La sagesse de la panthère
245 pages
Français

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La sagesse de la panthère , livre ebook

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Description

A l'inventaire des raisons d'apprendre et de se cultiver, l'amitié, l'amour, la fidélité et la curiosité croisent le devoir et la nécessité. Qui étudie, obéissant à l'un ou l'autre motif, croît en science bien sûr, en sagacité d'ordinaire et parfois, aussi, en sagesse. Ainsi la panthère d'un fameux conte de Marcel Aymé, sûre de ce bénéfice-ci, jure de ne plus manger ni homme ni grande bête depuis qu'elle a appris la géographie... Traquant les motivations (essentielles ou annexes), les incidences (ordinaires ou insolites) et les contraintes de l'apprentissage, ces neuf nouvelles dressent un tendre portrait de ceux qui ont plaisir à savoir, à enseigner et à toujours s'instruire.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 décembre 2009
Nombre de lectures 30
EAN13 9782296930780
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La sagesse de la panthère
© L’Harmattan, 2009
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-10526-3
EAN : 9782296105263
Jacques Peter


La sagesse de la panthère


Nouvelles


L’Harmattan
À la mémoire de T.S.
Il est certain qu’au temps où je ne savais pas la géographie, tout ce qui tombait sous ma patte, homme ou bête, m’était bon à manger. Mais depuis ma rencontre avec le canard, il est là pour le dire, mon régime est celui des chats […] les bêtes de la ferme n’ont rien à redouter de moi.

La panthère dans Le canard et la panthère,
Les contes du chat perché – Marcel Aymé


Les principaux personnages de ces nouvelles sont préoccupés de leur savoir. L’usage qu’ils en font est varié et pour certains changeant ; leurs disciplines, aussi, sont diverses. On a néanmoins veillé, dans toutes les nouvelles, à l’exception de la sixième, à l’exactitude de toutes les allégations. Pour les quelques propositions dont la vérification ne serait pas aisée, on a rédigé de courtes notes ; leur lecture n’est jamais nécessaire à la compréhension des nouvelles.
Les destinées de Cahuachi
Cahuachi, samedi 16 Juin
T endre amour, alors que j’embarquais pour Lima et tandis que vous quittiez le hall, je sentis les griffures du déchirement monter à l’assaut de mon âme. Je tente depuis lors d’échapper aux affres de la solitude en me livrant tout entier à ma besogne. Le jour durant, je suis aux maxillaires, aux sphénoïdes, aux mandibules et aux zygomatiques. Le soir venu, cependant, je confie au papier quelques traces de ma journée : sensations, circonstances, impressions et choses vues… Mémoires d’un jour gardées de l’effacement.
Est-ce pour vous ? Est-ce pour moi ? Je relis ces feuillets aujourd’hui et des larmes viennent à mes yeux : ces notes, vos dilections les habitent, vos passions les animent. Elles étaient donc pour vous. Elles vous reviennent.
Lima, mardi 12 Juin
Toute notre équipe avait rendez-vous ce matin dans un modeste amphithéâtre de l’université de Lima. Sur les emplois du temps préparés par le professeur Duvergne figurait un créneau dédié à la « consolidation et [au] perfectionnement des connaissances ». Il s’avéra très vite que le professeur ne comptait que sur lui-même pour consolider et perfectionner, et ne créditait ses collègues que du désir de s’instruire en l’écoutant. Nous étions donc deux professeurs, six chargés de recherche et trois doctorants renvoyés aux souvenirs de nos études et sur les bancs de l’amphithéâtre… L’honnêteté incite à signaler aussitôt que monsieur Duvergne donnait un aperçu admirable de vingt-cinq années d’anthropologie et d’ethnologie nazcas. Sur le flanc occidental des Andes, au sud de l’actuel Pérou, le décor fut solidement campé. J’ajoute, comme je vous sais sensible à la poésie des noms étrangers : de Pisco à Arequipa et d’Ayacucho à l’océan Pacifique. Les subtilités de l’irrigation dans toute la vallée du Rio Grande de Nazca n’eurent bientôt plus de secret pour nous. Le professeur survola les champs de culture intensive puis fila vers les villages (démarche congruente à son sujet, puisque les Nazcas s’installaient à la frontière des terres irriguées et des déserts, ménageant tout l’espace possible pour les cultures qui les nourrissaient). Ayant esquissé les habitations de clayonnage et de chaume, monsieur Duvergne pouvait aborder les sujets les plus chers à son cœur : la description des produits culturels – tissus, céramiques et bijoux – et les liens qu’ils suggèrent avec les civilisations contemporaines.
À ce moment de la leçon, hélas, nous eûmes à déplorer un léger incident diplomatique : après deux heures trente de cours, le professeur Gosselin rangea ses affaires sans souci particulier de discrétion et se dirigea vers la porte. Il murmura à l’orateur quelques explications à base de « rendez-vous » et d’« engagement antérieur ». Le professeur Duvergne manifesta sa désapprobation d’une grimace assez malveillante, mais ne put que laisser son collègue s’éclipser.
Cette péripétie fut presque fatale à sa présentation des glyphes nazcas… Lignes tracées il y a quinze siècles sur d’immenses plateaux désertiques, en chassant les pierres sombres de dessus la terre claire et plâtreuse. Dessins énigmatiques préservés dans les solitudes désertiques par la faiblesse des vents et l’éloignement des hommes. Tracés si vastes, gravés dans un pays si plat que les Nazcas, sans doute, n’en eurent pas de vision d’ensemble. Figures altruistes en somme, au bénéfice de dieux mystérieux et célestes… Passablement troublé par la défection de monsieur Gosselin, le professeur Duvergne s’embrouilla entre hectomètres et kilomètres, s’empêtra dans les triangles, trapèzes et pentagones, et confondit pour finir le dessin du condor avec celui du colibri. Il ne se ressaisit qu’au moment de synthétiser les significations plausibles de ces tracés mystérieux : la discussion des hypothèses, astronomique, religieuse et géographique persuada l’assistance que la désertion d’un collègue était pour lui une plus rude épreuve que la synthèse d’articles éminemment ardus.
Quand le professeur en vint aux rites funéraires nazcas, mon regard s’évada de l’estrade et guetta celui de Pierre Moural. Mon sympathique collègue, distingué spécialiste de l’altération des os, semblait partager ma perplexité : la discussion à venir avait sûrement coûté au professeur plusieurs heures de labeur, alors que nous aurions pu extraire de nos archives une présentation d’égale qualité. Cette brillante synthèse à une voix de la culture nazca aurait d’ailleurs pu être remplacée toute entière par autant de courts exposés que la salle comptait d’auditeurs. Je soupçonnai un instant l’éminent Augustin Duvergne d’avoir voulu, par l’excellence de son cours magistral, asseoir son autorité sur notre petite troupe. Je me souvins que le professeur a accumulé, outre un nombre extraordinaire de publications, toute la kyrielle des petits honneurs de la carrière savante (des prix, des invitations et des titres, dont la renommée, à vrai dire, ne dépasse guère le cercle des anthropologues) mais n’a brigué aucune espèce de fonction de direction. La gloire seule, sans bâton de commandement, semble bien être son aiguillon… Et s’il avait entrepris ce marathon d’anthropologie nazca, c’était sans doute qu’il goûtait vraiment le supplément de cohérence et de vigueur qu’avait sa leçon, en regard d’une série d’exposés disparates.
Parvenu à ce point de ma divagation, je cherchai les raisons pour lesquelles il m’arrive d’abhorrer le professeur Duvergne. Je relevai la tête et constatai qu’il présentait devant moi mes tout derniers travaux ; je comptai cette entorse aux usages pour une première raison, puis ramenai magnanimement la peine à un demi-motif d’aversion. Poursuivant mes recherches, je me souvins que lorsqu’il me faisait l’honneur de sa visite, il m’entretenait exclusivement de problèmes de crânes, préférant les avis de Pierre pour le reste du squelette et, bien sûr, ceux d’autres collègues encore pour des sujets éloignés de notre spécialité. Fouillant encore les souvenirs de nos tête-à-tête, je me remémorai sa formule fétiche « bien évidemment, bien évidemment » ; apophtegme sans appel par lequel il sollicite, autant de fois que nécessaire, la référence à des travaux moins notoires ou d’abord plus difficile… J’avais finalement cerné ce qui me heurte si vivement : l’organisation de toute une vie suivant un principe bibliographique ; pour soi, accumuler les publications ; quant à ses collègues, les apprécier, les consulter suivant leurs publications. En tout et toujours, en somme, faire acceptation de publication.
Ayant consciencieusement instruit le procès du professeur Duvergne, je l’observai de nouveau, sur l’estrade. Il détaillait la préparation par les Nazcas de leurs fameuses têtes-trophées. Comme je m’honore de n’en rien ignorer, je m’autorisai à contempler Lima à travers les fenêtres embuées de notre amphithéâtre… Lima, les Andes, le Selvas, la Guyane, l’Océan, La Bretagne… et Saint-Malo… et vous ma tendre aimée ! Je me sentis aussitôt submergé par les tourments de l’absence. Préférant à vrai dire, au combat, la fuite, je me concentrai tout entier sur la leçon magistrale. Sachez qu’une préparation soignée consiste à couper juste au-dessus de la colonne vertébrale, dépecer, évider soigneusement, puis laisser sécher un à deux jours ; on peut alors élargir le foramen ma

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