Se tenir debout

Jean-Pierre Lemay

Description

Existe-t-il un courage permettant à l'être humain d'assumer, l'angoisse de vivre et d'avoir à mourir? Existe-t-il un courage qui surmonte l'angoisse du non-sens et le désespoir du rejet de soi? La réponse se trouve dans ce que Paul Tillich appelle le courage d'être. C'est ce courage ontologique et théologique que l'auteur a cherché à mettre en lumière dans l'œuvre allemande et américaine de ce théologien-philosophe.

Sujets

• Religión

Informations

• Publié par: L'Harmattan
• Date de parution: 01 mai 2004
• Nombre de lectures: 14
• EAN13: 9782296330382
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 4 Mo

Extrait

SE TENIR DEBOUT
LE COURAGE D'ÊTRE
DANS L'OEUVRE DE PAUL TILLICH
Jean-Pierre LeMay
SE TENIR DEBOUT
LE COURAGE D'ÊTRE
DANS L'OEUVRE DE PAUL TILLICH
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ma femme unique et préférée Je te rends grâce,
Seigneur,
Pour la merveille indicible
De mon existence.
Ps 139,14 INTRODUCTION
LA QUESTION : LE MAL-ÊTRE
Ce travail, fruit d'une dizaine d'années de recherche, a pour point
de départ une conviction intime et une rencontre. La conviction intime,
douloureuse et passionnante, peut être exprimée ainsi : bien avant et
bien plus profondément que les questions d'ordre général — qui
appartiennent à tous —, il y a des questions qui sont les nôtres et
auxquelles nous sommes tenus de répondre. On ne peut ni leur tourner
le dos, ni les désamorcer. On peut, bien sûr, les esquiver
temporairement, mais on ne peut pas les éliminer, car ce sont nos questions et
elles nous habitent que nous le voulions ou non. Il se peut qu'une
partie de notre vie consiste à les ignorer, à ne pas les prendre au
sérieux et une autre se battre avec elles, à chercher véritablement sinon
désespérément à leur répondre. Ceci concerne moins les étapes ou les
âges de notre vie qu'une certaine façon d'être ou de ne pas être
authentiquement soi-même. En somme, bien avant et plus
profondément que les questions que nous travaillons, il y a les questions qui
nous travaillent. Certaines d'entre elles exercent sur nous une véritable
fascination et une emprise profonde. On a l'impression que, pour s'en
débarrasser, il faudrait se débarrasser de soi. Ce n'est pas qu'elles se
présentent à nous d'une façon plus claire et mieux articulée, c'est bien
souvent le contraire qui est vrai ; mais elles ont, par rapport aux autres
questions, une force et une intensité que les autres n'ont pas. Elles sont
non seulement récurrentes mais permanentes. Ajoutons enfin une
dernière caractéristique : elles sont ambivalentes. Elles sont tantôt les
témoins d'un profond dynamisme intérieur et tantôt les traductrices
navrées d'une tragédie intime et d'un mal-être indéfinissable.
Il se peut qu'on en parle, ou plutôt qu'on cherche à en parler,
mais cette tentative se heurte rapidement au problème du langage : les
mots ne sont malheureusement pas de très bons traducteurs ; ils ne
rendent pas bien compte de ce que l'on vit intérieurement. Ils sont,
12 SE TENIR DEBOUT
pour la plupart, trop liés au monde de la superficialité et du bavardage
pour faire entendre un écho issu des profondeurs de l'être. C'est sans
doute la raison — ou une des raisons — pour laquelle le passage de
l'intérieur vers l'extérieur, qui devrait normalement avoir un effet
dilatant et pacifiant, s'avère plutôt être une expérience décevante et
blessante où la banalisation et la généralisation tiennent lieu de
compréhension.
Pourtant, nous ne pouvons pas renoncer à comprendre. « On se
lasse de tout sauf de comprendre » se plaisait à dire avec force et
justesse le poète Virgile. Déjà que se connaître n'est pas chose facile.
Alors, de quoi s'agit-il ? Il s'agit, au-delà des hasards et des accidents,
de comprendre notre existence, de trouver un espace langagier, un lieu
de dialogue où notre « misère » — au sens que Pascal donne à ce
mot — puisse se faire entendre, s'articuler, entrer en résonance avec
d'autres et qui sait peut-être recevoir une réponse à la fois symbolique
et libératrice.
C'est là où la rencontre de l'oeuvre du théologien-philosophe
Paul Tillich (1886-1965) joua pour nous un rôle déterminant. Celle-ci
eut lieu à la Faculté de théologie de l'Université Laval à Québec, dans
le cadre du Projet Tillich dirigé par le professeur Jean Richard. Inutile
de dire que le rôle de l'oeuvre de Tillich dans notre vie intellectuelle et
spirituelle ne ressemble en rien à celui d'une réponse comblante à
caractère infantilisant. Son influence, il faut le préciser, se situe dans le
cadre d'un dialogue fécond portant sur ce qui nous préoccupe et nous
concerne infiniment.
En d'autres termes, elle se situe sur le terrain d'une réflexion
théologique, donc d'un acte second par rapport à l'acte premier par
lequel Dieu, éternel et vivant, créateur et sauveur, nous crée, nous
réconcilie et nous renouvelle en Jésus Christ.
Ce que nous avons trouvé, dès le premier abord de l'oeuvre de
Tillich, c'est un lieu où les inquiétudes métaphysiques et religieuses
puissent se faire entendre, trouver des échos et des affinités profondes.
C'est déjà beaucoup pour notre époque. Ensuite, ce que nous avons
cherché, c'est à entrer dans l'intimité d'une pensée. Au fil d'une
lecture critique, réfléchie et dialoguée tant de la Théologie
systématique que du Courage d'être, nous nous sommes maintes fois
étonné des réponses significatives aux questions les plus intimes et les
plus universelles. L'oeuvre de Tillich nous permit de faire ce passage
INTRODUCTION 13
de la structure personnelle à la structure universelle, « de l'existentiel à
l'existentiall ».
LA RÉPONSE : LE COURAGE D'ÊTRE
Paul Tillich est un grand théologien qui vécut en Allemagne de
sa naissance, en 1886, jusqu'en 1933, année au cours de laquelle, suite
à la publication de La décision socialiste — qui parut quelques jours
avant la prise du pouvoir par Hitler — et à sa courageuse dénonciation
du nazisme, il dut quitter son pays pour les États-Unis 2. Dans ce pays
d'exil mais aussi d'adoption, il connut une brillante carrière de
professeur de théologie et de philosophie. Il mourut le 22 octobre 1965
à Chicago ; il avait 79 ans. Son oeuvre comme sa vie se divisent en
deux parties : les écrits de la période allemande (1919-1933) et ceux de
la période américaine (1933-1965). Son concept de « courage d'être »
qui appartient davantage à la seconde période traverse néanmoins toute
son oeuvre.
Tillich nous a beaucoup appris. En disant « nous », je pense
également à ceux et celles qui ont eu la chance de participer aux
différentes activités du Projet Tillich : cours, conférences, séminaires,
colloques, etc. Il nous a appris à comprendre le message chrétien
comme la réponse de Dieu à la condition humaine, plus précisément à
notre condition existentielle de finitude et de contradiction ; à voir
dans le Christ l'Être Nouveau qui nous réconcilie avec le fondement
transcendant de notre être ; à percevoir l'angoisse et la mélancolie, non
pas comme des pathologies accidentelles relevant d'une thérapie
médicale, mais comme des tonalités existentielles qui plongent le