Jamais sans mon cab !
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Prêter une voiture à un ami durant un week-end peut s'avérer éprouvant...

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Publié le 29 mars 2012
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Langue Français

Extrait

Valentin
2012
Jamais sans mon cab !
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Jamais sans mon cab !
James Duncan, allongé sur un lit à baldaquin, ne dormait pas. Il était tard
pourtant, mais deux sujets le tenaient éveillés. L’un le préoccupait, l’autre
l’enchantait.
Le premier concernait Jeff, toujours Jeff.
Jeff était un bon copain, ils avaient fait les quatre cents coups ensemble. Il
appréciait sa gentillesse, ses rires spontanés, son côté casse-cou. Il était
parfois entrainé par son énergie, le regrettait de temps-à-autre, mais en
conservait toujours un bon souvenir.
James était le propriétaire d’un garage et en était très fier. Il avait attendu
longtemps avant d’en avoir un enfin à lui.
Son garage était constitué de cinq véhicules, deux véhicules de tourisme
plutôt anodins, une camionnette d’atelier, un cabriolet bleu qu’il utilisait
régulièrement, et enfin sa dernière acquisition, sa pièce maitresse, un 4x4 de
couleur noire, qu’il s’était juré de ne jamais prêter. Et c’est ce dernier qui
turlupinait James.
Jeff avait insisté, fait des pieds et des mains, pour que James le lui confie
pour le week-end. Et James avait cédé. Non qu’il ait une confiance absolue
sur le fait de le revoir sans éraflures, mais parce que James plaçait l’amitié
au dessus de tout. Et en cette nuit du vendredi au samedi, dans cette chambre
exigüe et ce lit qu’il n’affectionnait guère, James commençait à regretter.
Mais il ne pourra probablement rien faire avant lundi. Nous étions le week-
end précédant celui de Noël, et James avait pris l’habitude, depuis qu’il était
tout petit, de le passer chez sa tante, tante Julie.
Julie était la sœur de sa mère, elle avait un certain âge et était restée « vieille
fille ». Elle ne s’était jamais mariée et n’avait pas eu d’enfant.
James et sa petite sœur Elsa étaient ses seuls neveu et nièce. Alors, le week-
end d’avant Noël était sacré et tante Julie ne cachait pas son ravissement
d’avoir son neveu, rien que pour elle. Le week-end d’avant avait été le tour
d’Elsa.
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Tante Julie était la seule de la famille à résider dans la capitale et James avait
fait la route avec son cabriolet. Le trajet avait duré à peine une demi-heure,
mais après, il avait fallu se garer…
Le déroulement de ces deux journées restait immuable.
Le vendredi soir, calme, diner dans son appartement puis soirée télé. Le
samedi était dédié, après une matinée paresseuse, à un déjeuner dans un bon
restaurant puis l’après-midi, à la visite des monuments, des coins typiques,
des expos ou foires du moment. Ensuite, ce sera cinéma et le retour à la
maison. Le lendemain dimanche, James et tante Julie déjeunaient
rapidement, dans une pizzéria le plus souvent, car James aimait rentrer tôt
chez lui.
Le second sujet était Léa. Il avait croisé ses yeux magnifiques dimanche
dernier, au parc de la mairie de la petite ville où il résidait. Elle était
accompagnée d’un homme plus âgé qu’elle mais ils avaient tout de même pu
discuter quelques instants. Tout juste savait-il qu’elle venait d’emménager
récemment non loin de chez lui, qu’elle aimait les enfants bien élevés, en
faisant allusion à la bande de garnements, criards et accrocheurs, qui jouaient
au foot devant eux et qu’elle avait un sourire réjouissant.
James songeait à quand et où il pourrait bien la revoir lorsqu’il s’endormit
profondément.
Le lendemain matin, les rayons du soleil se faufilaient entre les deux lourds
rideaux bleu marine de sa fenêtre qui donnait sur une rue peu empruntée et
chatouillèrent le nez de James.
James se réveilla, un peu plus tôt qu’à l’accoutumée certes, mais de bonne
humeur toutefois.
