Quitter Vienne
156 pages
Français
156 pages
Français

Description

"La déflagration intérieure provoquée par la disparition de mes parents fut si violente que ses traces disparurent au fond de moi pour très longtemps. Je compris qu'ils avaient été assassinés par les nazis sans que personne ne m'en ait jamais parlé. J'avais pourtant dû poser des questions, mais j'ai totalement oublié ce qui m'a été répondu. Ce silence devait durer longtemps, entraînant l'effacement et l'oubli. Il fallut un long cheminement pour ramener ces événements à la conscience".

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Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 2013
Nombre de lectures 1
EAN13 9782336321615
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Hannah BeinerQUITTER VIENNE
« La défl agration intérieure provoquée par la disparition de mes
parents fut si violente que ses traces disparurent au fond de moi
pour très longtemps. Je compris qu’ils avaient été assassinés par les
nazis sans que personne ne m’en ait jamais parlé. J’avais pourtant QUITTER VIENNE
dû poser des questions, mais j’ai totalement oublié ce qui m’a été
répondu. Ce silence devait durer longtemps, entraînant l’effacement
et l’oubli. Il fallut un long cheminement pour ramener ces évènements 1938 à la conscience. »
La mémoire retrouvée : une psychanalyste raconte
Hannah Beiner est née à Vienne en 1929. Ses parents sont morts
en déportation. Réfugiée en France, elle y vit encore et est devenue
psychanalyste. Ce récit intime est porté par la puissance de souvenirs
lumineux malgré la violence de la grande Histoire.
Photo de couverture : Hannah et ses parents, 1936.
ISBN : 978-2-343-01291-9 15 €
Hannah Beiner
QUITTER VIENNE








Quitter Vienne
1938
La mémoire retrouvée :
une psychanalyste raconte


Hannah Beiner











Quitter Vienne
1938
La mémoire retrouvée :
une psychanalyste raconte




























































Du même auteur

Tolstoï, la déchirure, Delachaux et Niestlé, 1999.
Une psychanalyste lit Tchékhov, L’Harmattan, 2010.
























.






























© L’Harmattan, 2013
5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-343-01291-9
EAN : 9782343012919










Le passé n’est pas mort et enterré.
En fait, il n’est même pas passé.

William Faulkner





Après l’Anschluss, Freud résista longtemps aux efforts
que déploya Marie Bonaparte afin de le décider à quitter
Vienne pour émigrer à Londres.

Mais en juin 1938, il se laissa convaincre.
En arrivant à Londres, il écrivit à Max Eitingon :

« Le climat émotionnel des jours que nous vivons est
difficilement concevable, presqu’indescriptible. Au
sentiment de triomphe qu’inspire la libération se mêle trop
de tristesse, car on n’a pas cessé d’aimer la prison dont
on a été libéré. »

***

« Parfois, certes, des visages, des épisodes, plutôt brefs
mais très précis, auréolés d’une lumière intense, ont
émergé de l’oubli.
Mais quand je mets ces bribes de souvenirs bout à bout,
je n’arrive à remplir d’évènements plausibles qu’une
poignée d’heures de temps réel. Quelques îlots de temps
retrouvé dans un brouillard confus, dans un océan d’oubli
involontaire mais têtu : obtus, opaque, inexplicable »


