La Malédiction de Bois d Orville
131 pages
Français

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La Malédiction de Bois d'Orville , livre ebook

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Description

Leurs regards se croisent au cours de terribles inondations où Raphaël vient porter secours à la famille de Romane, une famille frappée par un anathème et raillée par les villageois. C'est le début d'un amour passionné et déchirant. Mais Raphaël disparaît subitement ! Est-ce encore la terrible malédiction qui frappe la famille de Romane ou une sombre machination perpétrée par un habitant du village ?

Croyant Raphaël mort, Romane se réfugie dans ses études d'infirmière puis dans les bras d'Alban de Beauvallet, un riche héritier. C'est alors que Raphaël réapparaît...


L'auteur : Journaliste à L'Est Éclair, puis chroniqueuse littéraire dans ce même journal, Lyliane Mosca a l'écriture chevillée au corps. De sa plume sensible et apte à dépeindre les moindres détails d'une époque, elle signe avec La Malédiction de Bois d'Orville son septième roman aux éditions De Borée.

Informations

Publié par
Date de parution 01 août 2014
Nombre de lectures 98
EAN13 9782812914119
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0082€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Extrait
Les inondations

UNE PLUIE PERSISTANTE et régulière, drue, tombe sur le hameau de Bois d’Orville. Ailleurs aussi, sans doute, se dit Romane, mais les nuages sont si bas, la brume cotonneuse si opaque, que l’on n’y voit pas à plus de trente mètres et cette impression d’être isolée du monde angoisse la jeune fille. Car l’eau monte. Inexorablement depuis une semaine. Elle semble venir de partout. Le marais tout proche, bien sûr, ressemble à un lac. Les fossés dégorgent, les rus enflent et les champs versent leur trop-plein de boue sur les routes. La Seine déborde. Les nappes montent insidieusement, envahissant caves et dépendances.
– Si ça continue, l’eau va rentrer à la maison, se lamente Marie en scrutant le ciel, les mains sur les hanches. On n’a pas vu ça depuis 1910. Je suis pas rassurée, ma fille. Si ton père était là, il saurait quoi faire. Moi, j’ai seulement peur et je ne sais que prier. Bon, je vais rentrer les poules. Elles pataugent dans la gadoue. Les œufs seront moins nombreux.
Romane soupire. Sa mère ne s’est jamais remise de la disparition de son mari, Grégoire, huit ans auparavant. Un accident, au bois. Le bûcheron est mort écrasé sous un arbre. Depuis, en plus de la peine qu’il a fallu apprivoiser, on tire le diable par la queue à la maison des Levalou. Si encore il n’y avait que cela ! La jeune Romane, comme sa mère, s’en accommoderait des vaches maigres, mais il y a cette espèce de rejet de la part des habitants. La famille est comme qui dirait en quarantaine, explique à sa façon Marie qui prend cette sorte de discrimination comme une fatalité. On ne les montre pas du doigt, non, mais tout de même, quand on ne parle pas dans leur dos, on les ignore. On épie leurs gestes. On les critique. On va jusqu’à dire qu’elles sentent le soufre.

– C’est rapport à la malédiction.
– Explique-moi donc, à la fin, implore souvent Romane depuis qu’elle se rend compte de cette injustice.
– Je sais pas. C’est du côté des Levalou. Les ancêtres auraient fait quelque chose de pas clair. Et depuis, les gens se méfient de la famille. Ils ont la haine tenace, ici. Elle se transmet. Comme ce malheur, plus présent qu’ailleurs, qui s’inscrit dans toutes les générations. La preuve encore, la mort de ton père.
Marie n’en dit jamais davantage, arguant, têtue, que Grégoire, muet comme une carpe, évitait le sujet et qu’elle n’entend pas le trahir. Tout comme sa mère, la Blanche, qui vit aux côtés de sa belle-fille et de Romane et change de sujet à chaque fois que sa petite-fille l’interroge sur le sort étrange des Levalou.
La vieille femme paie sa contribution au foyer en offrant toute sa maigre pension et en accomplissant les mille tâches de la maison. Elle plume les volailles, dépouille les lapins, épluche les légumes et fait mijoter le fricot, raccommode, repasse et s’obstine à tricoter des gilets que personne ne met car ils ne sont pas mettables. Trop grands, trop petits, trous, manches inégales… Grand-mère Blanche n’y voit plus assez clair mais ne l’avouera jamais. D’une bonne nature, Romane les porte juste un peu à la maison pour faire plaisir à sa grand-mère. Ensuite elle les range. La vieille dame n’y pense plus, car les portes de sa mémoire se ferment parfois, et en recommence un autre. Ça occupe ses soirées.

Aujourd’hui cependant, elle a les idées bien en place et se remémore les fameuses inondations de 1910.
– Ici, on aurait dit la mer. De l’eau jusqu’aux fenêtres. On voyait plus les champs.
Elle se lève, s’approche de la croisée et scrute l’horizon limité par les arbres et ce rideau de pluie qui enveloppe le tout.
– Qu’est-ce qu’y disent dans le poste ? demande-t-elle.
– Qu’il y en a encore pour trois jours. À ce train-là, nous aurons les pieds dans l’eau, soupire Romane en tendant la brosse à cheveux à sa grand-mère.
Elle s’assoit sur une chaise devant elle et dénoue ses lourdes mèches rousses. Cette couleur, aussi, se transmet chez les Levalou. Au grand regret de la jeune fille qui ne rêve que de se teindre en brune. Or les femmes de la maison lui interdisent. Et comme elle n’a même pas dix-huit ans, elle obéit, se promettant qu’à sa majorité elle ferait bien comme elle l’entendrait.
– Allez, brosse, grand-mère. Ça me détend.
Et la vieille femme au dos voûté par les travaux des champs, celle qui pourtant a gardé une sorte de grâce dans les gestes du quotidien, s’exécute avec application, caressant avec une certaine jouissance l’épaisse chevelure, couleur de feuille morte, qui glisse entre ses mains, se discipline un moment en coiffure sage et se rebelle à nouveau en boucles désordonnées et pourtant si gracieuses.

– Tu es belle, ma Romane.
– C’est toi qui le dis. À l’école, on m’appelait la poule rousse. La rouquine ou la fille du diable. Et on s’en prenait à mes yeux :
« Yeux verts, yeux de vipère. » Tu parles d’un compliment.
– Et alors, il vaut mieux être jolie et bien tournée, avec des cheveux roux, que moche, brune et mal faite. Tu verras, ma grande, les hommes sauront faire la différence.
– Oh, les hommes… Je ne me marierai jamais. Je le sens.
– Ta, ta, ta… Ton heure viendra, ma mie. Ton grand-père Émilien avait une tignasse de feu et toutes les filles du village lui tournaient autour. Mais c’est moi qu’il a choisie. Il était fasciné par mes yeux de vipère, justement. Les mêmes que les tiens. Il n’y a pas résisté et je ne m’en suis jamais plainte… Quant à mon Grégoire, y a pas mal de coquines qui l’auraient volontiers mis dans leur lit sans s’occuper de ses cheveux cuivrés.
– Je sais bien. Il était beau, papa. Maman a eu de la chance de le conquérir, n’est-ce pas ? Mais, c’est que dans son genre elle ne manque pas de charme. Brune comme je rêve de l’être, des rondeurs bien placées qui contrastent avec son visage aux traits réguliers, certes, mais sans douceur. Une beauté froide, maman.
Blanche hoche la tête tandis que Romane, de la mélancolie dans sa voix un peu rauque, poursuit :
– Mon père me manque. Je me rappelle tout de lui. Je l’aimais tant, mon papounet. Son visage est ancré dans ma mémoire, comme ses gestes et sa façon de dire les choses. Rien ne s’efface. Et pourtant, je n’avais que dix ans quand il est parti.
Blanche caresse le front de la jeune fille. Elle aime entendre ces mots. Pour sa part, la peine s’adoucit. À son âge, elle sait que le jour approche où elle les rejoindra tous. Ses parents, ses frères, son mari et ce fils qui lui manque tant. Alors elle ne craint pas la mort. Elle l’attend même avec curiosité et s’étonne d’être seule à le faire.
– La maison de l’Eugène est à moitié engloutie. Il a monté ses meubles au grenier, annonce Marie en rentrant dans la cuisine, la voix chargée d’inquiétude.
– Forcément, il est dans le creux, lui. Nous, on a encore de la marge, rassure sa belle-mère.
– S’il pleut encore demain, nous monterons au chafaud aussi avec du ravitaillement et des couvertures. Et puis on mettra les meubles sur des parpaings, décide Marie.
Romane fronce les sourcils. Elle n’est pas rassurée. Cette situation l’angoisse. Elle a toujours en mémoire les paroles de son père. Le feu, encore, on peut l’arrêter, mais l’eau, impossible.
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