L Amérique était sous nos pieds
86 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

L'Amérique était sous nos pieds , livre ebook

-

86 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Description

"J'ai toujours été la mère de ma mère. De plus loin que je me souvienne, j'étais déjà plus grande qu'elle, et elle me regardait avec des yeux d'enfant fidèle. Mais maman, lui disais-je, tentant en vain de la convaincre de sa maternité à mon égard, maman ! criais-je parfois, coulant vers elle un regard candide, expression que j'avais au préalable longuement étudiée devant un miroir. Mais rien n'y faisait. Maman se prenait pour ma fille..."

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mars 2011
Nombre de lectures 25
EAN13 9782296801158
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0450€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L’Amérique était
sous nos pieds
Marie Burgat


L’Amérique était
sous nos pieds

Trente-deux histoires
© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-54187-0
EAN : 9782296541870

Fabrication numérique : Socprest, 2012
MON ANGE…
J’ai toujours été la mère de ma mère.
Du plus loin que je me souvienne, j’étais déjà plus grande qu’elle, et elle me regardait avec des yeux d’enfant fidèle. Mais maman, lui disais-je, tentant en vain de la convaincre de sa maternité à mon égard, maman ! criais-je parfois, coulant vers elle un regard candide, expression que j’avais au préalable longuement étudiée devant un miroir. Mais rien n’y faisait. Maman se prenait pour ma fille, et qui plus est pour ma fille cadette, la petite dernière, celle que l’on chouchoute et de qui l’on excuse plus facilement les bêtises…
Que faire ? Comment lui faire comprendre que je n’étais pas celle qu’elle croyait ?
Le soir, dans mon petit lit, une fois que mon père m’avait bordée bien serrée et avait éteint la lumière en me souhaitant de doux rêves, je restais comme cela dans le noir, les yeux grands ouverts, réfléchissant. En plusieurs années d’insomnie, je mis en place des centaines de stratégies, qui finissaient à l’aube par me pousser dans un sommeil de quelques instants, car ma mère arrivait bien vite et d’une voix chantante annonçait une journée resplendissante en faisant claquer les volets : « Debout, debout, il fait un temps merveilleux ! » ou bien : « Quelle chance, les enfants, il a neigé toute la nuit, c’est jeudi, quelle belle partie de luge en perspective ! ! ! »
Maman ne comprenait pas mon manque d’enthousiasme à accueillir la journée qui s’annonçait. En effet, j’étais épuisée, n’ayant dormi que quelques minutes, et n’ayant bien sûr pas eu le temps de faire des rêves. Je n’avais d’autre solution alors, à moins de mourir rapidement d’un empoisonnement du cerveau, que de dormir en vaquant aux multiples activités des enfants, tout en rêvant debout. J’avais l’air de plus en plus hébétée, et mes professeurs s’en plaignaient en notant sur mon livret scolaire cette remarque : « élève distraite, peut mieux faire », mais mon père et ma mère signaient non moins distraitement mes bulletins mensuels sur lesquels s’affichaient avec régularité les plaintes des professeurs alliées à mes résultats scolaires piteux.
Dans la journée, lorsque j’avais un instant, ma mère ne manquait pas de me faire venir auprès d’elle, et de me regarder avec des yeux d’enfant. Elle prit même l’habitude de me parler régulièrement de ses états d’âme, de ses désirs, de ses regrets, de sa façon à elle de comprendre le monde, de ses découvertes en toutes choses, de son point de vue sur Dieu et des différents maux physiques qui la tourmentaient. J’écoutais, hochant parfois la tête, faisant hum hum, pour l’assurer de mon attention. Et puis un jour…
… Et puis un jour, maman m’appela pour m’annoncer une grande décision. Désormais, je n’irais plus à l’école, car c’est elle-même qui m’apprendrait la vie, et je n’aurais plus à me fatiguer avec les livres scolaires ennuyeux. Maman m’assura que j’y gagnerais, ne perdant plus mon temps à me déplacer jusqu’à l’école. Quant à mes camarades, si j’y tenais vraiment, elles pourraient venir de temps à autre pour prendre le goûter avec nous deux. Je la regardai effondrée, tournant vers elle un visage dont l’expression était la plus désespérée que mes exercices devant le miroir m’aient enseignée, mais elle ne me regardait même pas, tout au comble du bonheur que cette nouvelle perspective de vie lui apportait. J’eus envie de hurler, je modulai le mot « maman », mais aucun son, à mon étonnement, ne sortit de mes lèvres. J’étais devenue muette. Maman prit mon silence pour un acquiescement, et s’éloigna de moi en chantonnant un air d’opérette. Et la vie continua. Je ne parlais plus ? « Qui ne dit mot consent », dit le proverbe. Ainsi je consentais à la suivre partout, tel un ange gardien et, parfois, elle levait vers moi un regard innocent, ravi, ou frondeur. J’acquiesçais en toutes circonstances à ses moindres gestes, à ses plus intimes paroles, et maman petit à petit trouva la quiétude la plus totale ; chantonnant du matin au soir, elle vaquait à ses occupations de mère de famille. Je pris l’habitude de me lever en même temps qu’elle, et la nuit, je somnolais, tout en écoutant venir de la chambre voisine ses ronflements.
C’est à cette époque-là que se passa la chose. Cela commença par un picotement, à hauteur des omoplates, une sensation bizarre dont je ne savais dire si elle était désagréable ou non. Comme à mon habitude, je n’en dis rien à maman. D’ailleurs, elle s’était très bien habituée à mon silence, et le son de ma voix eût risqué de l’effrayer. C’était la nuit surtout que j’en étais la plus consciente : il se passait quelque chose dans mon dos, en deux endroits distincts, de chaque côté de ma colonne vertébrale.
Bien sûr, souvent, au cours de la journée, quand je suivais maman d’une pièce à l’autre, je jetais des regards vers les fenêtres, parcourant d’un œil rapide le spectacle du dehors, les toits de la ville, les montagnes, les arbres du jardin, le grand cerisier de la cour dans lequel j’aimais me percher autrefois, rêvassant, en équilibre sur la fourche d’une haute branche. Mais cela était le passé, et jamais mon esprit, trop occupé par maman, ne se laissait aspirer par le monde que j’avais connu à l’extérieur de l’appartement. Aussi fus-je éminemment étonnée lorsqu’un matin, après une nuit durant laquelle mon dos m’avait particulièrement agacée, provoquant l’insomnie la plus totale de ma vie d’insomniaque, je m’approchai, comme téléguidée, vers la fenêtre de ma chambre, l’ouvris et, brusquement, sentis dans mon dos, déchirant ma chemise de nuit, deux ailes se déployer.
Et dans l’instant qui suivit, sans que je n’y sois apparemment pour quelque chose, je me vis grimper sur le rebord de la fenêtre et, dominant le jardin, la cour, le cerisier, je m’envolai.
Je vis défiler sous moi les toits de la ville, puis ce fut la campagne, les villes en espalier, les petits villages ramassés autour des clochers, les pâturages et les cimes enneigées des montagnes. Je volai longtemps et sans aucune fatigue, et bientôt j’arrivai sans encombres, là où vous savez…
CHAMBRE 17
Elle ouvrit la porte sur une chambre miteuse. Moquette sale, couvre-lit désuet, rideaux aux ramages ridicules. Couleurs qui vomissaient leur désarroi à ne pouvoir se correspondre. Essoufflée par la volée d’escaliers et le poids de son sac, elle s’effondra sur le lit, bien décidée à ne pas se laisser déprimer par le décor d’un hôtel sans étoile. Elle regarda le plafond, des lignes noires le striaient, signe de craquements divers. Elle ferma les yeux. Elle entendit le gémissement d’un vieil homme qui n’arrivait pas à dormir. Puis ce fut un halètement amoureux et des plaintes diverses. Elle entendit le bruissement des pages d’un livre que l’on tournait tard dans la nuit.
Elle ouvrit les yeux sur ceux qui habitaient la chambre, ils débordaient même sur le lit. Elle eut peur et se frotta les paupières. D’un coup ils disparurent. Mais elle les entendit. Elle entendit leurs mots, leurs dialogues, leurs monologues. La chambre bruissait de mille balbutiements. Ils étaient si nombreux à avoir loué pour une ou plusieurs nuits la chambre 17. Elle se traîna jusqu’au coin toilette. Un vieux lavabo dominé par un miroir ovale, un néon pour éclairer le tout. Elle alluma. Elle vit son visage et cet air sévère qu’elle avait lorsque sa destinée n’était pas toute tracée. Et dans le miroir ils étaient là aussi, tous ceux qui s’étaient penchés ici sur leur psyché.
Elle vit des regards inquiets, délavés, des yeux cernés par la fatigue, la pauvreté, l’errance. Elle vit des lèvres qu’on maquillait de rouge baiser, de rose ou d’incolore, des bouches aux commissures tombantes, dépitées. Elle éteignit et alla se recroqueviller sur le lit toute habillée, pour tenter de d

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents