque peu étonné, voire choqué, par le titre de ce nouveau numéro de la collection « Jésus et Jésus-Christ » : j’ai connu moi-même un moment d’hésitation en en prenant connaissance, même si je n’ignorais pas qu’une telle thématique était chère au Père Joseph Wresinski.
Cela dit, il me semble que ce qui doit poser question, ce n’est pas l’expression « Jésus misérable » en elle-même, mais la difficulté que nous éprouvons à la recevoir : si nous confessons « Jésus qui s’est abaissé jusqu’à l’extrême », comment ne pas admettre qu’il ne s’est pas contenté de rencontrer la « pauvreté », mais qu’il a accepté de descendre jusqu’à la « misère » ? Ce faisant, n’est-il pas bel et bien devenu « Jésus misérable » ?
Le Père Wresinski a parfaitement compris cela, lui qui est né dans la misère, lui qui l’a côtoyée toute sa vie, lui qui a toujours voulu la combattre, lui qui a eu l’audace de la dénoncer comme une véritable atteinte aux droits les plus fondamentaux de l’homme, et de réclamer qu’on la proclame hors-la-loi. Seul le titre de « Jésus misérable » était donc capable de restituer la profondeur de la réflexion christologique de cet homme exceptionnel.
Dès à présent, il nous faut chaleureusement remercier le Père Jean Lecuit, qui a eu la chance de dialoguer avec le Père Wresinski pendant vingt-cinq ans, d’avoir accepté de nous transmettre un bel écho du regard particulier que celui-ci portait sur la personne de Jésus et sur son enseignement.
1. Une christologie d’en-bas
Les théologiens connaissent bien la distinction entre une christologie « d’en-bas », qui part de l’expérience humaine de Jésus en ce monde, et une christologie « d’en-haut », qui préfère contempler d’abord le projet éternel du Père envoyant son Fils dans l’humanité. Ici, l’expression « d’en-bas » prend un autre sens : elle indique l’apport considérable réalisé par les pauvres eux-mêmes dans la connaissance de Jésus et dans la contemplation de son mystère. Jean Lecuit nous restitue avec conviction cette découverte fondamentale de Joseph Wresinski : non seulement il est possible de lire l’ensemble de l’Évangile à partir des plus pauvres, mais cette lecture particulière se révèle d’une particulière « richesse » ! Il n’y a à vrai dire rien d’étonnant à cela, puisque la méthode revient alors à adopter pour une large part l’angle d’approche de Jésus lui-même. Mais encore faut-il accepter de se risquer dans cette voie souvent décapante…
Lire l’Évangile « à partir des plus pauvres » revient en effet à considérer la manière dont Jésus les rejoint, la façon dont il leur parle, l’appel qu’il leur adresse, la dignité qu’il leur rend. C’est la voie à laquelle s’est attaché le fondateur d’ATD Quart Monde, et c’est sur cette voie d’accès au mystère du Christ qu’il nous entraîne. Si nous retrouvons au passage les concepts théologiques bien connus d’incarnation ou de kénose, nous les découvrons avec une nouvelle saveur : la méditation du Père Wresinski les réincarne, alors même que ces concepts courent le danger permanent de devenir plus ou moins éthérés. Les pauvres d’aujourd’hui nous donnent l’image incarnée des pauvres du temps de Jésus ; et la rencontre de la misère si présente encore aujourd’hui dans notre société, nous laisse entrevoir mieux que toutes les pieuses considérations bien intentionnées les « misérables » que Jésus a rejoints lorsqu’il s’est « abaissé » jusqu’à eux.
2. Une christologie des pauvres
« La Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres » : Jésus a repris à la synagogue de Nazareth cette parole du prophète Isaïe pour en faire un des critères déterminants de l’avènement du Règne de Dieu. Ce critère ne s’applique d’ailleurs pas seulement à la période limitée où Jésus a accompli sa mission par lui-même. Il demeure un signe permanent qui accompagne et distingue cette même mission telle qu’elle se poursuit à travers les disciples de Jésus. Ne faut-il pas bien, dès lors, nous interroger sur ce que l’Église d’aujourd’hui met en œuvre pour que l’annonce aux pauvres se maintienne et s’intensifie ?
