Les proies de l officier
283 pages
Français

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Les proies de l'officier , livre ebook

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283 pages
Français

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Description

Un jeune capitaine, humaniste et idéaliste, mène une enquête policière au cœur de la terrible campagne de Russie.





Juin 1812, Napoléon lance une armée de quatre cent mille hommes à la conquête de la Russie. Mais sur la route de Moscou, entre les batailles d'Ostrowno et la Moskowa, un officier de la Grande Armée tue sauvagement des femmes. C'est au capitaine Quentin Margont que Son Altesse le prince Eugène, vice-roi d'Italie et beau-fils de Napoléon, demande de suivre ? discrètement ? cette piste sanglante...À trente et un ans, Armand Cabasson fait éclater son talent dans ce thriller historique, digne des "Foulards rouges" de Frédéric Fajardie pour le suspense et de William Boyd pour la qualité des reconstitutions historiques. Il a su ressusciter une époque, confronter le lecteur avec la vie quotidienne des hommes qui participèrent à cette épopée ? toujours avec le plus grand souci d'authenticité. Il a déjà publié en 1998 un premier polar et de nombreuses nouvelles. Et il a été remarqué, notamment au festival de Cognac. Dans "Les Proies de l'officier", il a voulu allier son goût naturel pour le thriller ? fortement nourri par sa connaissance de la psychologie des criminels psychopathes ? à sa passion pour l'époque napoléonienne.





