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Ouverture philosophique
Collection dirigée parAlineCaillet,DominiqueChateau,
Jean-Marc Lachaud etBruno Péquignot
ne collectiond'ouvrages qui sepropose d'accueillirdes
travaux originaux sansexclusive d'écoles oudethématiques.
l s'agitdefavoriser la confrontationderecherchesetdes
réflexions qu'elles soient lefaitdephilosophes "professionnels" ou
non.n n'yconfondra doncpas laphilosophie avecune discipline
académique;elle est réputée êtrelefaitdetousceux qu'habitela
passiondepenserqu'ils soient professeursdephilosophie
spécialistesdes sciences humainessociales ou naturellesou…
polisseursdeverresdelunettesastronomiques.
Dernières parutions
téphane EELa philosophie transcendantale deGilles
Deleuze2011.
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Sujet et histoire,Éditionsdel’niversité d’ttawa1973
La comparaison interculturelle. Logique et méthodologie d’un usage
empiriste de la comparaison,ressesdel’niversité de ontréal1977
Epistemología y ciencias sociales y humanas,Edicionesdela
niversidad acionalAutónoma de éxico1977
Science, valeurs et rationalité,Éditionsdel’niversité d’ttawa194
L’idéologie et la reproduction du capital,Éditionsdel’niversité
d’ttawa196 (Encollaborationavec .DeAndrade ..Dussaultet
.ellos)
L analyse des formations sociales. Théorie et problématique,Éditions
’
egas1992
L’émergence de la sociologie,ressesdel’niversité d’ttawa1993
Les règles de l’interaction.Essais en philosophie sociologique,Éditions
del’niversité aval/Éditions’armattan2001
©’armattan, 2011
5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris
http//www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattanwanadoo.fr
harmattan1wanadoo.fr
B 97-2-296-56530-2
EA 972296565302
Les
raisons, ce sont les choses
qui manquent le moins
ntroduction :
Objectifs et plan de l’ouvrage
Danscette étudeleterme de«rationalisation»désignele
procédé argumentatif par lequel un sujetcherche à donner une
explicationcohérente du pointdevuelogique en vue de
justifierdesattitudes desactions des idées des sentiments
etc.’étudesepropose demontrer (1) quelarationalisation
doitêtre appréhendée commeune catégorie desactions
rationnellesayantdoncunestructure et unefonction qui leur
sont propres(2) quelafonctiondelarationalisationétudiée
est lajustification morale desattitudes desactions des idées
des sentiments etc.(3) queles idéologies peuventêtresaisies
comme des théories servantà construireuncertain type de
rationalisationsd’autojustification morale(4) qu’unetelle
théorie delarationalisationd’auto-justification moralefonde
unenotionaolophrntuiqoge dans laquellel’êtrehumain se
définitcomme êtremoral –bien quenon pas nécessairement
éthique(5) que dans un telcontexte aolophrntugoqielemal
n’aqu’une existenceobjective.
Prologue.
ousdébutons l’analyse delaproblématique dela
rationalisation par le discours quetientélène devant
énélasdans latragédie d’EuripideLes Troyennes.Est-ce
qu’élène croit réellementdans saversiondes faits oubien la
construit-elle detoutes piècesafinde convaincre énélasde
son innocence?Entrelamanipulation quesupposeraitcette
dernièreinterprétationet l’innocenceobjectivequel’on
7
pourraitdécelerdans lapremières’ouvrelapossibilité d’une
tentative d’autojustificationles raisonsélaborées parélène
ne chercheraient qu’àla convaincre elle-même deson
innocence.Ellesconstitueraientalors uncasde cequenous
appellerons unerationalisationd’autojustification morale.
.
