L Idiote et les chants d Afrique
161 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

L'Idiote et les chants d'Afrique , livre ebook

-

161 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Description

Le Portugal colonial des années cinquante. A Lisbonne d'abord, puis à Lourenço Marques, au Mozambique, une petite fille très douée et sensible, élevée dans le cocon des familles de l'aristocratie portugaise, tente d'affirmer son existence et sa personnalité au sein du monde des adultes, dont elle peine à comprendre les règles, souvent impitoyables. Dans cette Afrique coloniale, à la richesse fascinante, elle fait également le premier apprentissage de sa sensualité.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juillet 2010
Nombre de lectures 200
EAN13 9782296703827
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L’IDIOTE
ET LES CHANTS D’AFRIQUE
Clara Roux


L’IDIOTE
ET LES CHANTS D’AFRIQUE
Révision et correction : Paul, Salvador, Stéphanie, Sébastien, Danièle.


© L’Harmattan, 2010
5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-12457-8
EAN : 9782296124578

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
Prologue
Quelle souffrance ! Je sens ma tête se déformer et pousser… pousser dans tous les sens. Tout mon corps s’étend, se distend au gré d’impulsions qui m’entraînent vers une spirale qui tournoie frénétiquement. Au loin, j’aperçois une lumière vacillante dans une épaisseur dense et intense, percutée de sons lancinants qui écrasent ma tête et me font trembler de froid et de peur. Je refuse de sortir de la chaleur et de mon petit nid blanc où je me réfugie et m’accroche désespérément pour ne pas être projetée dans un monde inconnu, où je sens des ondes prêtes à m’atteindre et me désintégrer. Je sais que c’est inévitable, je connais déjà ce qui m’arrive. Après l’expulsion, je ne saurai plus, ni d’où je viens, ni qui je suis, sauf de vagues images qui me resurgiront plus tard. Je retournerai au néant. Je dépendrai d’une inconnue après ce passage obligatoire par la spirale froide en direction de la lumière jaunâtre qui m’aveugle. Je ne veux pas sortir, je ne veux pas quitter ces douces ondulations d’amour qui me bercent et me rassurent.
Je perds mes forces. Un vent fort me fait voltiger et me rejette contre une paroi élastique qui me repousse mille fois encore vers mon refuge. Puis soudain, une explosion, l’aveuglement, l’assourdissement. Me voilà empêtrée dans une masse visqueuse qui me prive de tout mouvement. Je perds peu à peu conscience et j’essaye de retenir avec avidité tout ce qui m’entoure. Jusqu’à ce que je me sente expulsée dans une atmosphère fluide et glacée. J’ai froid et je ferme les yeux pour ne pas subir l’éclat intense des lumières jaunes qui m’éblouit. Mais une douleur soutenue à la poitrine m’empêche de respirer.
Quelqu’un m’attrape par les pieds et me tape sur les fesses avec tant de force que je crie, indignée. Ca y est, je peux enfin respirer. Puis je me retrouve à nouveau contre ce cœur dont je connais si bien les battements.
A nouveau je plonge dans une grande sérénité. Je me blottis contre sa peau qui exhale son parfum d’amandier en fleurs que je connais depuis toujours. Au loin, j’entends sa voix si familière. Elle me parle doucement, me dit qu’elle est ma mère et que je suis un joli petit bébé. Je ferme les yeux et m’abandonne dans ses bras, confiante en ses mains solides qui me construisent à nouveau un petit nid chaud où je m’endors, bercée par sa chaleur et le rythme de sa respiration.
I
Un certain temps a passé dont je n’ai pas gardé le moindre souvenir. Mais je sais déjà marcher et je pars en de longues explorations à travers la maison, à la découverte de mondes inconnus. J’ai de grands espaces à découvrir et je me sens heureuse, toute seule avec moi-même. C’est si bon de rester assise au milieu d’une salle et d’écouter tout doucement les sons qui animent l’intérieur de la maison. Quel que soit l’endroit où je me trouve, j’entends toujours la voix de Mère. Et aussi celles animées des bonnes et de mes frères et sœur. J’ai deux frères et une sœur. Ils sont déjà grands et ne me prêtent pas beaucoup d’attention. Ca m’est égal car j’aime mieux être toute seule, sachant Mère tout près de mon territoire. Les lumières qui brillent à travers les fenêtres me fascinent et je tente d’en percer les mystères. Je me dirige toujours vers ce qui brille et me laisse envelopper par ces gouttes de lumière qui ne laissent aucune trace sur la peau et la font resplendir sans la tacher. Et, dans l’air chaud de cette fin d’après-midi, je sens qu’elles m’enferment au centre d’un rayon de lumière.
