Les Amants d Alger
128 pages
Français

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Description

Sujet - À Noël 1947, Paul Quentin débarque en Algérie pour y passer les vacances avec sa compagne Myriam, qu'il a rencontrée pendant leurs études de philosophie. Pour le jeune homme, revenu de ses engagements dans la Résistance et en politique, cette parenthèse amoureuse en terre inconnue porte l'espoir d'un nouveau départ. Pour son amie, originaire d'Alger, c'est un retour aux sources. Hélas ! le voyage ne tient pas ses promesses. Paul a du mal à se faire accepter par la famille de Myriam qui, de son côté, entretient des sentiments ambigus vis-à-vis de son pays natal. Face aux difficultés qui s'accumulent, Paul décide de partir seul pour un long périple dans le désert.


L'auteur : Avec Les Amants d'Alger, Marcel Cordouan n'en est pas à son coup d'essai. Cet ancien étudiant en lettres et philosophie devenu haut fonctionnaire de l'État a signé deux romans et un essai sur l'histoire franco-allemande, bientôt suivi d'un second essai politique. C'est sur les bancs de la faculté de philosophie et dans ses racines maternelles situées en Afrique du Nord qu'il a puisé une part de son inspiration pour ce premier roman publié aux éditions De Borée.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 2011
Nombre de lectures 158
EAN13 9782812914072
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0082€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Extrait
I

LE VILLE D’ALGER achevait les dernières manœuvres d’accostage. Sur le gaillard d’avant, Paul Quentin observait les magasins de la Compagnie générale transatlantique. Son rêve de démarrer une nouvelle existence se réalisait. Exclu du Parti communiste au cours des événements de l’automne, il reprendrait des forces sur cette terre d’Afrique où, quelques années plus tôt, bon nombre de ses camarades avaient rejoint la deuxième division blindée pour reprendre le combat contre l’Allemagne nazie. La guerre avait laissé sur lui une empreinte indélébile, pas seulement à cause de l’âpreté de la lutte entre les armées mais surtout en raison de la découverte macabre des camps de concentration. Ce voyage le distrairait du cauchemar qu’il refaisait souvent : il entrait dans le camp de Dachau avec sa compagnie et l’odeur de la mort le prenait aux narines avant même qu’il ne réalise le spectacle horrible qui s’offrait à ses yeux : l’énorme tas de cadavres dans la cour et les déportés aux yeux fous, fuyant leurs libérateurs. Il oublierait aussi ici l’ennui distillé par les professeurs de la Sorbonne dont il suivait les cours pour préparer l’agrégation de philosophie. Et puis, il était à l’abri du temps gris parisien pendant les vacances de Noël. On était le mercredi 17 décembre 1947 et il avait prévu de passer une quinzaine de jours en Algérie. Comme il avait perdu ses illusions politiques, il avait reporté tous ses espoirs en Myriam Dusnach, une étudiante algéroise qu’il avait rencontrée quelques semaines auparavant et dont il était tombé amoureux. Elle avait pour lui l’attrait de l’inconnu et, même s’il s’était déjà aperçu qu’ils auraient du mal à s’entendre, il était prêt à risquer l’aventure. Il était entièrement disponible. Ce sentiment était grisant et convenait bien à son tempérament. Pour commencer, il était décidé à découvrir Alger de fond en comble parce que Myriam lui en avait donné envie par ses descriptions.

Myriam se trouvait à ses côtés, accoudée au bastingage, silencieuse. Ils contemplaient maintenant un long boulevard à arcades sur lequel passaient des voitures, bordé par des immeubles de belle facture. Des cubes blancs descendaient des hauts de la Casbah. Paul distinguait la pointe de l’Amirauté et, plus loin, Notre-Dame d’Afrique. La ville était nimbée d’un léger voile de brume. Il songeait à l’explication d’un texte de Plotin à laquelle il avait assisté avant de quitter Paris. Ce philosophe du IIIe siècle après Jésus-Christ n’était pas né loin d’ici puisqu’il était originaire d’Égypte et il méditait la sagesse de son enseignement. Les âmes avaient une double vie. Elles séjournaient tantôt dans le monde intelligible, tantôt dans le monde sensible. La sienne descendait aujourd’hui dans ce tableau aux couleurs vives accroché à la cimaise du ciel après avoir connu bien des épreuves. Vivre, c’était ne pas se résigner. Ils s’étaient levés très tôt pour voir le surgissement de la côte africaine mais il ne sentait pas la fatigue.

Il ne songeait plus à Tania, cette actrice qui faisait partie comme lui du groupe de théâtre antique de la Sorbonne et avec laquelle il avait eu une liaison au moment où il avait rencontré Myriam. Il ne voulait plus penser aux autres femmes parce qu’elle les résumait toutes avec ses yeux noirs et son air d’adolescente prolongée. Sa peau brune évoquait celle d’une fille du désert, aux antipodes du teint blafard de Tania surgie des brumes du Nord. Elle était plutôt petite, bien en chair et ne répondait pas aux canons de la beauté ordinaire. C’est justement ce qui l’attirait chez elle. Sa ressemblance avec Juliette Gréco l’avait frappé. Elle avait aussi sa voix grave dont les harmoniques profondes le berçaient. Pour Myriam, ce retour à Alger était au contraire une plongée dans les vingt-deux premières années de sa vie qu’elle avait voulu fuir. Elle rêvait déjà de quitter cette ville devant la carte des départements métropolitains tachée de jaune, de rose, d’orange, à l’école primaire de la rue Rochambeau. Ses camarades chrétiennes maintenaient à l’écart la Juive qui était  brune  comme  une  Arabe. Chez elle, le ritualisme religieux de ses parents lui pesait. Elle s’était réfugiée dans ses rêves parce que la réalité était trop dure. Quand le régime de Vichy l’avait privée avec sa famille de la nationalité française, elle avait été désespérée. L’idée qu’elle puisse être une indigène ne l’avait jamais effleurée. Qu’avait-elle en commun avec les Arabes ? Elle parlait leur langue et eux parlaient un peu la sienne, rien de plus. Après le débarquement des Américains, on avait entendu le « Chant des partisans » au lieu de « Maréchal nous voilà » dans les rues d’Alger. La République lui avait rendu sa nationalité française et, avec elle, l’espoir d’une libération personnelle qu’elle avait concrétisée en arrivant à Paris au mois d’octobre pour préparer l’agrégation. Avait-elle eu raison de proposer à Paul de l’accompagner à Alger ? Est-ce qu’elle aimait vraiment ce garçon ? Il était de taille moyenne mais il était si mince qu’il paraissait grand. Elle ne pouvait pas lui résister à cause de ses yeux verts, de ses cheveux bruns ondulés qui laissaient apercevoir un front immense et de son sourire enjôleur. Elle était très attirée par son physique et son intelligence mais elle passait sans cesse de l’envoûtement à l’irritation quand elle discutait avec lui. Comment réagirait-il, une fois le choc de la découverte passé ? L’univers des Juifs algérois lui paraîtrait sans doute étriqué. Elle se félicitait d’avoir demandé à Raymonde de garder sa place dans leur chambre à la Cité Universitaire parce qu’elle n’était pas sûre de s’installer avec lui à leur retour à Paris. Elle l’avait prévenu sans qu’il prenne son avertissement au sérieux, renvoyant cette question à plus tard, tellement il était certain que leur voyage achèverait de la convaincre qu’ils étaient destinés l’un à l’autre. Accoudés au bastingage, ils avaient l’air de jeunes premiers encore incertains de leurs rôles.

Les passagers furent invités à préparer leurs affaires pour descendre sur le quai. Ils saluèrent les Séverac, un couple de professeurs de mathématiques communistes avec lequel ils avaient sympathisé. Myriam suivit Paul vers la coupée en lui disant :
– Tu débarques dans un autre monde.
– Je vais peut-être en profiter pour voir l’endroit où l’avion de Leclerc s’est écrasé.
– Où donc ?
– À Colomb-Béchar.
– Tu es fou ! C’est à des centaines de kilomètres d’Alger.

