Lampadaire
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Une petite nouvelle écrite par mes soins. Quelques conseils ne sont pas de refus!:)

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Publié le 15 août 2011
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Langue Français

Extrait

Le Lampadaire
Me voici-là, dans un de ces foutus wagon de métro, roulant dans un tunnel. Je lève mon bras
gauche et y regarde la montre posté sur mon poignet. Six heures cinquante-quatre. Voilà ce
qu'affiche ma montre, là, maintenant. Une Ravel. Ma montre est une Ravel. Ça n'est pas une très
grande marque, mais le prix était abordable, alors, je l'ai acheté. De toute manière, qu'une montre
soit une Festina ou autre chose,l'heure reste la même. Le temps, reste le même. Immuable, comme
la montagne.
Quoi qu'il en soit, il est à présent six heures cinquante-cinq et je suis dans une trame de métro,
debout, péniblement affalé sur une de ces barres métalliques emplies de bactéries en tout genre. Je
suis fatigué. J'ai passé la nuit à me triturer la tête, à me demander si j'arriverais à avoir ce boulot.
Comme à mon habitude, je me torture pour rien. Merde.
Je tourne légèrement la tête et découvre une multitude de visages qui me sont inconnus. Tous
inconnus et tous plus ou moins encore endormis. C'est bizarre. Ces gens-là me paraissent tous
creux. Infiniment vides. Vides de consistance. Comme s'ils n'étaient que des enveloppes charnelles.
C'est dingue, complètement fou, insensé. Pourquoi je me met soudainement à penser ça moi. C'est
vrai, derrière ces faciès, il doit certainement se cacher diverses consciences, pensées ou encore
réflexions. Mais à quoi peuvent-ils bien penser alors? Chacun doit nourrir sa propre réflexion,
individuellement. Cependant, toutes ces consciences, agglutinées dans cette trame de métro, doivent
forcément être reliées entre elles. Un peu comme si chaque acte accompli était en réalité, au
préalable, influencé par l'acte d'une autre personne. Comme si nous agirions indirectement dans
l'existence d'un autre individu. Et la liberté réelle n'existerait pas. Oui un truc du genre...
Une secousse me sort violemment de cette pensée. Si violemment que, le laps de temps suivant
cette secousse, bien qu'infiniment court, je me retrouve confus. Troublé. C'est fou ce que le Monde
peut être étrange!
Je ferme les yeux, vide mon être de toutes les pensées minables qui l’encombre. Et là, avec une
incroyable acuité, je perçois un nombre incalculable de choses. La respiration des passagers, leurs
odeurs. La moindre perle de sueur qui s'évapore, le plus silencieux battements de cils ainsi que le
plus fugitif des tremblement de la trame. Ces sensations se mêlent toutes entre elles, comme pour
former une sorte de tresse. Oui, c'est exactement ça. Et ce sentiment étrange que l'on a, tôt le matin,
lorsque l'on se rend au boulot, je crois que je le comprend . Ou je n'en déchiffre seulement qu'une
partie. Je n'en sais foutrement rien en fait. Mes yeux sont toujours fermés.
Le métro sort soudain du tunnel dans lequel il était pour rejoindre de ces foutues rails aériennes.
Le changement de pression s'opère et mes oreilles le ressentent. Sur mes paupières vient se
tamponner les puissants rayons de l'écarlate soleil levant. Même les yeux fermés, mes pupilles
réagissent. Je le sens. Ça fait mal.
Je ne sais pas combien de temps il s'est passé, ni combien il en passe. Dans la situation où je suis,
là, maintenant, je n'en ai plus aucune notion. Là, dans les ténèbres dans lesquelles je me suis plongé,
le temps ne semble pas avoir sa place. Un peu comme dans un temple sacré. Oui, dans le temple
sacré de ma conscience, emplie de ténèbres reposantes, le temps n'a pas sa place.
Mais là, tout de suite, je me sens vraiment mal. Mentalement mal. Quelque chose essaie forcer
mon obscurité et de rompre le calme qui l'habite. Putain. Un truc vraiment étrange, bizarre. J'y
comprend vraiment rien. Mes yeux sont toujours fermés, mais on dirait que ce truc s'approche de
moi. Lentement. En fait, ça n'a pas vraiment de forme, c'est tout flou. Tout brumeux. Comme une
métaphore. Oui, une métaphore toute brumeuse. Ou plutôt, non! Je ne sais pas vraiment pourquoi,
mais il semblerait que cette drôle de chose soit un rêve. Ne me demandez ni pourquoi, ni comment.
Je le sais. Tout simplement.
C'est un souvenir onirique, plus précisément. Un souvenir qui a l'air de s'être échappé des abysses
de ma mémoire, venu engloutir de son souffle poussiéreux l'intérieur de mon esprit. Je ne sais pas
vraiment où je suis là. Le vénérable sanctuaire, celui au plus profond de mon être, a complètement
disparu. Il a laissé place à un paysage clair et précis. Tellement précis que ça me fait penser à une
sculpture de cristal. Je suis dans une ville. Enfin, non. Je me trouve dans des espèces de ruines. Les
ruines d'une ville. Ça donne un air mystique au paysage. Qu'est-ce que je peux bien foutre là?
Je marche et une femme, une très belle femme, m'accompagne. Merde! Qu'est-ce que je fous là?
J'ai comme l'impression de la connaître. Une impression fugace, intime, qui s'en retourne aussitôt
d'où elle vient. Je la regarde, la fixe. Je suis comme obnubilé. Qui est-elle? Je repense à une
réplique d'un gros tas de muscle d'un comics de Frank Miller. Ce mec-là disait d'une belle blonde
qu'elle avait le parfum que tous les anges devraient avoir. Dans mon cas, cet ange s'avère être brune.
Une sublime brune.
Mince alors. Elle me sourit. D'un sourire magnifique, irradiant son visage de lumière. D'une
lumière pure,et ses lèvres semblent aussi pulpeuses et sucrées que la chair de grenade. Dans ses
yeux marrons miroite une étrange lueur, pareille à une petite flamme. Réconfortante et chaleureuse.
Ils scintillent tels de précieux joyeux, tout droit venus du paradis. Les traits de son visages sont
pareils à des tiges de bambous, fins et souples. Et de ce visage émane une pale clarté qui me fait
penser à la neige qui s’éteint doucement sous les douces caresses du soleil. Quant à sa brune
chevelure, légère, elle me rappelle les nuits d'été, fraîches et éphémères dans lesquelles se
baignaient jadis des nuées d'étoiles.
Sa silhouette, elle, épouse le mouvement des vagues, du flux du jusant. Les courbes de sont corps
me font penser à ces alléchants plateaux de fruits exotiques que l'on voit souvent dans les publicités.
Et ces courbes-là se balancent, agréablement, tandis que ses formes sont comme marquées par une
simplicité naturelle. Ses hanches sont fermes, comme il se doit. Elle n'est pas de ces femmes fines,
qui ne se soucient que d'être parfaitement mince pour plaire. Non, celle-là est comme elle est.
Entourée d'une naturelle simplicité. Pour mon plus grand bonheur.
Je crois ressentir la puissance de tout son charme, là, pénétrant délicatement mon être. Sa peau
est aussi pâle que la Lune elle-même, et de là où je suis, je peux sentir le subtil parfum qui s'en
dégage, le délicat onguent me révélant la moindre parcelle de son corps. Merde, je ne comprends
pas, cette magnifique créature envahit le moindre recoins sombre de mon vulgaire cervelet. Je la
connaissais, c'est certains. Pourtant, rien ne me revient.
Nous nous arrêtons soudainement, guidé par une logique onirique qui nous dépasse. Et là, une
fièvre incontrôlable s'empare de mon corps et de mon esprit, comme si un poulpe géant répandait
dans ma conscience son horrible lot de tentacule. Un poulpe immonde. Vicieux.
Le décors change subitement. Ça me donne un putain de tournis. C'est bizarre comme Rêve et
Réalité peuvent être si éloignés et en même temps se confondre. Je me demande si tout ça existe bel
et bien. Si il y a le monde du rêve, et le monde de la réalité. Séparés en deux entités distinctes.
Comme deux spectres d'un même Monde. Ou bien, d'une Métaphore. Mais métaphore de quoi?
J'arrête avec ça. Je ne sais pas où cette réflexion de merde va me mener. Réfléchir n'a jamais été
mon truc.
Ombres, lumières, formes, sensations, tout se mélange, pour créer une nouvelle scène. Nous
sommes à présent dans le jardin d'une des maisons en ruine. L'herbe est grasse. Verte.
La fièvre est toujours en moi, répandant en mon être des envies de secrètes de jeux défendus. J'ai
l'impression que la sublime demoiselle qui m'accompagne en est aussi hantée.
Et là, je ne me contrôle plus, d'un coup. Je l'embrasse. Elle m'embrasse. Le temps, lui, semble
ralentir. S'arrêter. Quant au poulpe dégueulasse, il semble se gonfler, jusqu'à l'implosion. Le choc
est pareil au violent flot d'une rivière. Oui, c'est exactement ça. Avec une fureur incroyable, cette
horrible fièvre s'éjecte de nos conscience avec pour seul et unique but de nous noyer dans un déluge
ardent, amoureux. Nous sommes submergés. Fatalement.
Personne ne lutte, nous nous laissons totalement faire. Seuls nos corps se retrouvent serrés et nos
souffles mélangés. Je peux le sentir, son souffle. Je m'en abreuve, passionnément. Son âme, son
être, sa vie toute entière! Tout défile, là, pour rejoindre une infime et sombre partie de mon esprit.
Ses lèvres sont douces et sucrées, pareille à la chair d'une pêche arrosée de soleil. La douce effluve
de sa personne chatouille mes pitoyables narines. Je la serre fort contre moi, tout en l'embrassant.
Ses ongles pénètrent mon dos et nos lèvres se rencontre amoureusement. Nos étreintes baignent
dans une calme mer de sensualité. Je la sens sa poitrine, serrée contre mon torse. Tout est calme.
Paisible.
Malheureusement, tout ça n'est qu'illusoire. Le capiteux parfum de la Réalité se met à flotter
lourdement dans l'air. Merde. Sa délicieuse et secrète essence s'en va. Retournant dans le vieux sac
de toile posté au fond de ma tête. Le rêve s'essouffle, et toutes les personnes réelles autour de moi
réapparaissent lentement, comme la pluie qui dégouline sur le pare-brise d'une voiture. Des plus
banales.
La voix de femme, inerte, froide et professionnelle que l'on entend habituellement pour indiquer
les arrêts de métros, retentit. Elle me réveille complètement. C'est ici que je me casse. Bonne
chance l'ami, chope ce foutu boulot. Affronte ce putain de cours des choses mon pote.
***
Une de ces saletés de gosses de bourge me bouscule sauvagement. Je m'arrête et le regarde. Ce
merdeux continue sa route, l'air de rien. Enfoiré. En temps normal, j'irai le voir et m'occuperai de sa
putain de petite personne. Mais pas aujourd'hui. Pas ce soir. J'ai passé une sale journée.
Mon entretient a foiré. « Très bien, nous vous rappellerons ». Tu parles. Ils ne rappellent jamais.
L'enfer dans lequel je suis pris s'étale. Et puis, cette fille. Je n'ai pas arrêté d'y penser. Durant
l'entretien, sa douce image flottait, délicatement, à l’intérieur de mon crâne. Elle m'obsède.
Complètement. Même maintenant, je me dis que je la connais. Inéluctablement, nous avons du nous
rencontrer. Mais où ? Quand ? Je me perds, lentement.
J'ouvre la porte principale du bâtiment dans lequel j'habite. Je monte les marches, les jambes
lourdes. La mallette que je porte de ma main droite me paraît peser des tonnes. Mince alors.
Pourquoi ce rêve. J'arrive devant ma porte, sort le trousseau de clefs et rentre la bonne dans la fente.
En s'entrechoquant, les clefs produisent un tintement morne, inerte. Pareilles à de funestes clowns
sortis tout droit de films d'épouvante, de ces clefs, découlent d'imperceptibles railleries. Du moins,
j'en ai l'impression. J'ouvre, entre. « Watanabe ! T'es là ?! » Aucune réponse. Mon colocataire doit
encore être au boulot. Il en a un au moins.
