La fabrique des prénoms
136 pages
Français

La fabrique des prénoms , livre ebook

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136 pages
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Description

Quel état d'esprit préside à la confection du nom personnel dans notre société singulière actuelle. Ce travail réalisé par une ethnologue s'appuie sur une enquête approfondie pour tenter de mettre à jour le processus complexe en action dans la nomination, celui qui met en scène l'histoire personnelle des père et mère, de leur famille respective, et évidemment de leur culture. La liberté de choix n'empêche pas qu'il existe des lois du comportement qui infléchissent notre conviction à produire de l'exception.

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Date de parution 01 février 2012
Nombre de lectures 41
EAN13 9782296483576
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0550€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

LA FABRIQUE DES PRÉNOMS
© L’Harmattan, 2012 5-7, rue de l’École-polytechnique ; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-55984-4 EAN : 9782296559844
Colette Méchin LA FABRIQUE DES PRÉNOMS
Logiques Sociales Collection dirigée par Bruno Péquignot En réunissant des chercheurs, des praticiens et des essayistes, même si la dominante reste universitaire, la collectionLogiques Sociales entend favoriser les liens entre la recherche non finalisée et l'action sociale. En laissant toute liberté théorique aux auteurs, elle cherche à promouvoir les recherches qui partent d'un terrain, d'une enquête ou d'une expérience qui augmentent la connaissance empirique des phénomènes sociaux ou qui proposent une innovation méthodologique ou théorique, voire une réévaluation de méthodes ou de systèmes conceptuels classiques. Dernières parutions Yris ERTUGRAL,Le désir de maternité et la mort, depuis la légalisation de la contraception et de l’avortement, 2012. Ulrich BRAND, Michael LÖWY,Globalisation et crise écologique. Une critique de l’économie politique par des écologistes allemands, 2011. Fred DERVIN,Impostures interculturelles, 2011. Anne-Lise SERAZIN,Vies de travail en Loire-Atlantique au XXe siècle. Traversées du siècle, 2011. Jacqueline DEGUISE-LE ROY,Les solidarités à l'épreuve de la pauvreté. Ee Expériences anglaises et françaises auxXIXetXXsiècles, 2012. William GASPARINI et Lilian PICHOT (sous la dir. de),Les compétences au travail : sport et corps à l’épreuve des organisations,2011. André GOUNOT, Denis JALLAT, Michel KOEBEL (sous le dir. de), Les usages politiques du football, 2011.Martine CHAUDRON,L’exception culturelle, une passion française ? Éléments pour une histoire culturelle comparée,2011 Philippe ZARIFIAN,La question écologique, 2011. Anne LAVANCHY, Anahy GAJARDO, Fred DERVON (sous la dir.) Anthropologies de l’interculturalité, 2011. André DUCRET et Olivier MOESCHLER (sous la dir. de),Nouveaux regards sur les pratiques culturelles. Contraintes collectives, logiques individuelles et transformation des modes de vie, 2011.
PRÉAMBULE Un souci universel Nommer est une fonction essentielle de l’intellect humain. Dans toutes sociétés, désigner les objets et les êtres est une manière d’ordonnancer le monde et de se l’approprier. La nomination des personnes participe de cette activité mais la transcende aussi puisque nommeur et nommé interagissent. Bien plus, « on ne nomme jamais : on classe l’autre, si le nom qu’on lui donne est fonction de caractères qu’il a, ou on se classe soi-même si, se croyant dispensé de suivre une règle, on nomme l’autre "librement" : c’est à dire en fonction des caractères qu’on a. Et le plus souvent, on fait les deux choses à la fois. » (Levi-Strauss, 1962 : 240). De façon plus générale le nom qu’on donne se définit, note Nicole Lapierre, comme acte d’humanisation primordial puisque « celui qui n’a pas de nom n’existe pas en tant qu’homme » (1995 : 16). Et l’on ne peut comprendre la charge symbolique du nom personnel qu’en gardant à l’esprit l’extrême importance que revêt l’usage de ce nom dans de très anciennes civilisations ou dans les sociétés traditionnelles dont les témoignages sont bien vivaces. Quelques exemples entre cent. En Egypte ancienne, si la préoccupation de l’imputrescibilité matérielle du corps passe par la momification, la survie, dans la mémoire collective, est assurée par le nom inscrit partout dans la tombe et le mobilier funéraire. (Vernus, 1998 : 24). On comprend alors pourquoi le pharaon tombé en disgrâce avait, dans cette logique, son nom partout martelé pour gommer dans le souvenir jusqu’à son existence. Ici, le nom proscrit signe la déchéance du personnage, là, en Mongolie par exemple, le nom individuel a une puissance si redoutable qu’il est interdit d’emploi à nombre de personnes. Ainsi, explique Roberte Hamayon, le nom des aînés ne doit jamais être utilisé par les plus jeunes et la bru doit employer des circonvolutions pour s’adresser à son beau-père (1979). A la mort du puissant Khan Tului, en 1232, raconte le missionnaire Jean de Plan Carpin, « de ce jour, il fut interdit de prononcer son nom » (Roux, 1993 : 266). Mais il y a plus
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déroutant. Dans la société mongole médiévale, le nom donné au nouveau-né était parfois grossier, « on ne se souciait pas beaucoup des noms qu’on donnait à la naissance » écrit J.P. Roux, « un esclave, un ustensile de ménage, le premier objet qui tombait sous les yeux pouvait faire l’affaire […] Les noms nobles étaient attribués plus tard, à la puberté selon toute vraisemblance » (1993 : 61). Des noms sociaux successifs Le système onomastique chinois ancien, étudié par V. Alleton, livre d’autres pistes. Ce qui tient lieu de "prénom" n’est pas choisi dans une liste déterminée, « il est créé en puisant dans le stock entier des mots de la langue ». Il est cependant composé minutieusement : « Le moment de la naissance est transcrit par huit caractères groupés en quatre paires correspondant respectivement à l’année, au mois, au jour et à l’heure de la naissance […] C’est à partir de ces huit caractères que le devin consulté détermine les données du destin de l’enfant. […] Si son horoscope indique qu’il y a des manques entre les cinq "agents", bois, feu, terre, métal, eau, on choisira pour son prénom des caractères susceptibles de les compenser » (1993 : 40-42). Ce nom de naissance, leming, était donné solennellement au nouveau-né par son grand-père paternel ou à défaut par son père. Ce nom n’était employé de façon générale (en concurrence avec un petit nom familier sans doute beaucoup plus usité) que jusqu’à ce que l’intéressé ait vingt ans, âge auquel il recevait un nom social,zi. Ce nom de naissance, confectionné avec soin et qu’on remplace au plus vite par des 1 termes d’usage , a tout d’un nom secret, si consubstantiel à la personne qu’il la rend vulnérable : « Lié au destin de l’individu, le prénom fait partie du domaine privé de chacun. Employer celui de son interlocuteur, c’est en quelque sorte faire effraction dans son intimité » (id. : 204). C’est donc établir un singulier contresens que d’imaginer les sociétés qui ont choisi des ____________ 1  « Jadis un Chinois recevait une appellation supplémentaire tous les dix ou vingt ans » (Alleton, 1993 : 37).
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nominations multiples successives ou concomitantes comme désinvoltes envers la nomination de l’individu. Il me semble au contraire que le souci de protéger ce qui fait l’essence même de la personne conduit à ce paradoxe d’un nom initial si sacré qu’il 2 en finit par ne plus être utilisé.A ce titre le souci des Amérindiens rejoint, dans sa forme et dans ses effets, les préoccupations chinoises. Chez les Sioux, « nommer un être, par exemple un animal, revient à conjurer les pouvoirs latents dans cet animal. […] C’est à cause de ce sentiment spécial concernant les mots que les gens évitent de s’appeler par leurs noms sacrés personnels, car ceux-ci contiennent le pouvoir des êtres nommés, et si l’on s’en sert trop souvent, le pouvoir se dissipe. » Brown écrit encore : « Même de nos jours j’ai été frappé par le fait que les Oglalas évitent de faire référence au nom personnel d’un individu, lui préférant des noms reposant sur une association d’idées ou une parenté. […] Le premier nom d’un enfant Oglala lui était donné peu après sa naissance. Il lui était généralement donné par son père et pouvait être soit le nom de son grand-père vivant le plus âgé, soit celui d’un grand parent respecté et disparu. […] Plus tard dans sa vie, l’enfant recevait un nom de jeu, informel. […] Devenu plus grand, le jeune adulte acquérait un autre nom, cette fois formel et sérieux, habituellement reçu ou validé par un fait marquant ou une aventure particulière. […] Par la suite, ce nom pouvait changer et se voir remplacé par un autre, obtenu après un acte de grand mérite. » (Brown, 1996 : 106-109). Changer de nom en Chine, écrit joliment V. Alleton, c’est "tourner une page", mais c’est surtout chercher sans cesse une parfaite adéquation entre ce qu’est, ou devient, la personne et son nom : « C’est se donner la possibilité de choisir à chaque instant une nouvelle image de son propre devenir » (1993 : 242). On peut ainsi, dans cette optique, infléchir le cours des événements en changeant son nom personnel, comme le raconte
____________ 2  J. Massard-Vincent et S. Pauwels proposent "vrai nom" pour désigner ce nom essentiel et C. Macdonald utilise le terme d’autonyme. Pour une analyse des usages des différents noms en Asie du sud-est cf. l’ouvrage dirigé par Massard-Vincent et Pauwels (1999).
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ce lutteur japonais de Sumo dans un récit autobiographique. Parti à l’adolescence en formation à Tokyo sous le nom de Yoshinaga, son père lui écrit : « En voyant toute la peine que tu as à gagner dans tes combats, nous nous sommes demandé si ton nom n’était pas en cause. Yoshinaga est peut-être trop doux pour un lutteur. Il vaudrait mieux que tu changes de nom. ». Du coup le jeune homme choisit le nom d’une chaîne de montagne, Kirishima. Mais quelques années plus tard, alors qu’il subit de graves revers de carrière, c’est à son prénom de naissance, Kazumi qu’il s’en prend, en adoptant Kazuhiro lui permettant d’utiliser le caractère graphique du prénom de sa mère, Kazue, « cela me donnait en quelque sorte l’impression de me faire épauler par la présence invisible de ma mère. » (Kirishima, 1998). Les changements de nom servent aussi beaucoup aux époques troublées, ainsi les Résistants pendant la Seconde Guerre Mondiale ou les haïdouks révoltés contre le joug de l’occupant turc dont I. Vazov raconte l’histoire : Ivan Klalitch, jeune bulgare devient successivement "le Comte", puis "le Consul", "le Russe" pour finir, lorsqu’il s’évade de prison "Ognianov". (Vazov, 1976). Ce nom individuel, si intime qu’il convient de le protéger, se retrouve dans la construction du nom arabe au Moyen Age. Au nom de naissance, « celui que l’on considérera comme le plus précieux, le plus secret » écrit J. Sublet, mais qui est aussi le plus vulnérable, vient se substituer des sortes de surnoms connotant un titre, un lieu, un nom de métier. Ce sont ces "noms de relation" qui vont servir le plus souvent dans la vie sociale. Mais aucun d’entre eux ne disparaît. De ce fait, en fin de vie, le nom arabe médiéval peut « compter dix composantes ou davantage. Ce nom est en lui-même un récit, une biographie qui n’achève de se construire qu’au moment de la mort. » (1991 : 123). Une même attitude opère en Mauritanie : « Dans l’usage quotidien et comme s’il s’agissait en quelque sorte de parer à une menace de démonétisation de la substance symbolique incorporée dans le nom, les consignes d’euphémisation et les conduites d’évitement tendent bien souvent à occulter les appellations publiquement attribuées à la naissance » (Ould Cheikh, 1999 : 102). Cette crainte révérencieuse d’une manipulation inconsidérée du nom individuel de la personne est plus difficile à trouver
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