Somme toute, le lit de la chambre d’ami de tante Julie n’était pas aussi
inconfortable que son souvenir ne le suggérait
et James n’aura durant près
de deux jours aucuns travaux à effectuer, contrairement à ce qu’il faisait
habituellement dans son pavillon de banlieue.
Il ouvrit la porte de sa chambre, tante Julie était dans son salon en train de
feuilleter un guide touristique de la capitale.
C’était une femme qui n’accordait pas d’importance particulière à sa tenue,
notamment le matin. Elle était vêtue d’une robe de chambre d’un rose
discutable
et portait des pantoufles trouées. De couleur verte, de surcroit.
-Bonjour James. Bien dormi ?
Myope comme une taupe, tante Julie avait rechaussé ses lunettes qui étaient
enfouies dans sa vaste chevelure rousse.
-Oui, tante Julie, merci.
-Tata Julie.
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Les années n’y faisaient rien. Tante Julie voulait absolument continuer à être
appelé tata et James avait parfois l’impression qu’elle ne l’avait pas vu
grandir et qu’elle le prenait toujours pour un gamin.
-Oui…tata Julie. Tu regardes le programme pour cet après-midi ?
-Oui, et je cale un peu. On a déjà fait tellement de choses. Je ne vais quand
même pas t’amener dans des bars louches ou des salons de massage.
-Eh bien, on improvisera. Tu sais où nous mangerons ?
-Là oui, je sais. Je nous ai trouvé un petit resto hongrois. Tu n’as jamais
gouté à la cuisine hongroise, j’espère ?
James réfléchit puis répondit par la négative.
-J’en était sûr, s’amusa-t-elle. Tu verras, c’est très bon.
-Bon, je vais prendre mon petit déj.
-Fais comme d’habitude, James. Tu connais la maison. Avant d’aller
déjeuner ce midi et si on a le temps, on pourrait aller au marché, j’en
profiterai pour faire quelques courses pour ce soir.
-Si tu veux, tante…tata Julie.
-C’est bien, se rengorgea tante Julie, avant de replonger dans son gros
bouquin.
Face au miroir, James se lavait les dents quand il repensa à Jeff.
Satané Jeff. Jamais James n’aurait dû lui prêter sa voiture neuve. Et puis ce
tour au marché ne lui disait rien, il avait bien envie de retrouver son garage,
juste pour y faire un tour.
James sortit de la salle de bains et sollicita tante Julie.
-Tante…tata Julie, ce matin, je préfèrerais m’occuper de mon cabriolet plutôt
que d’aller au marché…si ça ne te dérange pas.
James craignait de la décevoir. Quoi qu’il en soit, elle n’afficha aucun
sentiment de la sorte.
-Comme tu veux James. Nous irons déjeuner à midi pile.
-Compris !
James ouvrit la porte et la referma derrière lui. Durant un instant, il saisit
l’image de sa tante Julie, s’étirant longuement, en baillant. Parfois, il
ressentait quelque peine à la savoir vivre toute seule, et depuis si longtemps.
James rejoignit son cabriolet, sa voiture favorite. Il démarra et roula dans les
rues de la capitale. En dépit de l’air froid qui lui glaçait les tempes et des
rafales de vent qui lui striaient le visage, il n’avait pas mit la capote pour
mieux s’enorgueillir dans les yeux des passants et des autres automobilistes.
Il y avait beaucoup de monde, c’était bientôt Noël. Les arbres et les vitrines
étaient décorés, les gens, pressés et emmitouflés, s’affairaient aux achats de
cadeaux de Noël.
James roulait, il adorait conduire.
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Nous étions samedi et James hésitait. Soit continuer de naviguer à vue dans
les rues de la capitale jusqu’à midi, soit en profiter pour faire un saut à son
garage.
Il n’avait cependant rien de particulier à y faire, il s’y sentait simplement
bien. Il ferait sa petite inspection habituelle, vérifierait à la hâte l’état de ses
voitures et aurait peut-être la chance d’apercevoir un somptueux 4x4 noir,
rentré prématurément au bercail. Ou, à l’inverse, de découvrir avec stupeur
et effarement son tout-terrain cabossé et amoché. Et dans ce cas, il fera la
peau à Jeff ! James regarda l’heure sur son tableau de bord. Oui, il aura le
temps, allez, go !
James arriva plus tôt qu’il ne l’avait pensé, la circulation avait été fluide. Il
se gara facilement et se dirigea à pied jusqu’à son garage qu’il distinguait
déjà.
C’était un bel ensemble aux couleurs vives, sur deux étages.
James devra faire vite pour, dans un premier temps, vérifier que tout était
bien fermé, ce dont il ne doutait pas d’ailleurs, puis, après être entré par la
porte des bureaux, faire son petit tour, respirer l’air huileux des moteurs au
repos et s’imprégner de l’atmosphère des ateliers mécaniques.
Ensuite, il repartira à toute vitesse pour son déjeuner traditionnel avec tante
Julie.
A priori soulagé, James n’apercevait pas au loin d’épave de 4x4 noir devant
son garage.
Après tout, il se faisait sans doute du mauvais sang pour rien. Jeff devait
probablement s’en occuper comme de la prunelle de ses yeux et lui rendra sa
dernière acquisition lundi et en bon état, ainsi qu’il s’y était engagé. James
regrettera alors ses doutes et son inquiétude, mais il ne le lui dira pas. Pire, il
l’assurera certainement du contraire.
James n’était plus qu’à une vingtaine de mètres de l’accès à son garage
quand son regard fut attiré par la présence d’une personne massive qui
paraissait attendre devant l’entrée. C’était un colosse aux cheveux blonds
mi-longs. Ce qui intrigua James était moins sa position statique ou sa forte
musculature que son accoutrement. L’homme était vêtu d’un pantalon bleu
électrique, d’un tee shirt jaune et d’un blouson rouge. Il portait des bottes de
cuir marron.
James marcha d’un pas un peu plus lent. Oui, il n’y avait pas de doute,
l’homme attendait bien. Il pouvait tout bonnement attendre un piéton ou un
automobiliste mais le simple fait d’être devant la porte d’entrée de son
garage perturbait nettement James, désormais sur ses gardes.
Qu’attendait-il vraiment ?
James allait-il ouvrir la porte
avec sa clé ? S’il le faisait et si l’homme
voulait entrer, que se passera-t-il ? En combat d’homme à homme, James ne
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fera pas le poids. Et pour quelle raison ferait-il cela ? Pour de l’argent ? Pour
voler un de ses véhicules ?
James n’avait plus que quelques secondes pour décider.
Il pouvait tout aussi bien passer son chemin, continuer tout droit, comme si
de rien n’était. Puis faire le tour du pâté de maisons et regagner son véhicule.
Il repartirait chez tante Julie pour goûter la fameuse cuisine hongroise, bien
au chaud, pour la plus grande joie de ses papilles.
James connaissait d’avance les remarques de tante Julie, à table. Soit « que
tu manges bien, ça fait plaisir de voir tel appétit ! » ou
alors « tu ne finis pas
ton assiette, tu n’aimes pas ? » et toujours cette inoxydable question
inutilement puérile « optons-nous pour un gros ou un petit dessert ? ».
Mais il fallait bien reconnaitre que ce ne serait pas très glorieux. Effectuer
toute cette route pour passer à pied devant son garage au prétexte qu’un
hurluberlu stationne devant, serait assez ridicule. Allons, courage ! Et ce sera
une anecdote de plus à raconter à tante Julie à table.
James s’arrêta devant la porte d’accès aux bureaux de son garage et sortit sa
clé, il n’était qu’à deux petits mètres du géant.
Il engouffra sa clé dans la serrure, ouf, il s’était trompé, comme souvent.
James s’amusait presque de son caractère peureux.
-Vous êtes le proprio ?
-Pardon ?
-Je dis, c’est vous le proprio ?
James fit le tri express entre trois réponses possibles, oui, non, je ne sais pas.
Il dut admettre rapidement que les deux dernières n’étaient guère jouables.
-Oui.
-Je m’appelle Petros Zorba.
James avait bien envie de lui répondre « tant mieux pour vous ! » mais
préféra éviter l’ironie. L’homme poursuivit.
-Vous êtes l’ami de Jeff ?
Jeff, Jeff et encore Jeff. Qu’avait-il bien pu faire ?
-En effet.
-Et le 4x4 noir est à vous ?
-Euh, oui.
-Il est à moi, maintenant.
-Pardon ?
-Je dis, le 4x4 noir est à moi dorénavant.
-Je ne comprends pas bien, vous devez vous tromper. Je suis un peu pressé
mais revenez lundi, on en discutera.
James n’avait qu’une hâte, c’était de refermer la porte, à clé ! Et de laisser ce
superman à l’extérieur. Il fit un pas mais Petros Zorba en fit un également.
-Je n’ai pas fini.
Le ton était assez ferme, presque menaçant.
-Je vous écoute.
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-Nous avons joué au poker hier soir, au Paladium palace. J’étais avec des
amis et ce Jeff, que je ne connaissais pas, était avec une fille, une certaine
Léa. La partie s’est animée, des joueurs se sont éclipsés. A la fin, il ne restait
que nous deux. Et de nombreux spectateurs ! Et cette fille qui l’a entrainé à
jouer. Votre copain a joué, a bluffé et a perdu. Il a voulu se remettre à flot et
a déposé les clés du 4x4 sur la table. J’ai dit OK. On a rejoué, j’ai risqué mon
gain mais heureusement, votre copain a de nouveau perdu. Et j’ai gagné le
4x4. En plus, noir, c’est bien, c’est la couleur que je préfère. Après, il s’est
emberlificoté dans des explications vaseuses, comme quoi il n’était pas le
véritable propriétaire. Je lui ai alors indiqué que le dernier qui avait essayé
de me rouler se restaure désormais exclusivement de pissenlits par la racine
et tout s’est arrangé. J’ai les clés, j’ai le 4x4, mais maintenant, il me faut le
contrat de vente. Il m’a dit que le 4x4 appartenait au propriétaire de ce
garage et m’a donné cette adresse. Et me voilà ! Si vous êtes le proprio, nous
pouvons donc signer le contrat de vente. Vous avez un stylo ?
-Oui. Non ! Ecoutez, Jeff est effectivement un copain mais le 4x4 est
réellement le mien. Si vous avez une embrouille avec Jeff, il vous faut la
traiter avec lui. Je n’ai rien à voir avec cette histoire.
-C’est le 4x4 qu’il a misé.
-Eh bien, il vous achètera une miniature et vous remboursera autrement.
L’homme ne semblait pas apprécier la plaisanterie, James tenta de se
rattraper.
-Ecoutez, je vous le répète, je n’y suis pour rien, Jeff a joué quelque chose
qui ne lui appartenait pas. Cette histoire est abracadabrantesque.
-Comprenez-moi bien, je ne suis pas homme à se faire berner. Je vous
demande d’être là à 21 heures ce soir avec un contrat de vente dûment rempli
que nous signerons. Si vous n’êtes pas présent ou si vous essayez de me
rouler, j’utiliserai des moyens disons…radicaux.
-Ecoutez monsieur Zorbi…
-Zorba.
-Oui, monsieur Zorba, comprenez-moi également, je ne peux accepter de
vous donner purement et simplement ce 4x4.
-A ce soir, monsieur… ?
James hésita à donner un faux nom mais il ne devait pas être compliqué de
dénicher le nom du propriétaire de ce remarquable garage.
-Duncan. James Duncan.
-A ce soir monsieur Duncan.
Et il repartit.
James entra rapidement dans son garage et referma la porte, avec force.
Ses premières paroles furent de pester contre Jeff.
-Quel con, mais quel con !
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James était trop énervé pour réfléchir à la situation. Il décida de s’en tenir à
son timing. Tour des lieux, retour chez tante Julie, déjeuner, puis viendra le
temps de la réflexion.
Il eut du mal à faire abstraction de sa rencontre avec le géant bariolé. Il
traversa les bureaux, prestement, tout était bien rangé. Il pénétra ensuite dans
les ateliers mécaniques, l’odeur de cambouis lui fit du bien. Tout était en
désordre mais un peu moins qu’à l’ordinaire. La camionnette grise était
garée à sa place, la Peugeot et la Ford également. Les deux places vides
correspondaient à celles de son cabriolet et de son 4x4.
James s’en alla expressément, sans trop savoir si c’était la colère ou la
crainte d’arriver en retard qui le poussait.