1.Actions et rationalisation
apremièresectiondel’ouvragevise àfixer lestatut
particulierdes rationalisationsdans le cadregénérald’une
théorie desactions.ous partonsdelatypologie desactions
proposéeparabermasdans lamesureoùcelle-ci privilégie
laquestiondelarationalité desactionsetdes formes
spécifiquesde celle-ci (1.1.).r étantdonnéquelatypologie
habermasiennenethématisepasdesactions rationalisatrices
nousexaminonscelleproposéeparreckel quiparcequ’elle
s’ouvre àla complexité des situations naturelles peut offrir un
pointde départ pour l’examendes phénomènesde
rationalisationsi fréquentsdans laviequotidienne.a
typologie de reckel nousconduiten ligne droite à ces
actions orientées vers lapersonnequesont lesactions
dramaturgiquesetexpressives (1.2).ous revenons sur
l’examen quefaitencore abermasd’uneforme derationalité
orientéevers lapersonnequ’ildécritcomme« forme
thérapeutique del’argumentation »dont lemodèlesetrouve
dans lapsychanalyse.ousconstatons que cetexamen laisse
cependant non questionné cequi paraîtêtreleproblème
centraldelarationalisation àsavoircomment sefait-il que
l’argumentation rationnellesoit mise au service du maintien
voire du renforcementdes illusionset donc del’irrationnel?
(1.3).ousconsacrons le chapitresuivantàl’analysequefait
Freud d’uncasderationalisation – pointde départ d’ailleurs
del’usage du terme dans lapsychanalyse.ous y trouvons
deux perspectives fortdifférentesdelarationalisationl’une
faisantde celle-ci unepseudo-rationalitél’autreun
mécanismequi neseraccordenullementàun manque de
rationalité. (1.4)C’estavec cette dernièreperspectiveque
nousenvisageons lephénomène desactions rationalisatrices
qui dès lorsvontbienau-delà descadres pathologiques.
Après unchapitre derécapitulationetcommentaires (1.5)
nousabordons la deuxièmesource desensduconceptde
rationalisation.
2.Dissonance et rationalisation.
Cette deuxièmesource estcelle des recherchesen psychologie
cognitiveinspirées notamment parFestingeret sathéorie de
la dissonance.aprémissequi préside à ces recherches
renversel’ordrequetraditionnellementenchaînent lesactions
et les raisons au lieudevoir les raisons précédant lesactions
celles-ci sontappréhendéesàl’origine de celles-là.Dansce
cadrel’inconfort queprovoqueunesituationde dissonance
cognitive conduirait l’individuà construire des raisons lui
permettantd’éliminer ou toutau moinsderéduire cet
inconfort (1.6).es recherchesconduites parBeauvoiset
oule dans le contexte desituationsdesuoimssoindans
lesquelles les individus sont placés (expérimentalement)
élargissentconsidérablement laproblématique dela
rationalisation (1.7).C’est le casen particulierdes
conséquences queprovoquel’engagementdel’individudans
des situationsdesoumission sans pression.aplus
intéressante de cesconséquencesest lasuivante la décision
initiale a enelle-mêmeuneforce d’engagement qui ne
9
semblenullementdépendre des raisons pour lesquelleselle a
été adoptée.C’estcequenousdécrivonscomme«difficulté
d’autocritique» -difficultéouabsencequideviendraun
élémentcrucialdans unethéorie delarationalisationd’auto-
justification morale(1.8).Après unchapitre(1.9)de
récapitulationetcommentaires nousentreprenons latroisième
sectiondel’ouvrage consacrée à certainsaspectsdu rapport
entreraisonet rationalisation.
3. Raison et rationalisation
Cettesectioncommencepar unexcursus teqiulogomrnie
(3.1.)d’autant plus nécessairequemalgréleurcommune
étymologieles significations que comporteleterme de
rationalisation sontbiendifférentes.ousadoptonscellequi
faitdelarationalisation un procédérationnel visant la
justification morale d’unacte.e chapitresuivant (3.2.)
