Jorge Ricardo Masetti
277 pages
Français

Jorge Ricardo Masetti , livre ebook

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277 pages
Français

Description

Au printemps 1958, le journaliste argentin Jorge Ricardo Masetti (1929-1964) interviewe les leaders de la guérilla cubaine, Fidel Castro et Che Guevara. Cette exclusivité radiophonique va changer le cours de sa vie. La Révolution triomphe en janvier 1959 et le Che lui confie les rênes de la bataille médiatique. Masetti fonde alors l'agence de presse internationale Prensa Latina (1959) dont l'objectif est de rompre le monopole des agences états-uniennes. La vie de Masetti constitue un apport fondamental à l'analyse de la geste guévariste.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 2007
Nombre de lectures 104
EAN13 9782296176690
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0950€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Préface
Vingt années bientôt après l'effondrement du système communiste de type soviétique en Europe et alors même que le castrisme est aussi en difficulté avec la fin annoncée dulíder máximo, proposer la première biographie en langue française de Jorge Ricardo Masetti, un révolutionnaire argentin proche de Che Guevara, peut paraître étonnant. Pourtant, cette étude mérite la lecture : précise, bien documentée, rédigée de façon alerte, elle suscite un intérêt continu. Pierre-Olivier Pilard ne se contente pas de prolonger les travaux de Gabriel Rot et Guillermo Rojas, il a effectué sur place sa propre enquête documentaire, recueilli de nombreux témoignages, il a tout lu ou presque sur et autour de son sujet (voir les notes et la bibliographie). Ce retour vers les mouvements révolutionnaires d'Amérique latine, autour de 1960, peut nous aider à comprendre les mutations politiques récentes de beaucoup de pays du sous-continent.
Masetti, né en 1929, compatriote du Che et son cadet d'un an seulement, est encore un jeune journaliste radio d'El Mundode Buenos Aires, un déçu du péronisme, quand il décide d'aller enquêter à Cuba, dans la Sierra Maestra, fin mars 1958, sur la jeune guérilla menée par Castro, afin de comprendre la nature (qui finance ?) et les objectifs de ce mouvement révolutionnaire. Il aurait pu en rester à un scoop remarquable : les interviews radiophoniques de Fidel et du Che et surtout la diffusion du premier des discours fleuves de Castro au peuple. Mais il sort transformé des deux mois de vie dangereuse partagée avec les militants urbains du M-26 puis avec les guérilleros de la Sierra. Tout particulièrement, de nombreuses conversations avec Guevara dont il devient l'ami l'ont convaincu de la légitimité de la lutte armée contre la dictature de Batista afin d'établir une démocratie basée sur la justice sociale et l'indépendance nationale.
S'étant affirmé, après son retour en Argentine, comme un défenseur de la Révolution cubaine par ses publications et conférences, Masetti
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est appelé à La Havane par Guevara peu de temps après la victoire des guérilleros. Début 1959, le Che le choisit comme directeur de la nouvelle agence de pressePrensa Latina(ouPrela) qui a pour mission de briser le monopole des grandes agences des Etats-Unis, afin de faire connaître d'un point de vue anti-impérialiste ce qui se passe non seulement à Cuba, mais aussi dans l'ensemble de la « patrie latino-américaine ». Le journaliste argentin réussit bien dans cette entreprise de guerre médiatique, fondant de nombreuses succursales dans les pays d'Amérique latine, recrutant des journalistes engagés comme le futur prix Nobel G. García Márquez.
Alors qu'il était devenu une sorte d'ambassadeur officieux du guévarisme lors de ses déplacements à l'étranger, Masetti est contraint de démissionner de la direction dePrelaau printemps 1961. Dans le contexte d'une tension croissante avec les Etats-Unis, les « orthodoxes » du PSP (Partido Socialista Popular, le nom alors du parti communiste cubain), ayant de plus en plus d'influence, développent la censure et font écarter un journaliste qui s'affirme trop proche à leur goût du tiers-mondisme du Che. Cependant, au moment de l'invasion de la Baie des cochons en avril 1961, dans un climat d'union sacrée, Castro rappellera provisoirement Masetti à la direction dePrensa Latina.
Avec la Crise des Missiles, tandis que s'affirme l'influence de l'URSS sur Cuba, Masetti considère, comme Guevara, que la lutte révolutionnaire doit s'intensifier et s'internationaliser. Après avoir été de nouveau chargé de missions diplomatiques, en particulier en Afrique du Nord où, fin 1961, il avait apporté une aide armée de Cuba au FLN algérien, il décide de s'engager totalement dans la lutte révolutionnaire en Amérique latine. Guevara va lui confier la mission de mettre en œuvre, pour la première fois, ses principes et techniques de la guérilla révolutionnaire, tels qu'il les avait définis, en 1960, dans La guerre de guérilla. En mai 1962, le choix du Che se porte sur l'Argentine, alors sous la férule de militaires qui pourchassent les péronistes et les communistes. Salta, une région isolée et montagneuse du nord-ouest de l'Argentine, paraît apte à devenir lieu d'implantation du foyer révolutionnaire guévariste. Les paysans, dont de nombreux Amérindiens, y sont particulièrement pauvres et exploités, et la Bolivie qui partage sa frontière avec cette région peut servir de relais
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et d'échappatoire : le PC y est moins aligné sur l'URSS que ne l'est celui de Cuba et un groupe révolutionnaire y existe déjà.
Tout indique que Guevara va prendre la direction effective de cette colonne révolutionnaire de Salta, la première qu'il organise, et minutieusement, sur le continent sud-américain. Mais en attendant sa venue, souvent différée, c'est Masetti, commeComandante Segundo, qui la dirige. Après une opération préalable de reconnaissance, le petit groupe de guérilleros se fixe dans la province saltègne en septembre 1963. Son destin est tragique : peu nombreuse (40 membres « actifs » au maximum), indisciplinée, dénoncée, découverte et même infiltrée par la police, la guérilla sera anéantie en mars-avril 1964, avant même d'avoir pu combattre. Les révolutionnaires sont faits prisonniers ou meurent de faim et l'on ne retrouvera jamais le corps de Jorge Masetti.
Voilà, nous semble-t-il, l'essentiel des informations concernant J.R. Masetti que nous fournit P.O. Pilard, mais ses développements sont beaucoup plus riches. En s'attachant à cette période cruciale des années 1958-1964, à travers les destins croisés de Masetti et de Guevara, il revisite toute l'histoire de l'Amérique latine révolutionnaire pendant cette période. Il montre la séduction exercée par le guévarisme sur certains jeunes intellectuels (une bonne partie des guérilleros de Salta sont des étudiants), de même que la réticence plus en plus marquée des appareils communistes du sous-continent à l'égard de cette doctrine trop aventuriste à leurs yeux. Y a-t-il eu, comme le pense l'auteur à la suite de G. Rot, une conspiration du silence à l'encontre de Masetti ? Son guévarisme enthousiaste, son tiers-mondisme militant et sa vision romantique de la guerre révolutionnaire en faisaient, pour des partis communistes de plus en plus soumis à l'URSS (ce à quoi les poussait la politique agressive des Etats-Unis à l'intérieur de ce qu'ils considéraient comme leur pré carré), un frère ennemi à disqualifier, alors qu'il était plus difficile de s'attaquer directement au Che. C'est en particulier sur ces interactions complexes entre guévaristes, fidélistes et communistes à Cuba comme dans toute l'Amérique latine, dans le contexte de l'évolution des relations entre les USA, l'URSS, la Chine et les non-alignés, que cet ouvrage apporte des éclairages précieux (voir par exemple les pages concernant l'Algérie). On mesure aussi combien, pour Guevara comme pour Masetti, une politique culturelle volontariste visant à
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briser le monopole des agences de presse étrangères est un élément constitutif du combat : la lutte révolutionnaire est aussi une guerre médiatique, une guerre des images, des mots, de la propagande.
Au terme de cette lecture, des questions restent posées. En les évoquant, l'auteur, malgré sa sympathie pour Masetti et Guevara (il revendique, comme l'ancien directeur dePrela,la possibilité de concilier objectivité et partialité), se garde bien d'apporter des réponses complètes ou simplistes. Comment expliquer l'infiltration, dans cette petite colonne isolée, de deux policiers sans que cela éveille la méfiance de Masetti ? La guérilla de Salta a-t-elle été trahie par le parti communiste argentin qui avait été informé de son existence par le parti de Bolivie ? Quels que soient son courage, sa valeur humaine et sa détermination politique, Masetti avait-il les qualités suffisantes pour mener une opération militaire aussi difficile ? N'a-t-il pas démoralisé sa petite troupe en faisant exécuter deux de ses hommes, coupables il est vrai de négligence et d'insubordination, ce qui mettait le groupe en danger ? Comment peut-on se lancer dans une telle entreprise avec des hommes dont la plupart sont fraîchement recrutés, donc sans entraînement ni expérience ? Quelle est la part de responsabilité de Guevara dans cet échec complet qui apparaît, avec le recul, comme une sorte d'opération-suicide ? Le cours des choses aurait-il été changé s'il avait pris, commeComandante Primero, la direction des opérations ?
En toute hypothèse, il semble bien que la tentative de créer ce foyer révolutionnaire en Argentine venait trop tôt ou trop tard. Certes, Masetti conteste la légitimité d'élections encore contrôlées par les militaires, mais Arturo Umberto Illia, élu en août 1963, est bien un président constitutionnel. Quant au mouvement péroniste qui reste puissant, en particulier dans le mouvement syndical, il suit toujours les directives de son chef réfugié à Madrid et celui-ci a repoussé les tentatives de Guevara en vue de constituer un front de collaboration provisoire.
Che Guevara sera très marqué par l'échec de Salta et la disparition de son ami, ce qui explique en partie sa décision d'aller en Afrique propager son idéal révolutionnaire avant revenir le mettre en œuvre en Amérique latine, quand les conditions objectives d'un soulèvement
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