Il revint rapidement au domicile de tante Julie, se gara et éteignit le moteur.
Il allait devoir reprendre la mine enjouée, et adorable selon le qualitatif
employé par tante Julie, du neveu idéal.
James ouvrit délicatement la porte. Tante Julie, apprêtée et maquillée,
zappait à l’aide de sa télécommande. La télévision était d’ailleurs le seul
élément « vivant » de la pièce.
Le visage de tante Julie paraissait éteint ou absorbé selon le point de vue
retenu.
Et toutes ces choses, du bibelot indétrônable aux livres figés de sa
bibliothèque, de la babiole de jeunesse au vase aussi proéminent que
prétentieux, du napperon jamais déplacé à la photo noir et blanc, toutes ces
choses avaient gagné comme le disait la chanson…
-Tu es prêt James ? Nous y allons ? Mais tu es tout rouge ?!
-C’est un rouge d’énervement, tante Julie, rien de grave.
-Tata Julie.
-Oui, tata Julie.
-Eh bien, en route ! Qui est-ce qui conduit ?
-Toi, je
parie !
James avait dit cela naturellement, c’était toujours elle qui conduisait quand
il lui rendait visite. Elle avait une petite voiture qui sommeillait la plupart du
temps sur une place de parking louée à l’année. Tante Julie se déplaçait
habituellement à pied ou utilisait les transports en commun pour ses trajets
intra-muros. Elle n’utilisait sa voiture que pour ses déplacements hors de la
capitale, comme pour se rendre chez James par exemple. Ou lorsque James
venait chez elle, « ça la fait rouler ! » disait-elle.
Tante Julie s’esclaffa.
-Gagné !
Trois quart d’heure plus tard (un pour effectuer le trajet, deux autres pour
trouver une place de parking), James et tante Julie étaient attablés, dans une
petite salle attenante à une plus grande, où manifestement un banquet se
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tiendrait le soir même. James avait quelques appréhensions sur la cuisine
hongroise. Il ne la connaissait pas et restait invariablement dubitatif sur la
plupart des cuisines étrangères. Du reste, le menu du midi affiché sur
l’ardoise, soupe de potiron, goulash et gâteau aux vermicelles, avait de quoi
l’inquiéter grandement, tout comme la mine grandiloquente du serveur à la
moustache et au costume traditionnels.
Mais le déjeuner se déroula tout à fait royalement, entre bons plats et
savoureuses confidences, harmonie des mets et discussions à l’unisson.
Après ce repas aussi inédit qu’agréable et les inévitables remarques
coutumières de tante Julie, cette dernière invita James à une visite de la
capitale en autocar. Ils prirent place tous deux au second niveau du car dont
l’originalité et l’intérêt résidaient dans le fait qu’il était découvert. Il y avait
une légère bise qui leur donna du rouge aux joues. Reposés, rassasiés,
simplement heureux, ils allaient pleinement apprécier cette balade en
hauteur. Tante Julie se serra auprès de lui, elle l’entourait d’un bras. James
plaisanta en disant qu’il avait troqué son cabriolet par un autre, plus
imposant et plus lent. Le plancher vibra, indiquant que le moteur venait
d’être mis en marche, puis l’autocar amorça, tel l’éléphant dans sa savane,
un départ lourd et chancelant, avant d’acquérir une allure sûre et régulière.
Tante Julie rayonnait. Elle désignait du bras à James tel monument, telle
statue, parfois les mêmes que l’année dernière, mais l’esprit de James fut peu
à peu happé par un souci résurgent.
Par delà les rires de façade,
les bruits de
circulation, les musiques de Noël captées ici ou là,
une obscure et entêtante
préoccupation picotait James sans relâche et elle portait un nom : Petros
Zorba.
Un détail le troublait également. Zorba avait mentionné une certaine Léa qui
accompagnait Jeff. Se pouvait-il être celle que James avait rencontrée par
hasard, il y a une semaine ? Et si oui, que faisait-elle avec Jeff ?
James concocta son scénario. Il étudia chaque possibilité, élimina les plus
risquées et les moins pertinentes, et retint les seules qui étaient, à son sens, à
la fois objectives et réfléchies.
-D’abord, profiter de cette virée, pour le plus grand plaisir de tante Julie et
du sien.
-De retour à l’appartement, il lui faudra probablement faire honneur à la
pâtisserie qu’avait dû préparer tante Julie, au mieux gâteau aux pommes, au
pire tarte aux abricots.
-Ensuite, il appellera Jeff pour recueillir ses explications et ce dernier aura
intérêt à trouver les bons mots !
-Le cas échéant, il trouvera un prétexte pour sortir aux alentours de 21 heures
et se rendre à son garage.
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-Il ne rencontrera pas le géant blond, d’une part car il était hors de question
de lui donner le 4x4, et d’autre part car James avait conscience qu’il ne
pourrait pas avoir le dessus sur lui.
-Si le colosse n’était pas là, c’est qu’il se sera rendu compte que James ne
céderait pas.
-S’il était là, James contactera la police.
Fort de cette construction prévisionnelle et réaliste, James s’enfonça un peu
plus dans son siège guère confortable et allongea les jambes. Il dévisagea
tante Julie qui lui montrait un énième édifice, et lui sourit, l’œil scintillant.
Elle ne savait rien de sa contrariété et de son plan…
De retour de cinéma chez tante Julie, après s’être séché de l’averse et avoir
partagé la tarte aux abricots, James se retira un moment dans sa chambre. Il
invoqua le souhait de se reposer. Tante Julie, elle, était réellement fourbue et
s’était affalée dans son canapé mauve.
Les pieds sur la table basse, après avoir retiré ces maudites chaussures
neuves qui la faisaient souffrir, elle regardait la télévision ou plutôt, s’était
plantée devant son poste de télévision, l’œil hagard, l’esprit absent, l’air
légumineux.
La porte de la chambre refermée, James composa le numéro de Jeff sur le
téléphone portatif de tante Julie. Il l’avait emprunté, mais sans le lui dire,
pour éviter ses ritournelles interrogations mais aussi pour ne pas la
tourmenter avec cette histoire.
-Allo Jeff ?
-Oui, c’est toi James ?
-Oui. Dis-moi, le 4x4, tu l’as toujours bien ?
-Oui, bien sûr.
-Et tu ne l’as pas abimé ?
-Pour qui me prends-tu ? Tu n’as pas confiance ? Je t’ai promis de te le
rendre lundi intact ! Et c’est ce que je ferai.
-Tant mieux, tant mieux. Dis-moi encore, connais-tu un certain Zorba ?
Petros Zorba ?
-Non.
-Et une prénommée Léa ?
-Non plus.
James ne savait plus trop quoi penser. Le ton semblait sincère et Jeff n’avait
pas la réputation d’être un fieffé menteur.
-Dis-moi James, tu es chez ta tante ce week-end ?
-Oui, tu as bonne mémoire. Pourquoi me demandes-tu cela ?
-Oh, pour rien…
-Ecoute Jeff, je vais te raconter ce qui m’est arrivé ce matin…
James lui relata sa rencontre avec le géant blond, la partie de cartes,
l’insistance de Léa, la mise du 4x4…et raccrocha, l’air perplexe, après avoir
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entendu une nouvelle fois son copain d’enfance lui assurer jusqu’au bout
que tout était faux, qu’il n’était pas sorti la veille au soir et que, grands
dieux, il ne miserait jamais le 4x4 de James.
Son scénario devait être revu, un élément clochait. Il s’assit sur son lit, le
regard vers la fenêtre et tacha de se concentrer.
Si Jeff ne lui cachait pas la vérité, alors Zorba mentait. Dans quel but ? Pour
récolter, sans coup férir, un contrat de cession de son 4x4 flambant neuf ?
C’était un pari hasardeux. Il était évident que James allait contacter
l’incriminé Jeff.
Et que venait faire cette Léa dans cette histoire ? Jouer les Mata Hari ou les
Zahia ?
James refit une analyse de la situation, la plus complète possible, et s’en tint,
au final, à son premier scenario. Se rendre sur place ce soir, incognito, et
guetter ce Zorba. Ensuite, il rentrera se coucher pour passer une bonne nuit,
du moins il l’espérait. Et demain, après la nuit qui porte conseil, dit-on,
il
conviendra de la suite à donner à cette affaire, selon ce qu’il aura vu. Ou pas
vu. Viendra-t-il ? Ne viendra-t-il pas ? Seul ou à plusieurs ? James espérait
secrètement ne pas avoir à le voir et que cette mauvaise farce disparaisse à
jamais.
La journée avait été froide et bien remplie. La soirée pouvait être longue et
stressante. James alla prendre une douche, le jet d’eau lui réchauffa la peau
et les idées. Que c’était agréable ! James se sentait d’attaque pour affronter
qui que soit.
Tante Julie et James dinèrent paisiblement, un œil vague devant la télévision
allumée, entretenant une parcimonieuse conversation.
-Tu aimes James ?
-C’est très bon, tante Julie.
-Tata Julie.
-Oui, c’est vrai. Décidément, tu ne veux pas que je t’appelle tante Julie !
-Non. Ça me vieillit et je trouve que tata, c’est plus mignon.
-Alors, restons sur tata. Tu as aimé le film ?
-Oui. Il était animé et drôle, j’ai bien aimé.
-Tu te souviens quand les noirs desseins du tyran ont été gommés d’un trait
par le jeune héros ?
Tante Julie pouffa.
-Oh oui ! J’aimerai bien avoir une baguette magique, moi aussi. J’effacerai
tous ceux qui m’embêtent ou qui me saoulent. Malheureusement, ça ne se
passe pas comme ça dans la vraie vie.
James médita. A lui aussi cela lui serait bien utile pour effacer
définitivement un certain malabar malfaisant.
Tu reprends du quatre quart ?
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-Non, merci tata, j’ai bien mangé. En parlant de quatre car, je vais aller faire
une virée avec mon cabriolet, si tu veux bien. Je ne me coucherai pas tard.
-Ce serait mieux, on a passé une rude journée. Mais c’était très plaisant,
n’est-ce pas ? Tu as apprécié ? Tu repasseras un week-end avec ta vieille
tata, l’année prochaine ?
-Oui, tante…tata Julie. Tu en doutes ?
-Non…je ne sais pas. Parfois, je me dis qu’avec le temps, tu dois te lasser,
ou que tu peux t’ennuyer.
-Ne t’inquiète pas, j’ai beaucoup de plaisir à venir te voir.
-Merci.
Etait-ce dû au verre de vin rouge et à la fatigue ? A la présence provisoire de
James pointant de manière aiguisée la solitude durable de tante Julie ?
Toujours est-il qu’il y eut quelques secondes de silence durant lesquels une
brève mélancolie crayonna sur le visage de tante Julie des yeux tristes et un
sourire confondant.
James le remarqua et posa sa main sur la sienne accentuant du même coup
cette tristesse passagère. Il l’embrassa alors pour la faire disparaitre aussitôt.
Tante Julie s’en amusa.
-Tu vois, tu as une baguette magique, toi aussi.
-Oui, et ça marche à ce que je vois ! Tant mieux, tant mieux. Si tu me le
permets, je vais décamper ! Je te dis à tout à l’heure.
James se leva de table tandis que tante Julie entamait, en étirant les bras, un
long et démantibulé
bâillement.
-Et ben moi, je ne vais pas me coucher tard, je suis fatiguée. A quelle heure
viendras-tu me souhaiter une bonne nuit ?
-22 H ?
-21 H ? Négocia tante Julie.
-21H30, concéda James.
-Entendu, mais pas plus tard s’il te plait, Morphée m’appelle…
-Promis. A tout à l’heure, tante Julie.
-Tata Julie.
-Oui, c’est ça. A tout à l’heure, tata Julie.
-A tout à l’heure, James.
La porte refermée, James se dirigea directement vers son cabriolet. Il était
vingt heures vingt. Il démarra et prit la route de son garage. Il aurait
normalement le temps pour trouver une place de stationnement et marcher
prudemment jusqu’à l’angle d’où�� il pourra surveiller en toute discrétion
l’entrée des ses ateliers. Dix minutes avant vingt et une heure, James guettait
à l’angle dit. Il observait, par le petit espace entre le mur et la gouttière, la
porte d’accès à son garage. Il n’y avait personne. James se retournait de
temps à autre, on n’est jamais assez sur ses gardes.
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