proposeunethéorie delarationalisationd’autojustification
morale(A)comportant quinzetioipososn.pre chapitre
3.3.seveut une applicationde cettethéorie àl’examend’un
casconcretde A.Autant lapsychologie« profonde» que
lapsychologie cognitiveont soupçonnél’existence d’un lien
entrerationalisationet idéologie.Dans lasection3.4.nous
examinons tout particulièrement les processus idéologiquesde
rationalisationdansdes situationsdeuoimsnssioétudiées par
lapsychologie cognitive.Afindemieuxcerner la
problématique du rapportentre A et idéologienous
adoptons unensemble de conventionsconcernant lanotion
d’idéologie(3.5.).Dans le chapitresuivant (3.6.)nous
discutons latroisième convention introduite àsavoircellequi
conçoit les rapports sociauxdepouvoircomme des rapports
asymétriquesainsi quelepostulat suivant lequel seulela
10
positiondominante au seinde ces rapports offrelesconditions
deproductiond’idéologies.e chapitresuivant (3.7.)cherche
àmontrer quesi les religions peuventéventuellement jouer le
rôle des idéologiesdans la constructionde A elles n’y
trouvent pas leur fonction proprelaquelle demeure celle
d’énonciateursdevaleurs.Enfinle chapitre3.8.examineun
casde discours idéologique àsavoircelui produiten
Allemagne entre1919et 1933commejustificationdu
racisme.Après unchapitre derécapitulationetcommentaires
(3.9.)débutelasection4.
4. Rationalisation et moralité
Dans lepremierchapitre de cettesection (4.1.) nous
examinons lephénomène crucialdela clôture desA
c’est-à-dire deleur fermeture àlaréfutationetà
l’autocritique.e chapitresuivant (4.2.)avancelathèse
suivant laquellelafréquence et l’extensiondesA
permettentdesaisir l’êtrehumaincommeunêtremoral –
pourautant quel’ondéfinit lamoralité comme champ
problématique à distinguerdel’éthique comme domaine des
valeurs.a digression4.2.1.examinelatragédie de ady
acbethlorsquele conflit moral netrouvepas son
«dépassement »dans unerationalisationc’est laperte dela
raison quiatteint lesujet.e chapitre4.3.s’attache à cette
formeparticulière etextrême de conséquences surautrui que
nous qualifionscommelemal.athéorie desA conduità
appréhender lemalcommephénomènepurement objectif –et
non pas subjectif.a digression qui suit (4.3.1.)cherche à
illustrercettepropositionavecune analyse du procès
d’Eichmannàpartirde celle d’annahArendt.Après une
11
récapitulationetcommentaires (4.4.) l’ouvrage débouchesur
une dernièresection5.
5. Retour sur les actions rationnelles.
Cettesectionexaminequelquesconséquences majeuresdela
théorie desAsurcelle desactions rationnelles.
12
Prologue :e discours d’élène1
nconnaît lemyth ae rrivé à parte ârisest reçu par
énélas.rofitantd’unbref voyage du roi spartiate enCrète
il séduitetenlève élènesafemme.elon lesauteurs
élène estenlevée de bon gréou non.our vengercetaffront
énélasdemandel’appuidetous lesGrecsau nomdu
ermentde yndare cequi provoquelaguerre de roie.
roieseravaincue etdétruite.Euripides’en inspirera etécrira
latragédie connuesous letitreLes Troyennes.Deux moments
marquentcettetragédie.epremier c’est lamise àmortde
l’enfantd’ectorau nomdelaraisond’Étatil pourrait un
jour venger lamortdeson père et la défaite de roie.e
deuxièmemomentest larencontre entre énélasetélène
avant la destruction totale delaville.énélas l’a condamnée
àlamort maisélèneluidemande depouvoir se défendre.
énélasaccepte d’écouter lesargumentsd’élène contre
l’opiniond’écubelareine déchue de roie.oici l’essentiel
desargumentsd’élène.
ÉÉE(va se placer devant Ménélas)
ete détournepas/egarde-moi/Aiele courage deregarder
tavictime./ais-tu que ceserait uncrime demetuer?/u
crois quejesuis tonennemie? /ontoitues lemien./oi
hélasjesuisbien loindetehaïr./i tu savais…Attends/l
faut quejemettemes idéesen ordre./e devineles
accusations qu’onaportéescontremoi/Et jeveux y répondre
1Euripide«esroyennes « adaptationde ean-aulartreGallimard
aris1965.
13
point par point./oiquemes raisons teparaissentbonnes ou
mauvaises/ois un homme/Écoute et réponds
(Un temps.)
u veux une coupable?Ehbienprends lavieille.2/a cause
première de cegâchis c’estelle./ârisest sortideson
ventre./esDieuxavaient prévu que ceruffian/erait fauteur
deguerre–etdequelleguerre/ls lui ontcommandé dele
tuer.’a-t-ellefait?/on.ielleni soncompliceleroi
riam3/Bonmais trop faible./out vientdelà c’est la
fatalitévois-tu./Donc âris àvingtansmontesur l’da; /l
rencontretroisdéesses qui leprennent pourarbitre./ «uide
nous troisest laplusbelle? » /ais-tucequelui offraitallas
/ouracheter son jugement? /aGrècetout simplement.
Avecl’appuid’Athéna/l l’auraitconquise en un
tournemain./Etéra «i jegagnetuauras l’Asie entière/
Et lesconfinsdel’Europe» /Cypris encasdevictoiren’a
rien promis /auf moi.Ellem’a décrite elle agagné!/uelle
chancepour vous! /’ileût préférél’une desdeuxautres
déesses/ne arméetroyenne eût ravagélaGrèce. /ansce
corpsquetuas faitbrutaliser par tes hommes /ous seriez
sous lejougd’unAsiatique. /ousdevriez me couronnerde
lauriers. /Grâce àmoi roienevous gêneraplus /Et laroute
d’Asievousest ouverte. /ais votre bonheurafait mon
malheur. /Danscette affairelavictime c’est moi. /Cypris
2l s’agitd’écube épouse du roiriamde roie et mère de âris.
3Dans lemythe riamchargeson serviteurAgélasdetuer l’enfant.âris
estexposésur lemontdamais quelques joursaprèsAgélas retrouva
l’enfant vivantqu’uneoursel’avait nourrideson lait.Frappépar le
présageil l’emmena chez luiet l’éleva au milieudesbergers.
14
m’amaquignonnée. /Ô beauté beautémagloire! /ues
devenuemahonte.
ÉÉA
ourquoies-tu partie/Femmeindigne?
ÉÈE
aisc’est toi quies partimonchéri! /Ôleplus inconscient
des maris/uas quitté partepour laCrète/Et tu m’as
laissée en tête-à-tête/Avecton hôte cemaudit.
ÉÉA
outdemême/u pouvais résister.
ÉÈE
oisimplemortelle/ésisteràla déesseAphrodite? /En
serais-tucapabletoi? /ienspeux-tu lapunirde cequ’elle
m’afait? /u serais plus fort queleroidesDieux/CarZeus
est sonesclave commetout lemonde./ourquoi jesuis
partie? /C’est unequestion quejemesuis souvent posée. /Et
laréponse est toujours lamême /enesais pas c’estune
autrequi s’estenfuie/C’était moietcen’était pas moi./
Aphrodite étaitcachée dans ton palais/nvisible derrière
âris/Ellem’atout simplementemportée. /aisécoute
tant que ârisavécu /Cypris m’enchaînaitàlui; /mpossible
derompre ces liens odieuxet sacrés. /ais àpeine est-il
mortj’ai tout fait pour terejoindre. /anuit jemontais sur
les remparts /et j’attachaisdescordesauxcréneaux. /e
15
voulais melaisser glisser jusqu'àterre/Etcourir jusqu’aux
tentes grecques/usqu’àtoi. /es sentinellesen
témoigneront car
élas /n m’atoujours reprise. /C’est qu’unautrehomme
veillait/Encoreun filsdelavieille /Deiphobem’avait
enlevée deforce/Et megardait prisonnière/Contrema
volonté contrelavôtre/Contre celle desroyens. /oilàma
tristehistoire/esuis laproie dudestin. /Enlevéemariée de
force àun homme détesté/etenue contremon gré dans une
ville étrangère/’ai sauvémapatrie au prixdemon honneur
/Et l’on m’yattendpour melapider. /aïe desGrecs/
Détestée desroyens/esuis seule au monde/ersonnene
me comprend.
(…..)
Dans lasuite écube essaie demontrerunàunlemanque
deplausibilité desargumentsd’élène.énélas semble
l’accepter mais on voitbien qu’élène aréussi sinonà
convaincre au moinsà créer le doute chezénélas.C’est
qu’écubeparaîtavoirbiencompris
ÉCBE
êmequandilcroit soncœur mort/l n’est pasd’amant qui
n’aime encore/l n’est pasd’amant qui n’aimetoujours4
osons-nous laquestion suivant dee quel genre derécit
s’agit-il lorsqu’élène composesa défense?ui renvoie à
cette autrequestion dequel genre d’actions s’agit-il
4bidpp. 97-107.
16
lorsqu’élène compose cerécit?otons que cette dernière
question netrouvepas saréponse dans lapremière.ous
savons qu’élène cherche àse défendremais nous voulons
plutôt savoircommentelle cherche àse défendreplus
précisémentcequelaforme du récit qu’elle composenous
permetdesaisirdesa défense deson rapportàsonaccusateur
énélasautant qu’àson rapportà elle-même devantces
accusations.
Examinons lesargumentsd’élène.emarquonsd’emblée
qu’il s’agit donc d’un récit qui seveut structurépardes
raisons.ndirait qu’élène cherche à convaincre énélaset
non pasàl’amadouer -bien quesur lafindeson récit eten
quelquesorte en supplémentexpressif elles’inclinera devant
énélaset seprendra àses genoux cequiétait un signe de
soumissionchez lesGrecs.Dequel genre deraisons s’agit-il?
élènenefournit pasà énélasdes informations nouvelles
lemettantdonc enconnaissance defaits qui pourraient
changer savisiondeschosesleseul fait que énélas ne
connaîtrait pas serait satentativeprésentée comme désespérée
delerejoindre en selaissant glisser lanuit par les remparts.
nformationd’ailleursbien peuefficacepourchanger la
visionde énélascar comme écubenemanquepasdele
signaler aucun soldat troyen nesetrouveplus làpour
l’attester.C’est plutôt uneinterprétationdefaitsconnus
qu’élène élaborepouressayerde convaincre énélas.
emarquonsencorequ’il nes’agit nullementderendre clair
cequi serait obscuroude donner un «sens»à cequi ne
l’aurait pas c’est unelecture defaits qu’élènepropose à
énélas – lecture bienentenduqui l’absoudraitdes
responsabilitéset donclarendrait innocente.uisquela
tragédie a eu lieulaguerre a décimélesGrecs conduitàla
17
destructionde roie etàl’esclavage deses femmes –cequi
est lepoint nodaldelatragédie d’Euripide-il fautbeletbien
des responsables ceuxàqui on pourrait ou ondevrait imputer
laséquence des malheurs.élène dans son récitfaitappelà
deux sortesderesponsabilités.’uneseraitdel’ordre du
personnell’autre del’impersonnel.élène commenceson
récit par l’attributionà écube delaresponsabilité delavie
même de âris quelesdieuxavaientcommandé detueràsa
naissancesachant qu’il serait la cause detous les troubles.
Cetteresponsabilitérectifiable déplace d’embléela
culpabilité chezécubemaisélènese doitd’aller plus loin
car lafautesupposée d’écubenesuffit pasà expliquer la
suite desévénements.e deuxième coupableseraiténélas
lui-même etcepar inadvertance dirait-on en laissant seule
élèneface àson séducteur/kidnappeur.aispeut-êtreles
vraiscoupables ou en toutcas ceuxdont l’agiréchappe à
toutcontrôle àtouterectificationsontdel’ordre de
l’impersonnel du transcendant dudestin oudelafatalité.
élènen’est pascoupable d’être belle etdeprovoquerainsi
lesdésirs.Ceserait la déesseCypris quiaurait provoquéle
désirde âriset même celuid’élènelorsqu’ellesetrouvait
avec âris c’est pourquoiceseraitune autrequiréellement
auraitagiàsaplace– une autre derrière elleincontrôlable.
C’est sansdoutel’argument leplus remarquable d’élène
lorsqu’elles’adresse à énélasen prenanten quelquesortele
taureau par lescornes-ourquoi jesuis partie? /C’est une
question quejemesuis souvent posée. /Et laréponse est
toujours lamême /enesais pas c’estune autrequi s’est
enfuie/C’était moietcen’était pas moi.-.Àla différence de
énélas quilalaissant seuleface à âris lefait par
inconscience c’est-à-direpar manque dejugementpar
aveuglementpar irréflexionpar légèreté élènelequitteon
1
le diraitavecnos termesparcetteforce del’inconscient qui
nousdépassequenous nepouvons pascontrôler.
