Juliette ou le chemin des Immortelles
32 pages
Français

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Juliette ou le chemin des Immortelles , livre ebook

32 pages
Français

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Description


Quand l'Histoire saigne, sous la gifle, la caresse...






La face noire de la Libération de la France en 1944-1945, ce fut une épuration qui ne devait rien à la justice mais beaucoup à la vindicte de résistants de la dernière heure.
Au cœur de ces exactions, il y eut le carnaval barbare de femmes tondues devant des foules devenues populaces. Qu'elles aient collaboré à l'horizontale ou tout simplement aimé, ces victimes expiatoires saluées par Paul Eluard et chantées par Georges Brassens sont devenues une tache indélébile dans les mémoires.
Juliette fut l'une de ces femmes. Son fils, le poète Tristan Cabral, né en 1944 de ses amours avec un médecin militaire allemand, témoigne aujourd'hui pour elle et ses sœurs d'infortune et, par la grâce de la littérature, transmue une douleur en beauté incandescente.
Un récit aussi dur qu'une paire de gifles et aussi doux qu'une caresse.





Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 24 janvier 2013
Nombre de lectures 22
EAN13 9782749126531
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0082€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture

Tristan Cabral

JULIETTE
OU LE CHEMIN
DES IMMORTELLES

Récit

image

Direction éditoriale : Pierre Drachline

Couverture : Lætitia Queste.
Photo de couverture : Photo guerre 1939-1945. Une jeune Française, punie d’avoir fréquenté des Allemands pendant l’Occupation, est tondue en public. Montélimar (Drôme), 29 août 1944. © US National Archives/Roger-Viollet.

© le cherche midi, 2013
23, rue du Cherche-Midi
75006 Paris

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www.cherche-midi.com

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ISBN numérique : 978-2-7491-2653-1

du même auteur
au cherche midi

La Messe en mort, 2001, prix Georges-Perros (trad. anglaise, allemande, espagnole).

L’Enfant de guerre, 2002.

H.D.T., 2010.

chez d’autres éditeurs

Ouvrez le feu !, Plasma, 1976/rééd. Hachette, 1977.

Du pain et des pierres, Plasma, 1977.

Quand je serai petit, Plasma, 1979.

Et sois cet océan, Plasma, 1980.

Le Passeur de silence, préface de Tahar Ben Jelloun, La Découverte, 1996.

La Lumière et l’Exil, Anthologie trilingue des poètes du Sud, de 1930 à nos jours, éd. Le Temps parallèle, Marseille, préface de Jean Carrière, 1996.

Le Passeur d’Istanbul, préface de Nédim Gürsel, éd. du Griot, 1996, trad. en turc d’Ozdemir Ince.

Le Désert-Dieu, journal de Jérusalem sous l’Intifada, préface d’Élie Wiesel, éd. du Rocher, 1999.

Le Quatuor de Prague, pré-texte de Vaclav Havel, éd. de l’Aube, 1999.

Mourir à Vukovar, Cheyne éditeur, 2000.

L’Enfant d’Eau, Cahiers de l’Égaré, Toulon, 2001.

Retour à Bergerac, avant-texte de B. Lesfarges/La Chartreuse Pécharmant, 2008.

La Belle et la Fête : mai 1968, éd. Tipaza, Cannes, 2008.

Requiem/Océan, Paroles en archipel, Les Voleurs de feu, éd. Plougasnou en Bretagne, 2009.

Testament-Funambule (un poème navajo), Voix d’encre, Montélimar, 2010.

Le Cimetière de Sion, L’Harmattan, 2010.

Le Dernier Tango à Salta, L’Harmattan, 2012.

Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage traversé çà et là par de brillants soleils.

Charles BAUDELAIRE, Les Fleurs du mal, « L’ennemi »

J’étais déjà un être malade en venant au monde.

Edvard MUNCH

Das Kind war tot…

GOETHE, Erlkönig

I

À NOTRE-DAME-DE-PADOUE

Et voilà. Je suis arrivé. Je suis à la maison Notre-Dame-de-Padoue, à Arcachon, au Moulleau, dans une allée qui monte à Notre-Dame-des-Passes. J’ai toujours su que j’y arriverais un jour.

C’est là que je voulais en finir. Enfant et, plus tard, adolescent, je venais la nuit passer devant cette belle maison si douce et si paisible. On entendait les religieuses chanter. Une religieuse m’a même dit, un jour où j’avais osé frapper au portail d’entrée : « La vie n’est jamais que le chemin que l’on prend pour revenir vers soi. Vers Dieu. » J’avais quinze ans. Beaucoup plus tard, je me souviendrais de ses mots.

À ma demande, on m’a conduit ici après mon naufrage raté, dans les Passes. Je suis ici depuis le 2 mars 2004. Je m’habille toujours en marin.

J’ai une très grande chambre, très claire, avec une grande table pour travailler. J’ai dit aux sœurs que j’écrivais. Aux murs, entre deux crucifix, il y a des photos de Paul Terpereau et de Georges Mouls. On y voit la Ville d’Hiver, le Casino mauresque, le Buffet chinois de la gare, les premiers bains et les préventoriums. Je peux descendre ou non à la salle à manger. Je suis au milieu d’une belle forêt de pins. Sur ma table, une croix rongée par la mer.

Ici, je me prends un peu pour un Rancé.

De là, je peux aller jusqu’à la mer, en passant par la place Gabriele-D’Annunzio. Ma mère l’aimait. Il a longtemps habité la villa Saint-Dominique, à pic sur la mer. Avec ses femmes, ses chevaux et ses dogues. Il travaillait parfois dans une pinasse échouée dans le parc, qui s’appelait Astrolabe.

De la place D’Annunzio, on peut remonter la merveilleuse allée des Tilleuls, vers la plage des Abatilles, où j’ai passé tous les étés de ma jeunesse.

Enfant, je regardais les belles maisons des riches, ouvertes sur la mer. Elles avaient toutes des noms basques ou anglais : « Eche Baïta », « Velleda », ou « Hamlet » et « Newton ». Ou encore « Salammbô ». J’enviais surtout les beaux enfants en blazer bleu marine et ces marins en pantalon rouge qui barraient leurs pinasses. Je ne savais pas encore qu’il fallait être très riche pour habiter ces belles maisons.

Et voilà. Que m’est-il arrivé pour en arriver là ? Sommes-nous le résultat de ce qui n’a pas été dit ? De ce qui n’a pas été fait ? Il ne faut pas rater son naufrage !

Il m’a fallu mille ans pour comprendre que j’ai été l’enfant d’un long silence.

II

DE TOLEDO
À L’IMPASSE DES MARINS

Je suis né le 29 février 1944 dans une villa de la Ville d’Hiver d’Arcachon, en face du Casino mauresque : la villa Toledo, aux dentelles de bois et aux balcons d’argent. Dans un grand jardin, planté de cistes, d’arbousiers et de mimosas. Les villas les plus proches s’appelaient « Faust », « Meyerbeer », « Pereire » ou encore « Brémontier ». Sous l’Occupation, c’était une maternité clandestine. En face, le casino servait pour les interrogatoires à la police politique du Reich.

 

Ma mère s’appelait Juliette D. Mon père, Heinz R., un médecin militaire allemand. Elle était née à Orléans, lui, à Chemnitz, devenu plus tard Karl-Marx-Stadt !

 

Au cours de l’été 1944, ma mère sera tondue dans une rue de Bordeaux, la ville la plus collaboratrice de France. J’étais dans ses bras. Heinz sera fait prisonnier par les Américains et envoyé aux États-Unis, dans un hôpital du Montana. Comme réparation de guerre.

Juliette et Heinz s’étaient connus à Arcachon, sur la plage du Moulleau, au pied des grands hôtels réservés aux blessés revenus du front russe. Leurs lits étaient tirés sur les terrasses ensoleillées. Parfois, les médecins les poussaient jusqu’à la mer.

Juliette était très belle. Elle avait des jambes magnifiques et une grande natte blonde. On aurait vraiment dit une Allemande. Quand elle rencontre le docteur Heinz R., elle a vingt-six ans, un fils de six ans, François, et un mari prisonnier en Allemagne, Claude H.

Native d’Orléans, de mère bretonne et de père lorrain, Juliette avait épousé un petit « répétiteur » de Bordeaux, Claude H. Celui-ci était venu en garnison à Orléans. Les parents de Juliette l’avaient trouvé très « bien » parce qu’il ne fumait pas, ne buvait pas, ne jouait pas et, surtout, parce qu’il venait au temple tous les dimanches. C’était seulement la veille de son retour à Bordeaux qu’il avait osé demander à ses parents la main de Juliette. C’était en 1936. L’année suivante, elle donnait naissance à François.

À Orléans, il fait très froid. L’enfant François était toujours malade. Il lui fallait la douceur et la mer. Alors, Juliette descend d’abord à Bordeaux, chez son mari. Apparemment ce ne fut pas le grand amour. Après l’ordre de mobilisation générale, et après le départ de Claude H., elle vient habiter à Arcachon, au Moulleau, tout près de la mer. Elle loue une petite maison de pêcheurs, impasse des Marins. Au Moulleau, elle rencontre Heinz. Claude H. est en Allemagne. Elle ne l’avait jamais aimé. Il ne s’évadera pas. Nous sommes en 1942.

Le docteur R. nageait très bien. Ne dit-on pas que le sport rapproche les peuples ? Hitler le savait. C’est sans doute pourquoi les belles d’Arcachon venaient voir sur les plages les beaux étrangers jouer au volley-ball.

Blonds comme Juliette, François et Heinz jouaient à la guerre. On aurait dit le père et l’enfant.

Seule et déçue, Juliette devient très vite une jeune femme allemande, comme tant d’autres qui furent traitées plus tard de putains et de salopes. Elle devint Solveig. Heinz lui avait donné le nom tiré du Songe d’une nuit d’été, de Mendelssohn. Plus tard, je l’entendrais souvent fredonner cet air.

Ils s’aimaient en plein soleil. Ils ne se cachaient pas, comme si la guerre n’existait pas. Ils dansaient même la valse, au bar du Grand Soleil, face à la mer. La vieille dame qui leur louait la petite maison de pêcheurs les protégeait. J’appris plus tard qu’elle était résistante.

Lui, il ressemblait à Curt Jürgens. Cet acteur m’a toujours troublé. Je ne savais pas pourquoi. Je l’aimais surtout dans Le Général du diable, où il se suicide à la fin avec son avion.

Elle, avec sa natte dans le dos, elle ressemblait à un Georges de La Tour qui aurait peint Ingrid Bergman.

Pendant quatre ans, ils ont vécu dans la petite maison de pêcheurs. Ils traversaient souvent au cap Ferret. Ils adoraient le banc d’Arguin. C’est sans doute là que j’ai été conçu, voulu, au sortir d’une vague. C’est sans doute pourquoi, encore aujourd’hui, quand j’entre dans les Passes, je crie.

De Juliette et Heinz ensemble, j’ai une seule photo, sur un banc. Ils sont très beaux. On dirait qu’ils tournent un film. Combien de fois je me suis assis sur ce banc que j’appelais bien sûr le « banc des amoureux » ! Juliette et Heinz, je les ai revus dans Hiroshima mon amour de Duras.

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