Elle se rappela le jour où elle avait appris la disparition du général à la radio. C’était aussi celui où elle avait pensé emmener Paul à Alger... Qu’il ne compte pas sur elle pour l’accompagner dans ce bled.
– Notre véritable histoire commence, reprit Paul. Si je ne t’avais pas rencontrée, je ne sais pas ce que je serais devenu.
Elle haussa les épaules, sensible malgré tout au compliment, et précisa :
– La grande dame brune avec le manteau et le chapeau gris sur le quai, c’est maman. J’étais sûr que papa ne se dérangerait pas. Il doit être mécontent que je revienne avec toi.
Sa mère répondit à son signe de la main par un grand sourire. Ses certitudes des derniers jours fondirent. Elle craignait le premier contact de Paul avec ses parents. Ils avaient manifesté leur désapprobation à l’avance dans une lettre qu’ils lui avaient envoyée à Paris. Avant même de le connaître, ils l’avaient écarté parce qu’il avait le tort de ne pas être juif. Elle en avait été très déçue. Peu lui importait qu’il ne soit pas juif. Ils avaient au moins un point commun. Leur vraie patrie était les livres et ils ne partageaient ni l’un ni l’autre les préjugés de leurs familles.
Esther ne cessait de parler :
– Ton père sera fier de revoir la première de ses enfants à avoir traversé la Méditerranée après lui. Quand il s’est embarqué en 1914, les Allemands étaient sur la Marne… Depuis, personne dans la famille n’avait recommencé à part mon frère Élie. Vous n’avez pas eu de tempête ? Il a beaucoup plu ces jours derniers. La mer était grise comme une éponge. Heureusement, le soleil est de retour pour votre arrivée.
Myriam secoua la tête. Deux mois plus tôt, au même endroit, sa mère avait jeté un verre d’eau dans la mer pour la faire revenir. Une chanson de Juliette Gréco avait réveillé la nostalgie de sa ville natale. Au départ, cette idée d’emmener Paul était une feinte parce qu’elle ne voulait pas le suivre chez ses propres parents à La Rochelle. Finalement, elle y était allée quand même. Et maintenant, elle s’exposait encore plus à lui en l’amenant chez elle. La chanson lui trottait dans la tête :
Si tu t’imagines, Fillette, fillette…
– Tu ne te sens pas bien ? reprit Esther.
– Le voyage était un peu fatigant.
– Vous êtes chargés, mes enfants. Nous allons prendre un taxi. J’avais demandé au père Aboulker de m’accompagner, mais il avait mieux à faire. À la synagogue, c’est pareil : dès qu’il s’agit de rendre service, il se défile. Il n’apporte jamais rien au Fourneau économique pour les nécessiteux de la communauté… Au fait, Myriam, il faut trouver une chambre d’hôtel pour ton ami.
Jusqu’au dernier moment, Myriam avait espéré que ses parents demanderaient à leurs voisins de leur prêter une chambre.
– Ne vous tracassez pas, madame, je me débrouillerai, intervint Paul.
Un homme sortit d’un taxi et Esther s’adressa à lui en arabe. Myriam souffla à son oreille :
– Trois peuples ou plutôt trois religions cohabitent ici. Les Frangaoui confondent dans un même mépris tous les indigènes. Ils tutoient les Arabes. C’est leur façon de les distinguer des Juifs.
– Tu comprends l’arabe aussi ?
– C’était ma première langue au lycée. J’avais régulièrement le premier prix de ma classe. Je trouve normal de connaître la langue de ce pays et celle de mes ancêtres. Ce n’est pas nécessaire de remonter très loin. Mes grands-parents parlaient le judéo-arabe entre eux et mes parents continuent à l’utiliser de temps en temps.
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