’inconscientc’est nousetcen’est pas nouscar iléchappe à
notre conscience ànotrevolonté et donc ànotreliberté età
notreresponsabilité.emarquons enfinque cetappelàune
causalitéqui nouséchappeparcequ’ellen’est pas lefaitde
notrevolonté et nous rend ainsi noncoupablessielle est le
faitdepuissances transcendantesdans lerécitd’élène–
l’agirdesdieux - elleneleserapasdans tous les récits qui
essaientdejustifier l’innocencepardesdéterminations non
transcendantes –comme celle du socialparexemple.a
structure del’argumentestcependant lamême dans uncas
comme dans l’autre.
ais et laquestiondevient maintenantcrucialepour nous
élène croit-elleréellementencequ’elle dit?epourrait-on
pas penser qu’elle construit son récit simplementen vue de
convaincre énélas etce avec desarguments qu’elle
fabrique detoutes pièces ouplus précisément avecune
interprétation qui n’est fabriquéequepour le convaincre?
Commentdéciderdans un sens oudans l’autresi bien
entendul’efficacité convaincante de cesarguments repose
justementdans l’effetd’authenticitéquelerécitd’élène doit
provoquerchezénélas?uisqu’élènese doitde cacher ses
intentions sicelles-ci ne cherchent qu’à convaincre énélas
en subordonnant lesargumentsàlaseulefinalité d’obtenir
son pardonpourrait-on trouverdans son récitvoire dans son
attitude des indices qui nous permettraientde décidercette
question?efait quepourcertainsauteursélènesefait
enleverde bon grétandis quepourd’autreselle estenlevée
contreson grémontre bien que detels indices nesemblent pas
19
setrouverdans son récit oudans sonattitude.Cequi bien
entendu donne aux metteursen scène del’œuvre d’Euripide
deux possibilités.ousavons vuauhéâtre ational
opulaire de aris lamise en scènepour laquelle artre a écrit
sonadaptation.i nos souvenirs sontbons danscettemise en
scène élène croitencequ’elle dit ouplutôtrien nenous
permetdepenser qu’ellene croit pasencequ’elle dit.ous
avons vuauFestivaldethéâtre de tratford enaoût 200une
mise en scène dans laquelle élènemanipule énélasy
comprisavec des gestesdeséduction.ous sommes tentésde
penser queles interprétationsdu récit – oudel’agir –
d’élènenesont pas indépendantesdel’interprétation que
l’on peut faire des motivations mêmesdelaguerre contre
roievoire de cellesde énélas lui-même.Eneffet
l’adaptationde artrefaiteimmédiatementaprès laguerre
d’Algérie etauxdébutsdelaguerre enndochine cherche
surtoutàmontrer lesconséquencesd’uneguerre colonialiste.
a destructionde roiepar lesGrecs netrouverait nullement
son origine dans l’enlèvementd’élèneparâris celui-ci
n’étant qu’un prétexte.Elleneserait quelerésultatd’une
politique colonialistevoireimpérialiste5.Dans unetelle
interprétationceseraitélènequiauraitétémanipuléela
5artre étaitbien situépour pouvoiradopter unetelleinterprétationcar la
conquête del’Algériepar lesFrançaisaue avaitétéjustifiéepar la
giflequelemonarque algérienavaitadministrée àl’ambassadeur français
–et que celui-ciavaitconsciemment provoquée.D’ailleurslafabrication
deprétextes pour justifier le déclenchementd’uneguerreimpérialiste est
devenuemonnaie courante àl’époque contemporaine.l suffitdepenser
aux prétextes fabriqués par lesÉtats-nis lorsdelaguerre de conquête de
Cuba àlafinduesiècle del’interventiondans laguerre d’ndochine
ettout récemment del’invasiondel’rak.
20
rendantcoupablemême à elle-même.epourrait-on pas
penseralors quelesargumentsd’élènene cherchent pas
seulementà convaincre énélasdeson innocencemaisaussi
àse convaincre elle-mêmequ’elle est innocente?Dansce cas
lesarguments qu’elle élaboreles raisons qu’elle cherchene
pointent pas tellement vers lavérité elles nesont pas non plus
subordonnéesàunefinalitéqui pointevers l’autre sides
finalités peuventêtreiciattribuées elles pointent vers soi-
même.l nes’agiraitdoncpasd’unejustification face à
l’autremaisd’une autojustification.Cetteprésence d’un
tribunalchez soi-même devant qui nous nousdevonsde
justifier nosactions présupposeraitalors unenaturemorale et
les raisonsconstruites pour s’autojustifierconstitueraientce
quel’ondevrait pouvoirappelerdes «rationalisations».C’est
àl’analyse de ce comportement rationalisateur quenous
consacreronscet ouvrage.ouscommencerons paressayer
d’identifier lesactes rationalisateurs defixer leur particularité
dans l’universdesactionsetce dans le cadre dequelques
typologiesdéjàproposées.
21
1.ACTOSET RATOASATO
1.1.a typologie habermassienne des actions et la
rationalité
Dans son ouvrageThéorie de l’agir communicationnel
abermasélaboreunetypologie desactions qui entre autres
choses estcenséepermettre(1)d’ordonner lamultiplicité
desactions humainesen les ramenantàquelques types
fondamentaux(2)desaisir laformepropre derationalité des
actionsditescommunicationnelles.ereprendrai rapidement
l’essentielde cettetypologie.
abermasdistinguequatre concepts fondamentauxdel’agir à
savoir (1) l’agir téléologique(2) l’agir régulépardes normes
(3) l’agirdramaturgique et (4) l’agircommunicationnel6.
Dans l’agir téléologique«l’acteur réaliseunbut ou provoque
l’apparitiond’unétat souhaité enchoisissantet utilisantde
façonappropriéeles moyens qui dans unesituationdonnée
paraissent luiassurer lesuccès».orsquel’acteur fait
intervenirdans soncalculde conséquences l’attente de
décisiond’au moins unautre acteur quiagitaussien vue
d’atteindreunbutunetelleforme d’agirdevient stratégique.
6abermas ürgenThéorie de l’agir communicationnel, Tome 1.
Rationalité de l’agir et rationalisation de la société,Fayard aris197
pp. 101et suiv.
23
’agir régulépardes normesconcerneles membresd’un
groupesocial «qui orientent leuraction selondes valeurs
communes».abermas supposeque«les normesexpriment
unaccord existantdans un groupesocial».Bien qu’unetelle
supposition soitdiscutable7l’essentielde cetype d’actionest
l’obéissance àunenorme–décidée d’uncommunaccordou
imposée-et dans lamesureoù lanorme estcenséeréguler
descomportementsàl’intérieurd’un groupesocialdéterminé
l’attente descomportements qu’elleprovoqueou justifie.
’agirdramaturgique concerne des participantsdans une
interactiondont la caractéristiquefondamentale est qu’ils se
constituent réciproquementen un public.’acteur quiagit
d’unetellesorte cherche à créer uneimage delui-même en
dévoilant sasubjectivitéplus ou moins intentionnellement.
abermas signaleque cemodèlen’apasencore atteint le
niveaud’unethéoriegénéralemalgrélefait qu’il serviraitau
premierchefà décrirephénoménologiquementdes
interactions.Enfinl’agircommunicationnel «concerne
l’interactiond’au moinsdeux sujetscapablesdeparleret
d’agir qui s’engagentdans unerelation interpersonnelle».
’essentield’un telagir serait larecherche d’une ententesur
unesituationd’action etce avecl’objectifd’une coordination
consensuelle des respectifs plansd’action.Àpremièrevue
seul l’agir téléologiquesembleoffrir unaspectdela
rationalité del’actioncar il s’inscritdanscetteforme de
rationalitépar rapportàunefin (ttälinaioatZweckr) que ax
7lestclair eneffetquenombre denormes n’expriment nullement un
accordsocial mais sont lerésultatd’uneimposition.
Bienentenduil seréfèreici notammentàGoffman. (GoffmanWir
spielen alle Theater.Die Selbstdarstellung imAllag.unich1969).l
aurait pu seréféreraussià hakespeare commenous lerappellerons plus
tard.
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