Joseph Wresinski a spécialement médité sur le beau corollaire de cette affirmation : si la Bonne Nouvelle doit être annoncée aux pauvres, nous ne devons surtout pas perdre de vue que les pauvres sont en fait les premiers à nous l’annoncer ! C’est déjà le cas dans les récits de l’Évangile, où nous recevons le témoignage d’une multitude de gens pauvres et simples : les bergers de la crèche, la pauvre veuve, les foules de malades et de mendiants ; mais cela se vérifie encore bel et bien aujourd’hui. Le Père Wresinski a compris dans son intelligence et dans son cœur que les pauvres sont dans un même temps les premiers bénéficiaires de la Bonne Nouvelle et ses meilleurs annonceurs, puisqu’elle les concerne en premier lieu. Or, cette identification entre l’annonceur et le bénéficiaire se réalise de la même manière dans la personne du Christ : c’est bien parce que Jésus s’est fait « misérable », parce qu’il s’est entièrement identifié aux pauvres, qu’il a lui-même pu bénéficier du salut que son message leur annonçait.
3. Une christologie de l’expérience
La présence d’un tel volume dans la collection « Jésus et Jésus-Christ » pourra surprendre, Joseph Wresinski n’ayant jamais eu la prétention de faire œuvre de théologie. Ce choix éditorial voudrait précisément contribuer à faire reconnaître combien l’expérience humaine peut devenir la source authentique d’une pensée proprement christologique.
Certes, le Père Wresinski a nourri sa réflexion sur Jésus le Christ d’abord par ses études initiales et ses lectures régulières ; mais il l’a aussi développée en fonction des expériences fortes qu’il a vécues aux côtés des plus pauvres. Il a su dépasser le simple constat et faire de ses rencontres quotidiennes, éclairées par sa foi au Christ, le lieu d’une mise en perspective théologique de l’existence humaine. Ce faisant, il trace une voie essentielle, qui repose sur une incessante fertilisation croisée entre expérience humaine et expression théologique.
Serait-ce à dire que les riches n’ont pas de place dans la vision christologique de notre auteur ? – Au contraire, sa fréquentation des pauvres ne l’a pas éloigné d’eux, elle l’a rapproché de tous et l’a éveillé à la mission propre à chacun : aux pauvres, il a révélé la possibilité d’exprimer l’Évangile par leur seule pauvreté, mais il a aussi appris aux riches quelle peut être leur mission spécifique. Et cette expérience se poursuit à travers la belle aventure d’ATD Quart Monde et des Cercles Joseph Wresinski, où des hommes et des femmes de toute condition, unis par une même conviction et une même volonté, s’engagent dans la lutte contre la misère. Tout cela est très clairement expliqué et commenté dans le présent ouvrage.
*
* *
Si nous voulons recevoir l’Évangile dans sa plus grande fraîcheur, il nous faut accepter que les pauvres ne soient pas seulement ceux à qui nous l’annonçons, mais aussi ceux de qui nous le recevons. Voilà pourquoi il m’a paru si important que, dans cette collection détaillant les facettes du mystère du Christ, un écho significatif soit donné à un témoin qui a parfaitement compris et vécu cette caractéristique essentielle, mais trop souvent cachée, d’un Jésus qui s’est fait pauvre au point, inouï, de pouvoir s’inclure dans sa propre action de grâce lorsqu’il proclame : « Je te bénis, Père, pour ce que tu révèles aux tout-petits […] »
Joseph Doré
Archevêque de Strasbourg
Avant-propos
Ma première conversation avec Joseph Wresinski date de février 1973. Engagé, en 1978, comme volontaire-permanent dans le mouvement ATD Quart Monde qu’il avait fondé, j’ai eu l’occasion de le rencontrer souvent jusqu’à sa mort en février 1988. Ses homélies, ses interventions dans des haltes spirituelles qu’il animait, ses écrits et surtout les quatre ouvrages qu’il publia à partir de 1983 manifestaient à mes yeux une pensée théologique forte. Certaines expressions me heurtaient comme : « les pauvres sont l’Église », « Jésus misérable ». Il y tenait beaucoup. Quel sens leur donnait-il ? Quelle signification pouvait-on en donner ? Quel était leur enracinement dans l’expérience séculaire de l’Église ? Quelles en étaient les conséquences non seulement pratiques – sa vie et son œuvre en témoignaient – mais aussi théologiques ?
Les pages qui suivent sont nées de ces interrogations et d’une exigence. Joseph Wresinski n’était pas un théologien de métier. Son action, cependant, trouvait sa source dans la rencontre de Jésus-Christ au creux de la misère où il était né et qu’il a côtoyée toute sa vie. Au cœur même de cette rencontre il ne cessait de se poser des questions, issues de l’action elle-même. Il nourrissait sa recherche de nombreuses lectures de théologiens et d’exégètes, de conversations avec ceux d’entre eux qu’il pouvait rencontrer. Il s’alimentait aussi à l’expérience des personnes très pauvres qu’il a fréquentées toute sa vie. Ses interventions en tant que prêtre sont le fruit de cette expérience, de ces lectures et de ces rencontres. Elles sont ainsi porteuses de la théologie vécue au quotidien par un prêtre pour qui Jésus-Christ était toute la vie. Cette théologie forgée au creux de l’action a marqué le regard sur les pauvres et l’homme d’hommes et de femmes de toutes origines et à tous les niveaux de la société sur la planète entière. Cette théologie ne mérite-t-elle pas une tentative d’élucidation qui en montre la solidité, l’enracinement dans la tradition en même temps que la part de souffle qu’elle peut apporter à la réflexion théologique de notre temps ?
Tel est le projet de ce petit livre qui s’adresse tant à des théologiens de métier qu’à des chrétiens désireux d’entrer dans une meilleure intelligence de leur foi. Il voudrait introduire à une manière de comprendre ce que l’on appelle dans l’Église catholique « l’option préférentielle pour les pauvres » et son enracinement dans les choix mêmes de l’homme Jésus. La manière dont Jésus a vécu ses choix et leur conséquence, sa mort en croix comme un rejeté, l’ont fait reconnaître comme l’« homme qui venait de Dieu1 » par le groupe de ceux et celles qui le fréquentèrent de près et témoignèrent de leur expérience qu’il était désormais vivant à jamais. Leur propre vie et témoignage n’a cessé au cours de l’histoire de rassembler des hommes et des femmes autour de Jésus.
En tout temps, les chrétiens ont cherché à rendre compte de l’espérance qui était en eux, puisant dans l’arsenal conceptuel de leur expérience et de la culture de leur temps. Joseph Wresinski est l’un d’entre eux. Sa pensée a ceci de particulier, et peut-être d’original, qu’elle est celle d’un homme issu de la misère qui, par fidélité à sa rencontre avec le Christ, est resté présent toute sa vie aux hommes, femmes et familles les plus oubliés de son temps. Cette présence l’a amené à agir avec eux pour répondre à leur attente la plus profonde, celle de l’infirme de l’Évangile désirant guérir mais trop seul pour y parvenir2.
Tenter l’essai qui suit est plein de risques. Les choses les plus précieuses, en effet,
sont d’une nature telle qu’on ne peut les blinder ni les armer sans leur faire perdre leur nature. On ne peut même pas vraiment les défendre. Le soutien des disciples les rigidifient, les discours bien construits ou argumentés les rendent presque méconnaissables, la répétition les use. D’autre part, elles s’imposent rarement seules, elles ne sont jamais tapageuses ni bruyantes. Ce qu’elles ont de vrai, il faut le découvrir par soi-même. Elles se répandent par contagion, dans la pratique de la relation à d’autres. Qui cherche à sauter ces passages risque de les manquer3.
C’est dans cet esprit que nous livrons ces pages.
