La femme-eucalyptus
78 pages
Français

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La femme-eucalyptus , livre ebook

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Description

Si femme-eucalyptus se transforme en arbre le soir venu, est-ce pour écouter les rumeurs du vent courir dans son feuillage ? Pourquoi la va-t-en-guerre ne désire-t-elle qu'une chose : partir combattre aux côtés des hommes ? Dans ce livre, ce sont les femmes qui mènent le jeu et qui éclairent le monde de leur regard sensuel, gourmand, parfois insolent.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 décembre 2008
Nombre de lectures 109
EAN13 9782336262796
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0450€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© L’Harmattan, 2008
5-7, rue de l’Ecole polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
9782296070301
EAN : 9782296070301
Sommaire
Page de Copyright Page de titre Dedicace Remerciements La femme-eucalyptus L’épouse du Diable La colonne conteuse La va-t-en-guerre Les petits pieds Le grain de mil Un jour comme les autres Cousu de fil rose La Légende Des Mondes - Collection dirigée par Isabelle Cadoré, Denis Rolland, Joëlle et Marcelle Chassin
La femme-eucalyptus
Contes et nouvelles d'aujourd'hui

Joëlle Van Hee
Du même auteur dans la même collection :

Contes blancs d’Afrique noire
Aux éditions L’Harmattan :

Le chemin bleu
Littérature jeunesse :

Les aventures d’Edgar, chevalier , éd. Averbode Monsieur Cloche , Contes frisquets, éd. Mijade
Littérature adulte sous le pseudonyme Jovanille :

Le baiser , éd. Féminines Petites nouvelles drôlement érotiques , éd. Féminines
Ecriture de spectacles jeunesse :

Uppshala (chansons) Migration (chansons) Lumière (conte) Bulle d’air (poésie)
À ma Princesse, ma Mouette et mon Bilulu
Merci aux Écriateurs, Béa, Carlo, Catherine et Patricia ainsi qu’à Florence et à Max
La femme-eucalyptus
D ans l’immensité fauve du bush australien vivait Djakapurra, le vieux chasseur. Il était assis au bout du chemin et tournait le dos à son avenir. Tout ce qu’il avait devant les yeux, c’était le sentier de sa vie et les traces de ses pas sur la terre rouge. Avec la pointe de son bâton dans le sable, il redessinait inlassablement le petit serpent sinueux de son existence. Il ne l’avait pas rêvée aussi dure et austère, cette existence, pourtant il ne regrettait rien, pas un seul instant, pas le moindre faux pas.


Djakapurra avait vécu aux côtés de la douce Kylie. Il avait chassé pour elle, lui avait bâti une maison et chaque jour lui avait ramené le bois du foyer. Elle l’avait aimé et lui avait donné quatre filles. Il y a quelque temps, Kylie s’était endormie au pied de la montagne pour rejoindre leurs Ancêtres. Elle avait demandé à Djakapurra de ne pas pleurer. Elle lui avait dit qu’elle ne faisait que préparer sa couche pour qu’il vienne la retrouver. Mais Djakapurra avait sombré dans le chagrin.
Alors Tianna, l’aînée de leurs quatre filles, était revenue vivre auprès de lui. Si elle avait choisi de veiller sur son père, ce n’est pas parce qu’elle était la plus âgée des sœurs, mais parce qu’elle était la seule à ne pas avoir trouvé d’époux.

Djakapurra savait que ce n’était pas l’aspect physique de sa fille qui repoussait les hommes. Tianna n’était pas laide, elle était même belle, mais sa beauté était singulière, brute. Le soleil, dès son lever, faisait son nid dans les boucles de ses cheveux roussis. L’eau, si rare sur la prairie, courait dans son corps, elle lui donnait cette force vive qui fait chanter le cœur des gens simples. Le vent du soir ne se lassait pas de caresser sa peau noire, il la couvrait d’une fine patine de poussière. Et la lune se réfugiait sous son visage, les nuits de pleine éclipse.
Aucun homme n’avait voulu prendre Tianna pour femme parce qu’elle était très différente des autres jeunes filles et qu’elle les effrayait. Elle était farouche, elle parlait peu et ne cherchait jamais à attirer le regard sur elle. Elle passait le plus clair de son temps à parcourir le bush en solitaire. Elle se remplissait les poumons de son parfum brûlé, se couchait dans ses broussailles bleues et chassait aux côtés de ses chiens sauvages. Lorsqu’elle revenait au village, elle ramenait toujours une cruche d’eau et du gibier. À la tombée du jour, Tianna disparaissait à nouveau dans les garrigues pour y passer la nuit. Djakapurra ne s’y trompait pas, il savait que Tianna avait des pouvoirs magiques. Depuis longtemps déjà, il avait deviné qu’elle était une femme-eucalyptus, une femme qui se transforme en arbre, le soir venu.
Lorsqu’elle déserte le village, la femme-eucalyptus se pose le long de la rivière. Elle cherche un tapis de fougères et de champignons pour y enfouir ses racines et jouir de la moiteur de la terre. Elle étire ses branches, essaie d’attraper les nuages ou de toucher le ciel. Elle déploie sa couronne verte, écoute les rumeurs du vent courir dans son feuillage. Elle attend ensuite que le tigre de Tasmanie vienne s’abriter dans la cavité de son tronc. Elle le guette, repère de loin son long corps brun lacéré de rayures noires. Elle attend qu’il vienne se lover au creux de ses doigts tuberculeux et elle s’offre en refuge.

Djakapurra acceptait qu’au soleil déclinant sa fille ne tienne plus en place, qu’elle soit irrésistiblement attirée par les grands espaces et qu’elle disparaisse dans le bush. Jamais il ne cherchait à la retenir. Il comprenait son désir de liberté. Et puis elle prenait bien soin de lui. Elle lui réservait les meilleurs morceaux de sa chasse, elle trouvait des baies rares et juteuses, lui cuisinait des mets chatoyants qui réjouissaient son vieux palais. Lorsqu’il était gai, elle s’asseyait sur le coin de sa natte et l’écoutait se raconter. Elle chantait aussi parfois, lorsqu’il était triste. Il aimait entendre le feulement rauque de sa voix chaude.

Un jour, un homme rabougri, vieux et mal fait se présenta au village. Il se dirigea sans hésiter vers la case de Djakapurra. L’homme était déterminé. Il salua le père de Tianna et lui offrit une longue ficelle d’herbes tressées.
— Donne-moi ta fille Tianna, dit-il. Je ne te priverai de sa présence que du lever du soleil à son zénith. Pour toi, je laisserai l’après-midi et pour elle, la nuit.
C’était la première fois, et sans doute la dernière, qu’un homme offrait le mariage à sa fille. Mais Djakapurra trouvait sa proposition bien étrange et l’homme ne lui plaisait guère. Il répondit :
— Une longue ficelle, c’est tout ce que tu as à offrir en échange du cœur de ma fille ?
L’homme sourit.
— C’est la ficelle de l’étoile du matin, l’étoile qui donne l’oubli. Chaque fois que tu te sentiras seul, il te suffira de tirer sur le bout de cette ficelle pour faire tomber l’étoile. Tu l’accrocheras dans ta maison et elle te baignera dans sa lumière apaisante.
Djakapurra sut à cet instant qu’il était face à un homme de grands pouvoirs. Il hésita à prendre la ficelle. Il vivait dans le regret de sa vie perdue et souffrait de l’absence de Kylie. Mais son dégoût pour l’homme fut plus fort que son désir d’oubli. Il laissa le cadeau et refusa de donner sa fille.
— Ce n’est pas assez ! dit-il.
Le lendemain, l’homme revint avec sa ficelle et un panier rempli de gibier, de baies et de champignons.
— Je n’utiliserai que le temps de chasse de ta fille et tu ne manqueras de rien. Ta fille sera heureuse, je te le promets, dit-il.
Mais Djakapurra refusa à nouveau.
— Je ne peux accepter d’être le seul privilégié dans ce village ! grogna-t-il.
Deux jours plus tard, l’homme revint. Il apportait sa ficelle et de la nourriture pour tout le village.
— J’aime ta fille, vieil homme. Pour la dernière fois, je te la demande en mariage. Si tu exauces mon vœu, tous les jours, toi et les tiens trouverez des victuailles en suffisance. Vous ne devrez plus jamais vous soucier de rien.
Mais le cœur des vieux pères peut être une tanière désertée. Djakapurra ne supportait tout simplement pas l’idée que sa fille s’occupe d’un autre que lui. Et puis l’homme était laid. Djakapurra ne trouvait plus d’autres arguments que celui-là pour justifier son refus obstiné, alors il finit par dire :
— Demandons à Tianna de choisir.
Il fit venir sa fille près de lui, il lui montra le vieil homme racorni et, certain qu’elle refuserait, lui demanda si elle voulait le prendre pour époux.


À son grand étonnement, Tianna répondit qu’elle le voulait. Elle lui trouvait cette majesté tortueuse des vieux arbres. Djakapurra n’eut pas le choix, il lui laissa sa fille.
— Qui es-tu ? demanda-t-il.
L’homme répondit :
— Mon nom est Koko-Bera, c’est tout ce que tu dois savoir. Je continuerai à chasser pour les tiens et à te couvrir de mes bienfaits. Mais ne cherche jamais à percer mon secret, sinon plus personne ne trouvera de cruche d’eau et de victuailles devant sa case. N’interroge pas ta fille, car si elle parle, je devrai disparaître…

Après son mariage, Tianna continua de faire ce qu’elle avait toujours fait : elle cuisinait, s’occupait de son père et suivait le soleil dans les plaines sauvages lorsqu’il tombait vers le couchant. Seulement le matin, quand son père attirait l’étoile à lui, elle se réfugiait en un lieu secret du bush pour rejoindre son mari. Ils avaient choisi un endroit éloigné du village, à l’abri des regards indiscrets. Nul ne savait où c’était ni ce qui s’y passait,

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