Je me change, histoire de me mettre à l'aise. Cravate et tout ça, ça n'est pas très agréable je trouve.
J'ai besoin de réfléchir. J'ai besoin de réflexions profondes transcendant mon esprit, un peu comme
la foudre. Il est 18h54. C'est ce qu'affiche notre pendule fixée sur un des murs de la cuisine. Je vais
me prendre une douche, histoire de retrouver mes esprits. Ou plutôt mon esprit.
Je sors de la douche tout frais. Avec cette chaleur d'été, rien ne vaut une bonne douche froide. Je
m'allonge sur le canapé, contemplant d'un regard vide le vieux plafond rongé par le temps. Qui était
cette fille, celle du rêve ? L'ai-je réellement connu ? Je ne comprend plus rien, et insensiblement, j'ai
l'impression de me perdre. Mais me perdre où, dans quoi, pourquoi ? Ça, je ne peux pas y répondre,
et c'est ce qui me fais chier. J'ai comme l'impression de ne plus être moi-même, comme si l'homme
qui est là, allongé sur le canapé dans mon salon, serait un moi autre. Un moi différent qui serait
peut-être venu d'une réalité différente. Ou bien du Monde des songes. Ou un truc du genre. Comme
si je m'étais totalement éloigné de mon moi originel, fatalement. Pareille à une feuille morte, portée
par le vent. Mais quel rapport avec cette fille?
Je tourne la tête vers la gauche et prends le paquet de cigarette posé sur la table basse. Je ne fume
pas vraiment. Je m'en grille une seulement lorsque je suis confus. Et là, c'est le cas. Ce sont des
Short Hope,
les cigarettes. Le paquet est à mon ami.
J'inhale une bouffée. Le vide régnant à l'intérieur de mon être semble se combler, peu à peu empli
de cette fumée grise. Tout ça n'est qu'une pure illusion. Je le sais. L'abîme de ma conscience est
infini, sans fond. Qui plus est, habité par des ténèbres froides. Mes yeux se ferment, et doucement,
je rejoins cette obscurité. Je m'endors paisiblement, et mon esprit se laisse absorber par le doux
chaos qui m'habite.
Je ne sais pas vraiment pendant combien de temps j'ai dormi et je m'en fous complètement. Je sais
juste que ce somme, était léger, sans rêve. Dommage, j'aurai voulu la rejoindre, histoire d'essayer de
comprendre. Je me lève et vais me débarbouiller le visage. Je suis face à la glace de la salle de bain.
J'ai encore la tête dans le fion. Une fois le visage sec, je me dirige vers ma chambre pour y prendre
un sac à dos. Une fois fait, direction la cuisine dans laquelle je prends deux paquets de
crackers
et
un
pack de bières.
Ce soir, je sors. Je vais me vider la tête. Si je reste dans cet
appart
merdique, je
vais péter un plomb. Putain. Je prend aussi le paquet de
Short Hope.
Je pars à vélo, n'importe où, je m'en tape.
Le soleil se couche. Doucement. L'air ambiant est doux, ni trop chaud, ni trop froid. Parfait. Je
pédale, tranquillement. Je ne sais pas où est-ce que j'irai. Je le saurai en temps voulu. Même à cette
heure, la circulation est dense. Les voitures sont bloquées dans les bouchons, et moi, j'avance sans
problème. Prenez-ça bande de cons.
Un parc. Calme, posé. J'y pénètre, et descends du vélo. Je le tiens et marche à côté, dans de la
petite caillasse blanche qui trace les divers chemins à emprunter pour ne pas marcher sur le gazon.
Ces chemin se rejoignent à certains endroits du parc. Ça me fait penser à ma réflexion de ce matin,
sur les liens enchaînant les uns aux autres.
Je marche toujours, en écoutant le gazouillis des oiseaux. C'est fou ce que le Monde peut être
étrange. Je me sens toujours aussi mal. Triste, mélancolique. Complètement acculé. Mais pourquoi?
Je n'en sais rien. Cependant, tout est lié à cette fille. Elle s'est incrusté en moi, comme le ferait un
parasite. Un divin parasite, semblant s’accaparer de la mince envie de vivre qu'il me reste.
À l'extrémité du parc, je trouve un banc. En face de ce banc, un Lampadaire, et, derrière ce
Lampadaire, dans une vue plongeante, s'étend le reste de la ville.
Je m’assois sur ce banc, sort une cigarette et l'allume à l'aide d'un briquet. Le gouffre, à l'intérieur
de mon esprit, s'accroît. Il est empli de ténèbres glaciales. Je le sens. Fait chier. Le soleil se couche,
La nuit se lève. La lumière décroît, cédant sa place à une fraîche obscurité. Les étoiles apparaissent
par milliers. Les lampadaires s'allument. Le Lampadaire s'allume.
Il est posté à une dizaine de mètres de moi. Sa lumière déversée sur le sol lui forme une sorte
d’îlot, dont il est l'unique cocotier. Seul et perdu, au milieu de l'Océan, gigantesque. Comme moi.
Je sors un paquet de
crackers
et me prends une
bière
. La première gorgée me fait du bien.
Énormément. Je fourre deux
crackers
dans ma bouche, et mâche le tout lentement. Je m'étale sur
tout le banc, histoire de me mettre à l'aise. Une bonne grosse bouffée d'air. La soirée peut
commencer.
Le Temps. Qu'est-ce que le Temps? Philosophes et scientifiques se sont posé cette question de
nombreuses fois. Pour certains, le Temps pourrait être une sorte d'observation intellectuelle, une
perception. D'autres pensent que le Temps serait une propriété fondamentale de notre univers, l'une
des quatre dimensions de ce foutu Cosmos. Théories de merde. J'ai lu un proverbe une fois. «
Ce
n'est pas le Temps qui passe, mais nous qui le traversons
». Ce que j'en pense? Rien. Je sais juste
que le Temps est là. Ce foutu truc est bien présent. Chaque acte que j'accomplis, merde, il lui
appartient. Et celui que je n'ai pas encore fait, il lui appartient aussi. Putain, c'est dingue ça. Et pour
bien nous faire chier, il dépose sa lente usure sur tout ce qui bouge, comme une fine pellicule de
neige qui se pose durant une nuit glacée.
Souvenirs, visages, amour,…
Mais étrangement, cette
enflure ne semble pas vouloir déposer sa malédictions sur l'agréable senteur de cette fille. Elle est
encore là, dans ma tête. Et l'abîme de mon être grandit.
Le jour s'efface. Paisiblement. Je grignote toujours mes
crackers
et bois ma
bière.
J'ai l'impression
de ne plus être moi-même, de m'être perdu à jamais. Quelqu'un ou quelque chose a posé en moi une
de ses pièces mécaniques destinée autrefois à garantir le bon fonctionnement de son rouage interne.
Mais cette pièce est à présent en moi, perturbant le système complexe de ma conscience. Et
pareilles à de petites vagues venant s'écraser sur les rochers d'un rivage, la réalité revient sans cesse
violemment s'abattre sur les bords de mon moi originel. Je n'y arriverais pas. Je me sens impuissant.
Complètement faible. Je m'ouvre une deuxième
bière
. Je ne sais plus quoi faire, n'y quoi penser.
Mon être interne semble s'effacer, remplacé par une entité autre que le moi qui m'habitait avant ce
rêve. Qu'est-ce qui peut bien se passer? Bordel.
Trois gros nuages passent dans le ciel, guidés par le vent. On dirait trois gros vaisseau partant
gravement en guerre. Le chant des oiseaux s'estompe. La nuit arrive. Il m'arrive parfois de penser
que le Monde n'est pas ce qu'il est réellement. J'ai l'impression qu'il n'est juste qu'un gros carton
dans lequel on aurait maladroitement entreposé plusieurs éléments, tels que le soleil, la nuit, le
chant des oiseaux, les nuages ou encore le vent. On aurait bien refermé la boîte, et on l'aurait secoué
avec une terrifiante violence. C'est fou ce que le Monde peut être étrange. Merde alors.