Introduction
1. Un chemin de découverte du Christ
Un matin de 1921, un petit garçon de quatre ans, vivant avec sa famille dans un taudis, rue Saint-Jacques à Angers, mène au pré la chèvre dont le lait nourrira sa petite sœur. Il passe donc, comme tous les matins, devant le couvent des religieuses du Bon-Pasteur. Ce jour-là, une des sœurs l’aborde et lui propose de venir quotidiennement répondre à la messe : « Je donnerai quarante sous à ta maman, chaque semaine. »
Très tôt, Joseph Wresinski, entrait ainsi en contact régulier avec l’Église. Depuis longtemps déjà il voyait sa maman prier. Le curé de la paroisse venait dans leur logis délabré pour y recevoir de sa mère le denier du culte. Le respect de cet homme pour sa mère l’avait impressionné. Dès son enfance, l’Église fait ainsi partie de sa vie. Et cette Église, il la perçoit proche des pauvres, respectueuse de tous.
Pour moi, l’Église, c’était la prière de ma mère, c’était ses silences, sa méditation. C’était aussi l’aumônier du Bon-Pasteur qui des centaines de fois par jour répétait : « Mon Dieu, je vous aime, mon Dieu, je vous aime… » C’était le curé de la paroisse respectant ma mère comme ne le faisaient pas les voisins. Toute pauvre qu’elle était, il venait lui demander le denier du culte et il recevait avec énormément de respect la pièce que ma mère lui tendait.
En regardant en arrière, je vois que la personnalité de l’Église, à mes yeux d’enfant, était humble et vulnérable comme ma mère, que sa réalité était le mépris dont on l’entourait4.
Toute mon expérience d’enfant m’avait appris la complicité entre l’Église et les pauvres, leur communauté de destin en Jésus-Christ.
Cette communauté, je la connaissais par ma mère : quand nous n’avions rien à manger, elle s’asseyait et priait. Je la connaissais par les religieuses du Bon-Pasteur qui nous offraient chaque jour la soupe, par les prêtres de mon enfance qui entouraient ma mère d’estime et d’affection. […] Elle (l’Église) ne les (les pauvres) ridiculisait pas. Mais aussi, le curé de la paroisse, l’aumônier, les religieuses me paraissaient sans défense eux-mêmes, pauvres jusqu’à la lie. J’ai toujours eu le sentiment d’une complicité5.
À l’âge où se bâtissent des sentiments qui imprègnent profondément la sensibilité et l’affectivité, Joseph Wresinski découvre des hommes et des femmes d’Église qui ont pour lui et les siens un respect qu’il n’observe pas, ou ne remarque pas, chez d’autres. L’Église, pour lui, est en connivence avec les pauvres, dont ils sont, lui-même et sa famille. Cette Église a une référence : Dieu que prie sa mère, et à qui le prêtre qu’il assiste chaque jour à la messe ne cesse de dire : « Mon Dieu, je vous aime. »
En grandissant, Joseph prendra ses distances par rapport à l’Église. C’est un compagnon de son milieu de travail qui, en l’invitant à une réunion de la JOC, lui fera reprendre un contact plus étroit avec elle6. C’est alors, dira-t-il cinquante ans plus tard :
en luttant parmi les plus pauvres et en donnant priorité à leur regard, qu’un jour je me suis réveillé d’Église. Tellement d’Église que je pensais qu’il fallait que je sois prêtre. Nul n’est prêtre sans une sorte d’attachement viscéral à Jésus-Christ. À lui, non pas comme symbole, mais comme réalité vivante de ce que le monde vit et que les plus pauvres autour de nous expriment et espèrent7.
À travers la lutte jociste […] j’ai commencé à songer à libérer mes frères […] Et combattre pour eux, pour que jamais plus une famille ne fût semblable à la mienne, c’était devenir prêtre de Jésus-Christ mort et ressuscité. Vous ne pouvez imaginer combien ce temps fut merveilleux. Je savais, en effet, que ma vie s’inscrivait dans un projet éternel, que les pauvres seraient évangélisés et que je contribuerais à changer le cœur des hommes. Car pour moi, tout était lié. Avoir retrouvé la foi, ce n’était pas seulement trouver le sens du combat – je l’avais – mais c’était vouer ma vie à Jésus-Christ8.