La cuisine est immense et baignée par le soleil qui entre à profusion à travers les vitraux des fenêtres. Symphonie de couleurs qui dansent sur les murs immaculés et sur les carreaux en mosaïque noirs et blancs du plancher. J’y passe des heures, assise par terre, à assembler patiemment les motifs de forêts et d’animaux de mes cubes. Tous les animaux de la forêt s’animent autour de moi et tout cesse d’exister. Je sais que je suis protégée par Mariana et Aurora. Cette dernière essaye, sans y parvenir, de m’asseoir à la table de la cuisine pour me faire manger la banane écrasée dont j’ai horreur. Mère dit que c’est pour mon bien, parce que je suis maigre et ne mange rien.
A travers la porte je vois apparaître la vision la plus belle qu’il m’ait été donné de voir, Mère chérie. Mais la vision n’a pas l’air du tout contente. Ses yeux ne brillent pas comme des étoiles. Ils sont noirs et presque méchants. Elle se fâche avec Aurora qui défend sa Mademoiselle. Aucune compassion dans son regard résolu. Elle m’assied de force à table et m’oblige à manger la banane, à présent complètement en bouillie à force d’avoir été écrasée. Je sens de petits hoquets dans ma gorge et un désespoir d’être traitée ainsi par l’être le plus aimé et le plus beau au monde. Ma répugnance atterrit sur les mosaïques du plancher. Aurora nettoie le sol en silence et je me sens chaque fois pire. La pauvre, cela doit lui faire mal au dos et tout ça, par ma faute, parce que je n’aime pas les bananes. Chaque fois que je suis obligée d’en manger j’ai pris cette mauvaise habitude de vomir.
Mère dit à Mariana d’aller faire les courses et de m’emmener avec elle pour me calmer. J’adore Mariana. Elle est si gaie. Elle est toujours en train de chanter et je ne la vois jamais triste. Elle est née pour être heureuse et faire briller de tout leur éclat le soleil et les étoiles. Quelles belles histoires elle me raconte pour m’endormir ! Mais ce jour là, le soleil ne brille pas autant que d’habitude. Alors que nous nous promenons toutes deux, main dans la main, pimpantes et heureuses, en cet après-midi ensoleillé, Mariana disparaît soudain de mon champ de vision. Je reste toute seule au milieu du trottoir et j’aperçois, terrorisée, une femme aux ongles et à la bouche rouges, en train de griffer et de mordre ma Mariana. Une foule de gens et beaucoup de cris. Quelques instants plus tard, je suis poussée par quelqu’un à l’intérieur d’un taxi où je reste debout en criant sur la banquette arrière. En voyant soudain mes bottines sur la banquette, je suis prise de honte. Je me mets à pleurer, à crier de toutes mes forces mais Mariana ne m’entend pas. Enfin elle court vers le taxi où je continue à crier désespérément, dit au chauffeur de nous emmener à la maison et me blottit contre ses genoux tandis que nous pleurons toutes les deux doucement.
Une fois à la maison, et après un bon bain chaud, j’entends au loin les voix de mes parents, graves et sévères, en train de parler avec Mariana. Je traverse le couloir sombre jusqu’à la porte de la pièce et j’entends alors des mots qui me terrorisent encore plus que ce que je ne le suis. Pourquoi cette femme de la rue a-t-elle donc tiré les cheveux de Mariana et l’a-t-elle griffée jusqu’au sang ? Uniquement parce qu’elle connaît bien son mari ? Il faut que je lui demande. Mais quand elle vient me coucher, je préfère écouter ses histoires si belles et m’endormir, bercée par la magie de ses contes où tout finit toujours bien.
Une autre bonne est venue vivre chez nous, Margarida. Elle est plus jeune qu’Aurora et Mariana. Elle vient s’occuper uniquement de moi. Et elle s’occupe vraiment très bien de moi. L’autre jour, tandis qu’elle m’emmène dans ma chambre, enveloppée dans un grand peignoir blanc bien chaud, elle est attaquée par mon frère aîné. Je ne sais pas pourquoi il veut m’arracher des bras de Margarida, mais elle ne le laisse pas faire. L’un et l’autre tirent sur mes bras et crient à tel point qu’ils en deviennent tout rouges, les yeux exorbités. J’ai si peur que je me mets aussi à crier. Mes parents n’ont pas apprécié du tout ce qui s’est passé mais ont donné raison à Margarida. Mon frère, qui n’aime pas les bonnes, était furieux.
II <

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents