De la médiocrité à l excellence
408 pages
Français

De la médiocrité à l'excellence , livre ebook

408 pages
Français

Description

Ouvrage des Éditions Clé en coédition avec NENA

Dans cet essai dont la première édition remonte à l'année 1970, Ébénézer Njoh Mouellè examine, en philosophe qu'il est, le thème du développement pour en dégager une signification objective et équilibrée. Les notions de pauvreté, richesse, bien-être, bonheur, liberté, sont passées au crible d'une analyse qui tend à établir que le véritable développement serait celui qui permettrait l'émergence d'hommes créateurs parce que libres et capables de le demeurer.
En somme, pour l'auteur de cet ouvrage, la fonction du développement est double : promouvoir l'excellence de l'homme en réduisant la médiocrité et fournir en permanence à l'excellence ainsi promue les conditions chaque fois nécessaires à sa réaffirmation.

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Nombre de lectures 2 909
EAN13 9782917591987
Langue Français

Extrait

Extrait
On distingue parfois dans le dessein de les hiérarchiser, l’indigence d’esprit et la pauvreté en biens matériels. Cette distinction ne présente aucun intérêt pour l’homme du pays sous-développé. Aucune de ces deux espèces de pauvretés ne serait à préférer à l’autre, quoi qu’il arrive qu’on se méprenne sur le « Heureux les pauvres car ils verront le royaume de Dieu ». Comprend mal en effet cette parole celui qui n’y voit qu’un encouragement à rester pauvre. Et c’est dans la même optique qu’André Gide écrit : Parce que Christ a dit : Venez à moi, vous tous qui êtes travaillés et chargés, et je vous soulagerai, on a cru qu’il fallait se travailler et se charger pour aller à lui ; et le soulagement qu’il apportait, on en a fait des indulgences.1

Non, pour l’homme, aucune espèce de pauvreté ne saurait être sublimée sans naïveté. L’homme du pays sous-développé est un homme pauvre. Il n’est pas juste non plus de dire qu’une pauvreté qui s’ignore n’est pas une pauvreté. S’il n’y a pas de commune mesure du bonheur, il y a au moins une commune humanité principielle que les conditions diverses d’existence épanouissent ici, étouffent là-bas. C’est un faux problème que celui de savoir si on est en droit de parler de la pauvreté d’un homme qui n’a pas les mêmes besoins que nous. Ceux qui soutiennent cette opinion ne songent souvent qu’aux besoins de luxe. Mais il n’est pas nécessaire de faire intervenir ces besoins de luxe pour montrer qu’on ne saurait être pauvre parce qu’on ne possède pas le superflu ! Si nous nous en tenons aux besoins fondamentaux eux-mêmes, nous ne manquerons pas de constater que la variation dans la manière de les satisfaire témoigne en faveur d’une variation dans l’avoir avec avantage pour ceux qui ont plusieurs façons de satisfaire les mêmes besoins.


L’anthropologue se bornera à nous dire que le besoin de repos, par exemple, est satisfait de façons différentes selon les contrées : le doux oreiller de certains empêchera d’autres de bien dormir toute une nuit. Des pygmées de la troupe camerounaise de ballets qui s’est produite à Sarah Bernhardt en 1963 dédaignèrent les lits moelleux de leurs chambres d’hôtels parisiens auxquels ils préférèrent la moquette du sol. La conclusion rapide qu’on tirerait de là serait qu’il faudrait laisser les pygmées faire comme ils ont toujours fait. Draps, traversins et matelas ne leur sont pas nécessaires puisqu’ils les ignorent et point n’est besoin de les plaindre ni de dire qu’ils sont misérables puisqu’ils n’en ont pas conscience eux-mêmes ; nous disons que ce raisonnement est erroné. Si l’adaptabilité de l’homme à toutes sortes d’environnements lui fait trouver une raison de vivre en toute circonstance, cela ne peut nullement vouloir dire que toute circonstance à laquelle l’homme s’adapte, par nécessité souvent, favorise son épanouissement, c’est-à-dire lui permet d’être plus homme. On devrait, suivant ce raisonnement fallacieux, conclure en second lieu qu’il n’y a aucun sens à proclamer que tel ou tel pays est sous-développé, ou sur-développé, faute d’une commune mesure du développement. Or nous disons qu’il faut distinguer entre bonheur et développement. Il n’y a pas de commune mesure du bonheur ainsi que nous l’avons dit en avant-propos – et nous y reviendrons plus loin – mais il y a une commune mesure du développement. Ce ne sont pas les richesses dénombrables et accumulables, c’est l’aspect par où notre activité de transformation du monde qui aboutit à cette accumulation nous permet de nous réaliser pleinement, d’être des agents créatifs, c’est-à-dire libres.


L’homme à l’état de nature, tel que J.J. rousseau l’a décrit est un homme qui, en un sens ne possède rien, en un autre sens possède tout. Il n’a rien en propre, rien à quoi il s’attache. Mais aussi, le fruit d’aucun arbre, l’eau d’aucune rivière ne lui sont défendus. Il possède tout sans être possédé par rien, sinon par ses instincts. Sous la plume de Rousseau, cet homme est parfois présenté comme l’être ayant théoriquement pu vivre en état de paradis. Et pourtant, cet homme serait resté un sous-homme s’il n’était pas entré dans le processus de socialisation, c’est-à-dire dans le processus du développement. Rousseau dit de lui que la plupart de ses facultés sont en état de virtualités non encore actualisées ; et, parmi ces facultés, la raison. Comment concevoir que l’homme véritable soit celui-là dont toutes les facultés ne sont pas développées ? N’est-ce pas plutôt un sous-homme, ou un homme en devenir ? Rousseau lui-même le laisse maintes fois entendre. Voici comment, tout au début du second discours, il présente l’homme naturel :


« En dépouillant cet être ainsi constitué de tous les dons surnaturels qu’il a pu recevoir et de toutes les facultés artificielles qu’il n’a pu acquérir que par de longs progrès ; en le considérant en un mot, tel qu’il a dû sortir des mains de la nature, je vois un animal moins fort que les uns, moins agile que les autres, mais à tout prendre organisé le plus avantageusement de tous. Je le vois se rassasiant sous un chêne, se désaltérant au premier ruisseau, trouvant son lit au pied du même arbre qui lui a fourni son repas ; et voilà ses besoins satisfaits ».2

On ne peut pas dire que pour cet homme, le fait de se situer en deçà du problème de la propriété, de la pauvreté et de la richesse nous ôte le droit de dire de lui qu’il est un pauvre homme. Ce sur quoi nous voulons insister c’est sur l’idée selon laquelle la pauvreté qui s’ignore n’est pas plus avantageuse pour l’homme que la recherche de la richesse matérielle comme fin en soi. Ce qui importe dans tout processus d’enrichissement comme dans tout processus de transformation du monde, c’est la réalisation de soi, l’auto-accomplissement de l’homme qui n’est pas une donnée de la nature, mais une auto-production historique. C’est pourquoi on peut être pauvre, diminué dans son être au milieu de nombreux biens matériels. Tout enrichissement pris comme fin en soi est, au bout du compte, un appauvrissement; apprauvrissement de l’être au profit de l’avoir, dilution de l’être dans l’avoir. être tout entier ce qu’on a, c’est le risque que court tout homme oublieux du fait que l’avoir doit être subordonné à l’être et non le contraire.


L’homme naturel de Rousseau n’avait rien en propre, ne s’attachait à rien qui lui fut étranger, même pas à une femelle.

« Dans cet état primitif, écrit Rousseau, n’ayant ni maisons, ni cabanes, ni propriété d’aucune espèce, chacun se logeait au hasard, et souvent pour une seule nuit : les mâles et les femelles s’unissaient fortuitement selon la rencontre, l’occasion et le désir, sans que la parole fût un interprète fort nécessaire des choses qu’ils avaient à se dire : ils se quittaient avec la même facilité ».3

Mais à l’état social, l’apparition de la propriété individuelle a inauguré la dialectique de l’être et de l’avoir. Ce que j’ai, ce qui m’appartient sous forme de richesse dénombrable finit par faire partie de mon être. Mes plantations, mes immeubles, mes cars de transport, si je suis homme d’affaires, c’est, ni plus ni moins, moi-même. Qu’une partie de cet avoir en vienne à me manquer et me voilà affecté dans mon être entier et cela peut aller jusqu’au suicide-suppression de l’être-en cas de faillite (perte de l’avoir). Or cela arrive ; avoir quelque chose, c’est s’exposer à le perdre un jour et à être malheureux. Celui qui n’a rien ne perd rien ; par contre celui qui a quelque chose vit dans la crainte permanente de perdre ce qu’il possède. Nous ajouterions même que celui qui accède à une propriété quelconque a déjà perdu quelque chose par ce fait même ! Il a en effet perdu la tranquillité. Il est devenu un être inquiet. Dans ce sens, l’avoir vient modifier l’être, négativement. L’être se laisse absorber par l’avoir. Je suis ce que j’ai.

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