Le néant avale tout, et emporte ce qu'il peut dans ses obscures entrailles. Il ne reste plus que le
Lampadaire, mon banc et moi. Il est à une dizaine de mètres de moi. La lumière qu'il dégage
ondule. On dirait une flamme, froide. Elle continue de gigoter, pénétrant lentement mon esprit. Je la
regarde, sans broncher. Elle me fascine. Ce vulgaire poteau doit se sentir bien seul, là, comme un
cocotier minable, au milieu du merdique océan urbain. Le temps disparaît, absorbé dans les
entrailles du Chaos.
Des pas résonnent derrière moi. Des pas de femme. Une femme, certainement avec des talons. Je
ne me retourne pas, je préfère continuer à grignoter. De tout manière, me faire poignarder dans le
dos ne m'effraie pas. Je me fous de vivre ou non.
Comme je m'y attendais, c'est une femme, une femme ravissante. Elle doit avoir pas loin de 35
ans. Ses talons aiguilles résonnent. Je la regarde. Elle me regarde, me sourit, puis s'assied sur le
banc à côté de moi.
«Bonsoir, qu'elle me dit.
-Bonsoir.
-Il fait bon n'est-ce pas? L'air est frais. Tout est calme. C'est agréable.
-Oui, je suppose.
-Vous supposez?
Je ne réponds pas. Je m'enfile ma troisième
bière
. Cette femme -vu son âge et sa grâce, il convient
de l’appeler Femme- est plutôt grande. Elle porte un tailleur mauve. Un Jean-Paul Gaultier. Elle doit
avoir un bon paquet d'argent celle-là dis-donc. Ses cheveux, ondulés, d'une teinte brune, couvrent sa
nuque. Je la regarde. Elle a un joli nez. Fin et pointu. Comme je les aime. Sa silhouette paraît pleine
d'une grâce naturelle. Cette femme était faîte pour devenir ce qu'elle est devenu.
Je sens son odeur, son parfum. Elle sent bon. C'est plaisant. Elle tourne sa tête vers moi, esquisse
un sourire. Un fin sourire. Je lui tends le paquet de
crackers
.
-Ça vous tente?
Je lui souris à mon tour.
Elle me tend sa main gauche, pour ne prendre qu'un seul
cracker
. Une main fine, élégante, sans
alliance. C'est bizarre. Une femme très «chic», des plus ravissantes, qui semble bourrée de fric, sans
maris. Louche. Mais bon, je m'en fous.
Elle mange petites bouchées par petite bouchées, toujours avec sa classe qui paraît naturelle.
Je lui dis :
-Je n'ai de cesse de poursuivre le spectre d'une femme pour laquelle mon existence est réduite à
néant. Bientôt, j'attendrai le point zéro, celui de non retour. Et tout ça, loin derrière le fantasme
après lequel je cours. Fais chier.
Elle se tait. Elle fixe le Lampadaire, dans sa lumière sans vie. Je le regarde aussi. On ne dirait plus
une flamme. Non. Ombres et Clartés se mélangent. On dirait une femme maintenant. Une femme
qui danse, sensuellement, doucement. Nous la regardons, tout les deux. Après un petit moment, elle
me dit:
-Je crois... Je crois que c'est là la destinée de tout homme.
-Hein?! De quoi?
-Courir après un futile fantasme. Au fait, pourrais-je connaître votre prénom?
-Noboru. Je m'appelle Noboru.
Je ne lui demande pas le sien. Parler à une belle inconnue, je trouve ça bien plus romantique.
-Dans votre cas, le fantasme s'avère être une femme. C'est triste.
-Ouai. Je ne sais même pas si cette femme est réelle, ou non. C'est con.
La Femme face à nous danse toujours. Voluptueusement.
-Je ne sais même pas ce que je suis réellement moi-même. Peut-être un ombre, ou bien une simple
métaphore. Juste du vent, ou un plaisant chant d'oiseaux. C'est étrange.
-C'est fou ce que le Monde peut être étrange.
-C'est vrai.
Je lui propose une
bière
, elle refuse. Je me l'ouvre.
- L’Amour fait souvent souffrir ceux qui le partagent...
-Ne me parlez pas d'Amour! Tout ça est faux. L' Amour est une de ces merdes fraîchement
écrasées, sur le bord d'un trottoir. Un trottoir altéré par l'usure du temps, la pluie et les milliards de
pas d'hommes et de femmes puant la sale banalité quotidienne. L' Amour n'existe pas. Ça n'est qu'un
vulgaire déchet, futile, qui emplit le cœur des êtres de naïveté. Que les putains d'idéalistes aillent se
faire foutre.
-Je ne sais pas. Y croire ou non est relatif, je pense.
-Foutaise. Ceux qui y croient ne sont que des simples d'esprit. Une telle chose ne peut exister. La
vie n'est pas si belle. La vie est seulement la vie. Rien de plus, rien de moins.
Elle me sourit. Un jolie sourire qui laisse découvrir des dents d'une parfaite blancheur. La
danseuse se métamorphose. La lumière et l'ombre se mouvent doucement, formant une sorte de
papillon. Un subtil papillon dont chaque battements d'ailes disperse ici et là, les squames d'un
insondable Chaos. Qui suis-je..?
-Vous pensez que l'illusion est le versant de la réalité?
-Possible. J'en sais trop rien.
-Parfois, je me dis que je n'appartiens pas à ce Monde là.
Qu'est-ce qu'elle me raconte? Étrange. En même temps qu'elle me parle, elle frotte, de sa main
gauche, son annulaire droit. J'y remarque plusieurs bagues. On dirait de l'or. Remarque, ça
m'étonnerait pas, friquée comme elle à l'air.
-Je ne comprends pas ce que vous voulez dire, désolé.
- Et bien, il m'arrive de penser que je ne suis pas faite pour vivre dans ce Monde. Que cette réalité
ne m'accepte pas. Et que réciproquement, je ne l'accepte pas. Je me sens comme acculée. Piégée.
Son regard pèse sur ma conscience. Le papillon bat des ailes. Lui aussi semble piégé. Réduit à ne
pouvoir s'envoler.
-Peut-être que votre esprit s'est égaré.
-Égaré?
-Oui, il s'est peut-être perdu, noyé dans les entrailles du néant. Il n'aurait pas choisit la bonne
«destinée». Vous savez, une croyance populaire prétend qu'avant notre naissance, notre âme à accès
au destin du «personnage» qu'elle choisira d'incarner et qu'elle est libre de choisir. Dans votre cas, il
se peut que son choix n'ait pas été respecté. Enfin, j'en sais trop rien..
-Ça serait bien triste, n'est-ce pas..?
-Oui, fatalement triste.
Sur ces derniers mots, elle se lève. Elle me sourit et me dit:
-Ce fut plaisant de parler avec vous. Vraiment.
Je la regarde partir. Pas à pas.
D'un coup, elle se retourne et me lance:
- Vous savez, un certain Don DeLillo à dit: « Il y a des étoiles mortes qui brillent encore parce que
leur éclat est pris au piège du Temps».
C'est tout. Elle s'en va. Elle disparaît. Dans les entrailles obscures de la villes. Je peux encore
sentir son parfum. Je peux aussi sentir le parfum de la fille qui m'est apparu en rêve. Le goût de ses
lèvres, subtil, imprègne encore les miennes.
Je m'ouvre une autre
bière.
Je la vide, d'un coup. Sec. Mes yeux se rivent sur le ciel. Sur les
étoiles. Une brise, douce, me caresse. Je divague, m’effaçant peu à peu. Je sombre dans une
profonde et noire étendue d'eau sale. Poisseuse. Au fond, doit se trouver le cristal de légende, le
secret trésor de ma conscience. Mais il n'y est pas. À sa place, seulement, se trouve le délicieux
nectar de sa personne. Elle. Ma divine ambroisie.
Je me prend une
Short Hope.
J'aspire quelques bouffées. Je les recrache. Le Lampadaire est
redevenu celui qu'il était, sans vie. Seul. Les rêves sont étranges, parfois. Ce rêve était étrange.
Cette réalité était étrange.
Je vais passer la nuit à me triturer la tête. Comme à mon habitude, je me torture pour rien.
Merde.
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