L anorexie mentale, une oeuvre occidentale
248 pages
Français

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L'anorexie mentale, une oeuvre occidentale , livre ebook

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Description

Cet essai tente de mettre en évidence la spécificité occidentale de l'anorexie. Comment les hommes, pendant des millénaires, ont cherché à transfigurer leur vie, avant d'interroger des représentations propres à l'identité occidentale depuis le « génie grec », notamment sur le corps, le féminin, la « sexualité » et le vide ? Si l'anorexie se termine paradoxalement dans la souffrance, c'est peut-être parce qu'elle procède de façon occidentale, c'est-à-dire dualiste et idéaliste, en opposant l'esprit au corps.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juillet 2011
Nombre de lectures 214
EAN13 9782296465671
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L’anorexie mentale, une œuvre occidentale
© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’École polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-55234-0
EAN : 9782296552340
Gil Chabrier
L’anorexie mentale, une œuvre occidentale
L’Harmattan
Pour mon grand-père, dont le départ rapide en 2003 a suscité en moi le désir de me consacrer enfin à ce qui me tient à cœur — d’où le présent texte

Et pour Djahïda, rencontrée depuis en chemin…
*J’avais téléchargé cette photographie sur google.fr il y a plusieurs années, mais n’en avais pas enregistré la provenance que je suis donc dans l’incapacité de fournir, même si j’ai écumé les pages web pour tenter de la retrouver. Initialement en couleurs, elle a été passée en noir et blanc, puis en négatif par moi. Je m’en remets à la compréhension et à l’indulgence de son auteur.
Introduction
Hier, je me suis rendu dans un lycée […]. Durant une pause […] une jeune fille est venue à moi. J’apprendrai […] qu’elle est anorexique […]. Elle m’a tendu un cahier et demandé de lire la note qu’elle venait d’écrire […]. Dans cette note, cette élève disait que la peinture est un art, qu’elle aime la peinture, et qu’elle espère rencontrer un peintre qui lui ferait connaître le désir, le plaisir et l’amour…*
De fait, aborder l’anorexie n’est pas une innovation, d’autant plus que c’est encore un homme qui le fait sur ce thème majoritairement féminin1.
Simone de Beauvoir, que j’apprécie pourtant beaucoup, disait qu’écrire sur la femme « est irritant, surtout pour les femmes »2, ce que je pense pouvoir comprendre. Mais il ne faut pas non plus que cela empêche de s’exprimer sous prétexte que cela risque d’être « irritant », car si jamais ces pages n’apportent effectivement rien à personne ou même irritent carrément, qu’on les oublie au plus vite, j’aurais au moins dit ce que je pensais.
L’anorexie est donc un thème souvent évoqué dans la littérature spécialisée et dans les médias. Mais ce « succès » s’explique par une réalité moins rose, qui est que le nombre de personnes souffrant de ce symptôme est croissant. Les cas d’anorexie ne sont d’ailleurs pas les seuls en hausse, il y a aussi les autres troubles du comportement alimentaire (TCA), la boulimie, l’hyperphagie, l’obésité. Pour ce qui est de l’anorexie, les enquêtes avancent ces chiffres : 10 % d’une population féminine globalement adolescente, et 10 % des anorexiques sont des adolescents ou de jeunes hommes. Ces données sont certainement à revoir, puisqu’elles sont les mêmes depuis longtemps et précisent que le phénomène augmente chaque année.
Une autre donnée, capitale celle-là : il est probable que l’anorexie présente un lien avec l’Occident. Des études rapportent l’apparition d’anorexiques dans des pays en voie de développement, mais elles sont généralement en lien avec des milieux aisés et « cultivés » : finalement occidentalisés3. En passant par un moteur de recherches sur le web, les enquêtes les plus récentes annoncent que dans ces pays, l’anorexie commence à toucher de plus en plus d’adolescentes. Pourtant, ceci ne vient pas invalider l’hypothèse selon laquelle l’anorexie serait une conséquence de la civilisation4 occidentale. Car les spécialistes se posent souvent cette question.
En effet, il ne faut pas oublier que nous sommes à l’ère de la mondialisation. Le « développement » est une valeur essentiellement occidentale. Or, développement veut dire occidentalisation, ce qui d’ailleurs ne va pas forcément de soi. S’il est exact que dans les pays en voie de développement, les jeunes peuvent conserver des éléments des traditions locales dans leur vie de tous les jours, il n’en demeure pas moins que leur façon de s’habiller est suffisamment éloquente : ils sont les objets des mêmes paradigmes que la jeunesse américaine, australienne ou française. C’est que par Occident, il ne faut plus tellement entendre une zone géographique qu’un système de valeurs.
À bien des égards, l’anorexie est à la mode, mais sur un fond d’ambivalence, comme si elle fascinait tout autant qu’elle horrifiait, elle suscite une sorte de curiosité mitigée à l’instar du X. Des femmes, dans un élan publicitaire de fausse confidence destinée à s’attirer une étrange distinction, se disent en être passées par « l’enfer de l’anorexie » alors que pendant quelques semaines, elles se sont sûrement plus rêvées anorexiques qu’autre chose. Sur les forums spécialisés, il n’est pas rare de lire des adolescentes qui veulent devenir anorexiques5, pourtant l’anorexie est le symptôme psychiatrique générant le plus de décès. Des mannequins sont effectivement anorexiques, leur minceur ôte tout doute, et elles sont mitraillées par les objectifs au même titre que des stars pulpeuses. Des femmes ne présentent aucun signe apparent de TCA, pourtant leur « mentalité » est bien celle d’anorexiques. Quand elles sont hospitalisées, elles peuvent susciter de l’admiration, une compassion dégoulinante ou encore un acharnement pervers6. Sur les forums, les demandes de témoignages d’élèves infirmières pour leur mémoire, d’étudiants en médecine ou en psychologie pour leurs recherches, ou de journalistes pour des émissions, sont fréquentes. Pour finir, une anecdote : deux anorexiques hospitalisées sont en permission, elles ne sont donc sûrement pas obèses, elles sont en train de s’acheter un chausson aux pommes dans une boulangerie et quelqu’un leur dit :
« Attention mesdemoiselles ! C’est pas bon pour la ligne… »7 C’est que l’anorexie est bien dans l’air du temps.
Au sujet des publications, je ne fais que mentionner l’approche génétique. Elle me laisse dubitatif car, à moins de n’avoir strictement rien compris à l’anorexie, ce qui est aussi parfaitement envisageable, elle revient en quelque sorte à chercher un « virus » de l’anorexie. Or, si l’anorexie avait une origine génétique, elle aurait été remarquée depuis que l’homme existe, en se transmettant de génération en génération, car une personne extrêmement maigre qui ne veut pas se nourrir, cela ne passe pas inaperçu. L’anorexie « en masse » si je puis dire, c’est bien un phénomène relativement récent.
Certains auteurs ont proposé des approches différentes des lieux communs sur l’anorexie, qu’ils interprètent tantôt comme un phénomène à connotation religieuse8, à partir des saintes anorexiques comme Catherine de Sienne par exemple, ou un phénomène sociologique9. Quant aux publications psychologiques des dernières années, si elles sont nombreuses et présentent évidemment entre elles des nuances, elles tendent à envisager l’anorexie selon de mêmes schémas et s’essoufflent.
Il ne s’agit pas ici de rejeter l’apport des spécialistes sur la question.
Mais si l’anorexie peut se concevoir comme étant un problème de nature psychique, il est tout à fait pertinent de pouvoir l’envisager aussi comme un phénomène religieux ou sociologique. Chacune de ces trois approches dit quelque chose de vrai sur l’anorexie. Mais chacune présente ce défaut : à terme, elle est amenée à se séparer des deux autres puisqu’elles apparaissent difficilement conciliables entre elles.
L’anorexie est désormais un territoire réservé à la psychiatrie.
Pourtant, les spécialistes eux-mêmes se montrent réservés quant à la « guérison »10 et si l’anorexie suscite en eux un si vif intérêt, elle semble dans le même temps mettre en échec leurs tentatives pour la comprendre davantage, sinon il ne serait pas nécessaire de revenir sur elle avec une telle insistance. Le bien compréhensible contrat de poids, qui s’adresse à des anorexiques hospitalisées, donc en danger vital, peut être perçu comme un aveu d’échec : d’une certaine façon, à défaut d’avoir pu comprendre et enrayer les choses, il est cherché à sauver dans l’urgence et par la contrainte, plus que par un contrat digne de ce nom.
Il est fait des distinctions entre anorexie féminine et masculine, anorexie et boulimie, anorexie atypique et anorexie typique. Mais l’inconvénient des distinctions est, au-delà d’un certain seuil, de diluer la pensée dans les distinctions elles-mêmes et de reléguer dans les lointains ce qui fait le nerf même de ces distinctions. Il est impossible de faire rentrer la vie psychique, essentiellement fluctuante, dans les cases du Diagnostique de santé mentale 11 ou pire, dans celles du Mini-DSM IV 12.
Certes, l’anorexie peut emprunter différentes formes, mais celles-ci ne sont pas définitives chez l’anorexique : de purement restrictive, elle peut pratiquer des orgies alimentaires et se livrer à des vomissements, recourir aux toxiques, se confronter bruta

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