Jorge Semprun
Exercices de survie
Gallimard – 2012 – p.97
1

ENFANCE À VIENNE
BONHEUR EN TEMPS DE PAIX
À Vienne, l’hiver durait longtemps. La première neige
arrivait début décembre. Tout de suite ma mère m’appelait
pour la voir tomber. Je restais assise sur une chaise devant
la fenêtre, je ne pouvais pas arrêter de regarder. Parfois
elle tombait comme une pluie de cristaux minuscules,
parfois elle tourbillonnait en gros flocons.
Cette blancheur m’éblouit chaque fois qu’elle recouvre
la ville de son voile silencieux, froid et doux, absorbant les
bruits de la ville. On n’entend que le bruissement des
flocons si légers qu’ils semblent monter vers le ciel. Les
branches des arbres, noires et nues, se transforment et
brillent sous le givre.
Pendant de longs mois, de décembre à mars, Vienne
était couverte de son manteau scintillant et glacé. Tout
devenait différent : sur les trottoirs, la neige gelée crissait
sous les pas ; elle s’accumulait contre les murs des
maisons en épaisses congères. Tout était froid et blanc. Le
soleil faisait parfois surgir des gerbes de lumière, mais il
arrivait qu’un brouillard glacé tombe sur la ville, éteignant
cette clarté.
11 A la fin de l’hiver, cette brillance, cette légèreté
disparaissaient. La ville prenait son visage le plus sombre :
elle était envahie par une fange froide et noire. Dans la
journée, le soleil faisait fondre la neige qui se transformait
en boue glissante ; le soir, quand le gel la saisissait, on
trébuchait sur ses crêtes noires.

Parfois, le dimanche matin, mes parents décident que
nous passerons la journée au Semmering.
Vienne est entourée de collines couvertes d’une épaisse
forêt, (Wienerwald) mais plus loin, à une heure de train, se
dressent les premiers contreforts des Alpes : c’est là que
nous irons. A cette idée, je suis tout à coup très excitée, je
sais que je vais mettre mon équipement de ski, mes bottes
fourrées, mes moufles et le bonnet bleu foncé bordé d’une
fine rayure rouge que ma mère a tricoté pour moi.
Dans la Semmeringbahn, nous mangerons les
sandwiches que ma mère prépare toujours pour un voyage
en train. Une fois arrivés au village, on va me louer une
luge, et je pourrai au milieu d’une foule d’autres enfants
dévaler une pente que je connais déjà. Au loin, la forêt de
sapins scintille sous la neige. Plus bas commence une
pente abrupte. Elle devient ensuite de plus en plus douce,
pour se terminer enfin à plat, là où attendent les parents. Je
tombe souvent, la neige se glisse sous mon anorak, reste
collée à mes moufles, mais je veux continuer à glisser
encore et encore.
Nous nous arrêtons enfin pour déjeuner dans un
chaletrestaurant où il fait toujours trop chaud et je n’aime pas les
odeurs de saucisses et de bière qui se mêlent à celle de la
12 laine mouillée. J’ai bientôt sommeil et nous reprenons le
train de bonne heure pour arriver à la maison avant la nuit.
Quand j’ai eu huit ans, mes parents souhaitèrent que
j’apprenne à skier. J’aimais faire de la luge, mais je
détestais les cours de ski. J’avais peur et je tombais sans
arrêt. C’est deux ans plus tard, entraînée par l’élan et la
joyeuse humeur de mon cousin Reinhold, que je cessai
d’avoir peur et découvris l’exaltant plaisir du ski.

L’hiver était glacial. On m’a raconté que le jour de ma
naissance qui tombe un premier février, il faisait un froid
qu’on n’avait pas connu à Vienne depuis longtemps : la
température était tombée à -20°. De longues années plus
tard, j’ai cherché la clinique où je suis née. Das
Rudolfinerhaus était un petit manoir situé au milieu d’un
grand parc. Il m’est souvent arrivé d’imaginer mes parents
me ramenant à la maison en traîneau, traversant la ville
enneigée. J’aime penser que c’est là une origine de
l’émotion et de la nostalgie qui me saisissent en hiver à
l’apparition de la neige et du froid.

Notre rue était calme, il suffisait de marcher quelques
minutes pour entrer dans le Prater, un immense parc
traversé par une large avenue cavalière. Certains
dimanches d’été, nous venions nous installer à de longues
tables en bois peintes en vert pour déjeuner sous les
marronniers. Une brise légère agitait le feuillage, nous
donnant ainsi un peu de fraîcheur. L’été était torride ; il y
avait beaucoup de monde. Dans ces restaurants en p

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