Il était deux frères
170 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Il était deux frères , livre ebook

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170 pages
Français

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Description

Jeremy et Dimitri sont des jumeaux de douze ans. Ils sont inséparables et absolument identiques, à une exception près : Dimitri est aveugle.
Cette différence les éloigne de plus en plus, jusqu'à l'âge adulte où, incapables de se comprendre, ils finissent par détruire tous les liens qui les unissaient.
Porté par une écriture où l'empathie fusionne avec une analyse des tourments de l'enfance, un conte humain sur l'amour fraternel et les obstacles qu'il faut affronter pour devenir soi-même.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 02 décembre 2015
Nombre de lectures 122
EAN13 9782336397818
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0700€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
4e de couverture
Copyright






















© L’HARMATTAN, 2016 5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.harmattan.fr diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
EAN Epub : 978-2-336-74792-7
Titre
Olivier Ciappa










IL ÉTAIT DEUX FRÈRES

Roman
ARLES 1991



Dessiner. Dessiner une forme arrondie pour le visage. Y placer le nez et les yeux.
Jeremy regarde le personnage qu’il essaie sans succès de crayonner depuis des heures. Pour lui, c’est encore et toujours laid.
Il prend sa feuille de papier, en fait une boule qu’il écrase avec toute la force de son poignet et la jette dans la corbeille déjà remplie de dizaines d’autres échecs rageusement froissés. Plus il essaie, et moins ça lui semble possible. Il se dit qu’il n’arrivera jamais à dessiner ce qu’il a dans la tête. Il sera toujours médiocre, il en est persuadé. Il se dit qu’à douze ans, tout le monde devrait savoir dessiner un être humain sans que ça ressemble à un gribouillis.
Certains élèves de sa classe parviennent à crayonner des personnages tellement beaux qu’ils peuvent fièrement les montrer à leurs autres camarades. Mais pas Jeremy, non. Il a tellement honte de ce qu’il dessine ! Comment se fait-il qu’il arrive à voir des images aussi belles et aussi claires dans sa tête, et qu’elles deviennent des horreurs sitôt qu’il pose son crayon sur la feuille ?
Il jette un coup d’œil à la corbeille déjà bien remplie.
Il ne faut pas qu’il oublie de la vider avant que ses parents se réveillent. Personne ne doit savoir qu’il dessine aussi mal. D’ailleurs, à part son frère, il n’a jamais dessiné en présence de quiconque. Mais ça ne le gêne pas car Dimitri, son jumeau, est aveugle. Il n’a jamais vu et ne verra jamais. Jeremy sait donc que son frère ne peut ni se moquer de lui ni juger ses « œuvres ».
Jeremy lève les yeux vers son frère qui dort paisiblement dans son lit. Il a l’air encore et toujours calme et heureux. Comme toutes les nuits d’ailleurs.
Si seulement il pouvait dormir aussi bien, lui. Mais non, même s’il s’endort rapidement, il est toujours réveillé vers trois ou quatre heures du matin. Toujours le même cauchemar, toujours les mêmes frayeurs nocturnes, toujours le même corps ruisselant de transpiration. À chaque fois, dans ses rêves, il se voit aveugle à la place de son frère. Et quand l’angoisse lui paralyse la poitrine au point qu’il n’arrive plus à respirer, il se réveille. Et, à ce moment, il sait qu’il ne pourra plus se rendormir, terrorisé à l’idée de replonger dans le même cauchemar. C’est comme si son corps lui réclamait de se lever et de commencer la journée plutôt que de devoir revivre cette insupportable sensation.
Très vite, Jeremy a senti le besoin de dessiner. Dessiner pour se prouver que son regard sert à quelque chose. Dessiner pour reproduire avec ses mains ce que son imagination ou ses yeux parviennent à capturer. Dessiner est aussi la seule activité qui calme les angoisses de ses nuits car elle lui rappelle qu’il est bien voyant.
Mais elle en crée de nouvelles, aussi. La peur d’être toujours médiocre, celle d’être sans talent, et surtout celle de ne pas mériter d’être né plus chanceux que son frère, d’être né « celui qui voit ».
Deux jumeaux. Deux frères identiques, nés en même temps. Sauf que Jeremy a toujours eu l’impression d’avoir volé la vue à son frère.
Il se dit souvent que, si Dimitri pouvait voir, il ferait quelque chose de plus utile de ses yeux. Peut-être que lui aurait du talent.
Voilà la pensée qui revient inlassablement dans son cerveau et le déprime. S’il a eu cette chance, alors il doit justifier ce privilège dont son frère ne bénéficie pas.
Jeremy prend une grande inspiration et essaie à nouveau. Il tente cette fois de dessiner les yeux du personnage mais n’y arrive pas. Il abandonne et tente de tracer le reste du corps.
Il s’arrête, soulève son crayon, regarde sa feuille avec dépit. Il fait tomber sa tête sur son bureau. Il a envie de pleurer, mais il se retient. Il se retient tellement que sa respiration commence à devenir plus difficile et qu’il pousse malgré lui de petits gémissements.
En entendant ces pleurs étouffés, Dimitri se réveille. Il essaie de comprendre ce qu’il se passe, puis se dirige doucement vers son frère. Il se met derrière lui et l’enlace de ses bras. Il pose ensuite son front contre la nuque de son jumeau et reste plusieurs secondes silencieux.
Au bout de quelques instants, plutôt que de sortir une phrase inutile, il l’embrasse doucement sur la nuque.
– Je n’arrive pas à dessiner. C’est moche !
Dimitri met sa main sous celle de son frère et y referme tous ses doigts, sauf l’index qu’il appuie contre celui de Jeremy, comme pour lui demander de lui montrer ce qu’il a dessiné.
– Ça, c’est la tête. Elle est complètement ratée. On dirait que c’est un handicapé qui l’a tracée.
Dimitri fronce les sourcils, certainement gêné par cette remarque mal placée. Il prend la main de Jeremy et tapote le dessin.
– Ça ne m’intéresse pas, ce que tu as dessiné. Moi, ce que j’ai envie de savoir, c’est ce que tu vois…
Il soulève la main de Jeremy et tapote doucement le crâne de son frère.
– … Là.
– Je veux dessiner une poupée de porcelaine.
Dimitri est surpris. Il ne s’attendait certainement pas à ce que son frère dessine des poupées.
– Ah. Elle est belle ?
– Oui. Très belle. C’est la plus belle du village.
– C’est un village de poupées de porcelaine ?
– Non. C’est un village de jouets. Et elle, c’est la dernière poupée de porcelaine. Les autres sont toutes brisées parce qu’elles n’ont pas fait attention quand elles ont joué.
– Mais elle, par contre, elle a fait attention.
Pourquoi ?
– Parce qu’elle est aveugle.
Dimitri fait une grimace. Même si l’idée de son frère part d’une bonne intention, ça n’a pas l’air de lui plaire.
– Les autres jouets du village, ils sont en porcelaine aussi ?
– Non, c’est la dernière, je t’ai dit. Les autres, ils sont en matériaux moins fragiles : en bois, en mousse, en fer, en tissu.
Dimitri réfléchit quelques instants.
– J’aime pas qu’elle soit aveugle.
Jeremy ne comprend pas. Il pensait que ça ferait plaisir à son frère.
– Elle est déjà à part. Elle est déjà bien trop fragile, ta poupée. Elle a pas besoin d’être aveugle en plus, si ?
Dimitri cherche avec sa main un crayon sur la table.
Il s’en saisit et le dirige vers l’emplacement où son frère avait montré la tête de la poupée quelques minutes plus tôt.
Il dessine des yeux sur le visage et un sourire. Bien sûr, le résultat est approximatif et les yeux dépassent les limites du front.
– Ils sont comment, ses cheveux ?
Jeremy lui passe le crayon rose. Dimitri pose ses doigts dessus et sourit quand il lit « Rose » en braille.
Jeremy lui prend la main et le guide vers le dessin pour qu’il commence à dessiner les cheveux.
Les jumeaux partent toujours en avance à l’école. À quoi bon courir quand on peut s’amuser un peu sur le chemin du collège ?
Ils sortent de leur maison, cartables sur le dos. Celui de Dimitri est plus lourd car il contient sa petite machine à écrire en braille. Il attrape le bras de son frère, et tous les deux s’engouffrent dans les petites ruelles.
Au bout de quelques pas, Jeremy saute sur le côté, sans prévenir, entraînant son frère avec lui.
– Attention devant ! Le sol est ouvert ! Il y a une faille spatio-temporelle.
– Oh non. Tu vois des dinosaures ?
Jeremy regarde à droite et à gauche.
– Non. Il n’y en a pas. Mais il y a de la lave qui sort de partout. Vite !
– Ils doivent être cachés. Fais bien attention.
– Je sais, on s’est déjà fait avoir la dernière fois. Notre seul moyen de s’en sortir, c’est de marcher sur…
Dimitri finit la phrase de son frère.
– … les morceaux de météorites. Il est où le plus près ?
– Tout droit, un peu à droite. T’es prêt ? Un, deux

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