Depuis la Grande Redoute, on vit accourir une multitude de Russes, les épaules pressées les unes contre les autres. Le courage gorgé de vodka, ils formaient un mur compact et criaient : "Hourra! Hourra!" pour remercier les Français de leur faire le plaisir extrême de les affronter. Dans le retranchement, principalement occupé par le 30e de ligne car les autres régiments étaient placés de part et d'autre de la position, on était sidéré. Alors quoi? On n'avait pas gagné? Ce n'était donc pas fini? Les Français faisaient feu de toutes parts mais les Russes ne ralentissaient même pas leur course. Leur masse grouillante verte et blanche où scintillaient les reflets des baïonnettes recouvrait aussitôt ceux des leurs qui tombaient, donnant l'illusion que la fusillade n'avait eu aucun effet. - Nom de Dieu, on tire sur des fantômes ou quoi? jura quelqu'un.Margont aperçut Saber qui, avec quelques hommes, abattait les restes de la double palissade qui fermait la gorge de la Redoute. Ils faisaient pression sur les troncs épargnés par les boulets, poussant à deux mains ou s'adossant contre le bois. On avait du mal à comprendre pourquoi ils agissaient ainsi. N'avaient-ils donc pas remarqué que les Russes allaient rentrer par là? - Arrêtez-moi ces crétins ou je les fais fusiller sur-le-champ contre leurs poteaux! cria un colonel en désignant Saber et ses hommes de la pointe de son sabre.Margont se fraya un chemin dans la foule des fusiliers pour rejoindre son ami. - Tu es fou? Qu'est-ce que tu fais?Saber avait agrippé un tronc qu'il faisait pencher peu à peu. Il était si têtu que, si trois hommes l'avaient empoigné pour l'enlever de force, ils l'auraient emporté avec son bout de palissade.- La Redoute est perdue! On va être balayé comme des feuilles mortes et les habits verts vont s'accrocher à cette batterie comme des moules à leur rocher. La seule façon de revenir ici, ce sera une attaque combinée en étau, infanterie de face et cavalerie à revers. Donc il faut dégager la voiepour nos cavaliers!- Une attaque combinée? hurla Margont sans comprendre.Durant la nuit, Saber n'avait jamais tenu compte du facteur humain en traçant ses plans de bataille sur le sol. Ça, c'était une chose. Mais même à présent, alors qu'une marée humaine allait les engloutir, il continuait à raisonner de façon froide et mathématique. Désincarnée, même. Saber s'écroula avec son poteau. Un cavalier surgit devant eux. Son cheval piaffait et agitait la tête pour chasser l'écume de ses lèvres. L'homme et sa monture se tenaient en contre-jour et leurs silhouettes, sombres, fières, magnifiques, étaient effrayantes. On aurait dit l'un des quatre cavaliers de l'Apocalypse. Les yeux des soldats s'acclimatèrent et reconnurent le colonel Delarse. Il tournait le dos à l'ennemi. Les Russes, de plus en plus proches, tentaient tous d'abattre cet officier que certains prenaient pour Napoléon en personne. Delarse désigna le cœur de la Redoute. - Messieurs, ceci est la porte de Moscou. Ne les laissez pas la refermer !Une clameur accueillit ces paroles et les "Vive l'Empereur!" retentirent. Delarse repartit au galop, suivi par un cheval noir sans cavalier. Darval, son officier adjoint, venait en effet de rouler mort au pied du remblai. La nuée russe s'abattit sur le retranchement. Des ombres noires apparurent de tous les côtés dans la fumée suffocante de la fusillade. De vives lueurs crépitaient sans cesse dans un vacarme assourdissant. Les Russes tentaient de pénétrer par la gorge mais les Français leur barraient le passage. Les corps s'agglutinaient de part et d'autre. Les Russes qui suivaient se jetaient de tout leur élan contre leurs camarades pour faire sauter le bouchon de ce goulot. Les soldats du 30e et du 13e léger se massaient pour contrebalancer la poussée russe. Ceux qui se trouvaient au centre de cette mêlée étaient écrasés dans cet étau. Plaqués les uns contre les autres, certains avaient été tués mais ne pouvaient même pas tomber, donnant l'illusion que les morts eux-mêmes s'étaient relevés pour participer au combat. Margont leva la tête. Des Russes faisaient feu depuis les hauteurs du remblai. Leurs corps se détachaient si distinctement qu'ils se faisaient abattre presque aussitôt. D'autres les relayaient pour connaître le même sort. Les défenseurs de la gorge furent finalement submergés. Des hommes furent piétinés tandis que les Russes, hurlant de joie, déferlaient en embrochant tout ce qui bougeait. Margont, tétanisé, pensa aux arènes de Nîmes. Il avait l'impression d'être au cœur de cet édifice antique, misérable gladiateur perdu dans une foule d'autres gladiateurs. Mais il n'y avait aucun public, aucun César prêt à lever le pouce pour faire cesser le carnage. Il vit des mousquetiers verts se ruer dans sa direction. Un fusilier français, juste à côté de lui, se mit à hurler de rire. Il se tenait immobile, l'arme au pied, et riait, riait, riait. Quelqu'un se plia en deux devant Margont. Un bout de métal sanglant dépassait de son dos. Margont tira un coup de pistolet dans la poitrine d'un assaillant. Une forme vociférante le chargea en brandissant une baïonnette. Il se précipita vers elle, esquiva la lame et lui plongea son épée dans le ventre. A sa droite, quelqu'un tira un coup de feu dans le visage de quelqu'un d'autre. Une main lui attrapa la cheville. Il bondit en arrière sans chercher à savoir s'il s'agissait d'un Russe renversé ou d'un blessé qui réclamait de l'aide. Un coup de crosse porté par derrière lui percuta l'épaule gauche et lui fit perdre l'équilibre. Il se retourna vivement et découvrit un fantassin qui levait sa baïonnette pour l'épingler au sol. Margont avait lâché son épée. Il bondit comme un ressort, ceintura le Russe et tous les deux chutèrent. Margont se releva. Les Français se repliaient. Il aperçut le général Bonnamy, qui commandait le 30e de ligne et le 2e de ligne de Bade. Bonnamy était en sang. Une masse de Russes l'enveloppa pour le cribler de coups de baïonnettes. Le fusilier riait toujours. Il n'avait pas bougé d'un centimètre. Un Russe lui plongea sa baïonnette dans le ventre. Le Français n'avait même pas esquissé un geste pour se défendre. Il s'effondra. Il avait cessé de rire. Il ne retrouva la raison que pour mourir. Margont récupéra son épée. Le soldat qui avait tenté de l'empaler avait ramassé son fusil. Margont pointa son pistolet déchargé sur lui. Le Russe hésita. Allait-il tenter l'affrontement ou renoncer? Une balle perdue prit la décision à sa place en lui traversant la poitrine. Partout, des fusils étaient jetés à terre et des bras se levaient. Les Russes avaient gagné. Margont rejoignit ceux qui se repliaient. Ayant été encerclés, ils durent se faire jour à travers l'ennemi. Les deux tiers du 30e avaient péri dans la Redoute et ses alentours. Mais les rescapés, ajoutés à ceux du 13e léger et des autres régiments, constituaient encore une force puissante. Ils avaient commencé à se replier en bon ordre lorsque, soudainement, le groupe déterminé se changea en une foule en ébullition. C'était comme si les esprits avaient subi une mystérieuse réaction chimique les amenant à un état d'équilibre instable. La peur augmenta dans des proportions considérables alors que, paradoxalement, le danger diminuait puisque l'on était en train de regagner ses lignes. Un tambour pressa le pas pour dépasser un grenadier. Ce fut le petit élément anecdotique qui déclencha l'explosion. Le grenadier accéléra pour repasser devant le tambour et tout le monde se retrouva en train de courir. La peur devint panique, or la panique est la plus contagieuse de toutes les maladies. Margont tourna la tête. Les Russes les poursuivaient.- Reformez les rangs ou ils vont nous massacrer! hurla-t-il.






Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 07 avril 2011
Nombre de lectures 212
EAN13 9782841115082
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0120€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

DU MÊME AUTEUR
Roman
Un monde hostile (sous pseudonyme),
Largo Éditions, 1998 (épuisé)
Nouvelles publiées en recueil collectif
« Le petit singe de Kyoto » in Extrême-Orient fantastique ,
Éditions de l’Oxymore, 2002
« L’ultime nuit d’Halloween » in Écrans noirs ,
Le Marque-Page Éditeur, 2002
« L’insaisissable cœur des êtres » in Dessous noirs ,
Le Marque-Page Éditeur, 2001
« L’avion fantôme » in Une lettre pour le vieux Tolly Hope ,
Éditions Siloë, 2001
« Résoudre tous les problèmes » in Buffet noir ,
Éditions Cheminements, 2000
« Affaire Alice » in Le Grand Concours (sous pseudonyme),
Éditions Ancre Rouge, 1999
ARMAND CABASSON
LES PROIES DE L’OFFICIER
roman
© NiL édition, Paris, 2002
EAN 978-2-84111-508-2
À Emmanuelle dont j’ai le bonheur de partager la vie et à Françoise
1.

Bizarrement, ses mains ne tremblaient pas. L’homme contemplait le cadavre de la servante avec laquelle il discutait quelques instants plus tôt. Sa victime, pitoyable corps sanglant et mutilé, était bien réelle. Mais il la fixait avec aussi peu d’émotion que s’il s’était agi d’une poupée brisée. Ce qui le mettait mal à l’aise, ce n’était pas d’avoir assassiné, mais de ne pas ressentir de culpabilité. Par ailleurs, cette tranquillité contrastait avec le trouble intense qui l’avait envahi tandis qu’il poignardait cette femme encore et encore.
Il se leva si précipitamment que sa chaise faillit basculer. Le temps jouait contre lui. L’hôtelier ou l’un de ses employés finirait bien par frapper à la porte afin de réclamer de l’aide pour le service. L’homme savait qu’il devait sortir de sa torpeur. Ses chaussures, son pantalon, sa chemise, ses cheveux : tout était couvert de sang. Il n’avait pu se nettoyer le visage et les mains qu’en partie et des traces restaient visibles. Impossible de prendre le risque de croiser un client dans le couloir. Et comment aurait-il pu traverser la grande salle du rez-de-chaussée sans être interpellé par l’un des fantassins occupés à manger, à se soûler, à fumer, à bavarder et à suivre du regard les serveuses jusqu’à s’en tordre le cou ? Lorsqu’il était venu dans cette chambre, il ne savait pas qu’il allait tuer cette femme. Il réalisait à présent qu’il était piégé. Il décida donc de fuir par la fenêtre.
La chambre se trouvait au troisième étage, sous les toits. Il avait plu durant toute la soirée mais de lourds nuages persistaient et dissimulaient la lune. La nuit noire lui offrait des chances raisonnables de ne pas être aperçu par les nombreux soldats qui allaient et venaient dans les rues. Il ouvrit la fenêtre et jeta un prudent coup d’œil en contrebas. Trois fantassins se poussaient en titubant et en riant. Ailleurs, des Italiens se disputaient avec des Français sans qu’aucun des deux groupes entende ce que disait l’autre. Le 4 e  corps de l’armée française campait à proximité, aussi ce bourg et tous les villages avoisinants avaient-ils été envahis par des militaires. Comme un hussard lancé en pleine charge, l’homme tenta le tout pour le tout. Une capote grise de simple soldat dissimulait sa chemise maculée de sang. Il monta sur le rebord de la fenêtre et se hissa à la force des bras sur l’avancée des tuiles. De là, il gagna sans mal le sommet et, se déplaçant prudemment à genoux, il vint se tapir contre la large cheminée de pierre. Et maintenant ? Aucun appui ne lui permettait de redescendre. De toute façon, cela lui était interdit pour le moment. Il demeura un instant caché dans les ténèbres. La rue, elle, semblait appartenir à un autre monde. Elle baignait dans la lumière et l’animation. Les auberges et les particuliers qui souhaitaient accueillir des soldats avaient disposé lanternes et bougies à leurs fenêtres. Des militaires arrivaient sans discontinuer des alentours en s’éclairant avec des torches. La campagne était couverte de ces feux follets impatients. Pas un troupier sur dix ne possédait une autorisation de déplacement en règle mais ceux qui étaient censés les ramener dans leurs tristes campements faisaient la fête avec eux. L’homme examina le toit suivant. Il en était séparé par une ruelle mais pouvait l’atteindre d’un bond. Il se leva, contourna la cheminée et s’élança dans le vide. Il trébucha sur l’autre cheminée et tomba en avant mais parvint à se rattraper à l’arête du toit. Quelques tuiles glissèrent autour de lui puis s’immobilisèrent à mi-pente. Il se rétablit et reprit sa progression. Il se pressait et s’efforçait de ne pas penser à l’abîme qui s’était ouvert en lui dans cette chambre, à ce gouffre qu’il avait à peine entrevu. La maison contiguë possédait un toit un peu moins pentu. Les minutes s’écoulaient et il n’avait réussi qu’à parcourir quelques mètres. Il décida de forcer sa chance, se mit debout et avança, les bras écartés et le pas mal assuré, tel un funambule jouant avec ses limites. Heureusement pour lui, l’arête du toit avait la largeur d’une tuile et cela suffisait. Rapidement, il s’habitua à cet exercice périlleux et força l’allure. Il dépassa ainsi deux demeures, grimpa sur un toit surélevé, bondit par-dessus une seconde ruelle pour retomber un mètre plus bas sur la cheminée d’une auberge… Il courait presque. Une vieille tuile céda brutalement sous ses pas. Il fit de grands moulinets tout en se contorsionnant. Son corps oscilla, comme s’il hésitait à choisir de quel côté s’écraser, mais retrouva finalement son équilibre. La tuile, elle, avait poursuivi sa route et vint éclater aux pieds d’un soldat en capote grise. Celui-ci épaula aussitôt en direction des toits.
— Halte ! Qui va là ?
— Soldat Mirambeau, à quoi jouez-vous ? tonna un sergent.
— Une tuile a failli me tomber sur le crâne, sergent. Y a quelqu’un qui s’balade sur les toits.
Le sergent leva la tête.
— Y a personne là-haut, Mirambeau, que des tuiles pourries qui…
La détonation coupa court au discours du sous-officier. Les yeux du soldat s’étaient accoutumés à l’obscurité et venaient de distinguer une silhouette s’éloignant rapidement.
— Aux armes ! Y a quelqu’un sur les toits !
Une foule se massa aussitôt autour des deux hommes. Un caporal complètement ivre pointa son fusil vers le ciel.
— C’est un espion russe ! Feu comme à Eylau, les enfants !
Il tira, imité par deux fantassins. Un lieutenant trop jeune pour être toujours sensé accourut sabre au poing.
— Qui nous attaque ?
— Le soldat Mirambeau a vu un espion russe gambader sur les toits, mon lieutenant.
— Ils sont au moins trois, affirma péremptoirement quelqu’un.
Plus loin dans la rue, d’autres militaires faisaient feu ou appelaient aux armes.
— Un vrai diable d’homme ! déclara un tireur malchanceux.
Son compagnon mit en joue à son tour.
— Les diables, moi, je leur troue la peau comme aux autres.
Mais son coup n’arrêta pas plus la silhouette mouvante.
— Encerclez les bâtiments ! ordonna le lieutenant avec enthousiasme.
L’attroupement se scinda en deux et chaque groupe s’élança au pas de course dans des directions opposées. Certains troupiers riaient aux éclats, l’euphorie de l’alcool leur faisant considérer cette chasse à l’homme comme un jeu plus animé qu’une partie de cartes.
Le fugitif courait et chacun de ses pas pouvait le précipiter dans la mort. Une balle était venue s’écraser contre une cheminée proche de lui, projetant des éclats de pierre qui l’avaient heurté. Il entendait des cris, des exclamations et des détonations. Quelqu’un hurla : « Les Russes nous canardent depuis les toits ! » et la rumeur embrasa la rue. Une balle pulvérisa une tuile à ses pieds, une autre siffla à ses oreilles tandis qu’une troisième cassait un carreau et déclenchait des rires avinés. Il aperçut soudain un arbre qui s’appuyait au dos de l’édifice. Sans hésiter, il dévala la forte pente et s’élança, bras tendus, le plus loin possible. Ce bond lui parut durer une éternité. Enfin le feuillage lui griffa le visage. Il saisit une branche qui

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