Le Christ découvert par Joseph Wresinski est un être vivant, proche des pauvres, attentif à chaque homme et à chaque femme. Par là il est libérateur pour toute personne et de là il embrasse et embrase le cosmos tout entier. Ce Christ, il l’a rencontré à travers des hommes et des femmes, membres de l’Église, qui dans le quotidien priaient et vivaient de Dieu dans une attention et une présence jamais démenties aux plus pauvres. Ces laïcs, à commencer par sa mère, ces religieux et religieuses et ces prêtres étaient souvent eux-mêmes pauvres et étaient engagés, dans les rencontres quotidiennes ou dans des mouvements d’Église, à la défense et à la promotion de la dignité des pauvres.
Toute son expérience christique, croyons-nous, a été le développement de cette découverte de ses vingt ans, préparée dans son enfance. Elle s’enrichira de l’espèce de révélation vécue lors de sa première visite au camp des sans-logis, le 14 juillet 1956 :
Je suis arrivé le 14 juillet 1956 et sur ce plateau dit le Château de France, le soleil répandait une chaleur torride, les ruelles étaient désertes, personne n’était dehors. Devant ce vide, je me suis dit : autrefois, les sources, les croisements de route, un clocher, une industrie réunissaient les hommes. Ici les familles sont rassemblées par la misère. C’était comme une inspiration. Je savais ne plus être en face d’une situation banale de pauvreté relative (comme on disait alors), de difficultés personnelles. J’avais affaire à une misère collective. D’emblée, j’ai senti que je me trouvais devant mon peuple. Cela ne s’explique pas, ce fut ainsi. Dès cet instant, ma propre vie prit un tournant, car ce jour-là je me suis promis que, si je restais, je ferais en sorte que ces familles puissent gravir les marches du Vatican, de l’Élysée, de l’ONU…9
Ces deux moments clés de l’existence de Joseph Wresinski seront la source de toute de sa contemplation du Christ. À la question : « Où est le Seigneur ? », il donnera progressivement une réponse.
Nous devons le rencontrer10. Il ne s’agit pas d’une démarche intellectuelle ni d’un avis personnel, mais d’une expérience. Et le Seigneur n’est peut-être pas là où nous voudrions le trouver. Normalement, il nous conduit plutôt là où nous ne voudrions pas aller. Il a passé sa vie à être autre chose et à être ailleurs, à ne pas être celui que ses contemporains voulaient qu’il soit […] Nous avons avantage à utiliser la boussole qui nous est donnée dans l’Évangile […] Elle nous oriente toujours vers un au-delà, vers un hors la ville, vers des chemins creux où personne n’a envie d’aller […] Somme-nous vraiment allés jusqu’au bout, jusqu’au plus exclu, mettant ainsi toutes les chances d’avoir le Christ avec nous11 ?
Au terme de l’approfondissement de sa rencontre avec le Christ12, à la fin de sa vie, Joseph Wresinski livrera qui sont pour lui le Christ et l’Église. Non sous forme d’un traité mais au hasard d’interviews, de méditations, d’homélies, de conférences, de messages et d’articles, dans des livres, enfin, qui laisseront entrevoir aussi les étapes de cette rencontre. En le faisant, il a veillé à s’assurer de l’exactitude historique, exégétique et théologique de ce qu’il avançait, distinguant toujours ce qui était accepté par l’ensemble des experts de ce qu’il proposait comme hypothèse.
Dans les pages qui vont suivre, nous voudrions découvrir ce Christ qui vivait au cœur du Père Wresinski et qui transparaît à toutes les pages de ses écrits. Ce travail est périlleux. Il risque, en se faisant systématique, de voiler l’infinie richesse de l’expérience du Christ de Joseph Wresinski. Elle s’exprime, en effet, en touches délicates ou en explosions flamboyantes dans la réponse à une question qui lui est posée, un commentaire, une prière… Mais il nous semblait utile de tenter de saisir les lignes et les articulations du tableau qui révèle la plénitude de la passion qui l’animait.
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