Le dernier des Cargonautes
176 pages
Français

Le dernier des Cargonautes , livre ebook

-

176 pages
Français

Description

LE DERNIER DES CARGONAUTES SYLVAIN BEMBA LE DERNIER DES CARGONAUTES Editions L'Harmattan 5-7, rue de l~cole-Polytechnique 75005 Paris @ L'Harmattan, 1984 ISBN: 2-85802-345-X ISSN: 0223-9930 Dédié à un disparu, Janheiz Jahn,. en souvenir de notre seule rencontre' à Francfort-suT-Main le 29 septembre 1972, un an avant sa mort, et à Sony Labou Tansi, Philippe Makita et JeanBlaise Samba Bilombo. ce. que« On croit choisir librement d'être l'on est, mais on est en fait contraint de jouer un rôle, n'étant pas ce que l'on est; donc de jouer le rôle de ce qu'on est hors de soi. On n'est pas là où l'on veut, mais toujours là où l'on n'est que l'acteur de cet autre que l'on est. » Pierre KLOSSOWSKI PREMIÈRE PARTIE CHAPITRE PREMIER Il ne cessait de bâiller, mais s'obstinait à rester couché dans son lit. Se pelotonner contre le néant sans plus penser à rien... Au diable cette nouvelle journée, et les emmerdements qu'elle apporterait peutêtre. Il refusait de toutes ses forces de regarder en face quelque chose d'irritant. Qu'on lui fiche la paix, le temps qu'il racle les dernières miettes du festin nocturne. Il avait mal dormi, très mal, et enviait les personnes capables de sortir du sommeil en retrouvant instantanément leurs esprits et leur bonne humeur. Jean Mung'Undu se comparait plutôt à ces voyageuses qui ne se déplaçaient qu'ensevelies sous une pile d'ustensiles divers, ignorant ainsi l'expression «sans encombre».

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Informations

Publié par
Date de parution 01 juin 1992
Nombre de lectures 40
EAN13 9782296305892
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

LE DERNIER
DES CARGONAUTESSYLVAIN BEMBA
LE DERNIER
DES CARGONAUTES
Editions L'Harmattan
5-7, rue de l~cole-Polytechnique
75005 Paris@ L'Harmattan, 1984
ISBN: 2-85802-345-X
ISSN: 0223-9930Dédié à un disparu, Janheiz Jahn,.
en souvenir de notre seule rencontre'
à Francfort-suT-Main le 29 septembre
1972, un an avant sa mort, et à Sony
Labou Tansi, Philippe Makita et
JeanBlaise Samba Bilombo.ce. que« On croit choisir librement d'être
l'on est, mais on est en fait contraint de jouer
un rôle, n'étant pas ce que l'on est; donc
de jouer le rôle de ce qu'on est hors de
soi. On n'est pas là où l'on veut, mais
toujours là où l'on n'est que l'acteur de cet
autre que l'on est. »
Pierre KLOSSOWSKIPREMIÈRE PARTIECHAPITRE PREMIER
Il ne cessait de bâiller, mais s'obstinait à rester
couché dans son lit. Se pelotonner contre le néant
sans plus penser à rien... Au diable cette nouvelle
journée, et les emmerdements qu'elle apporterait
peutêtre. Il refusait de toutes ses forces de regarder en
face quelque chose d'irritant. Qu'on lui fiche la paix,
le temps qu'il racle les dernières miettes du festin
nocturne. Il avait mal dormi, très mal, et enviait les
personnes capables de sortir du sommeil en retrouvant
instantanément leurs esprits et leur bonne humeur. Jean
Mung'Undu se comparait plutôt à ces voyageuses qui
ne se déplaçaient qu'ensevelies sous une pile
d'ustensiles divers, ignorant ainsi l'expression «sans
encombre». Enfin la partie mal réveillée de son être
se décida à quitter le lit, tirant du même coup sa
sœur jumelle endormie. Le vif emmenant tant bien
que malle mort, Mung'Undu s'enferma dans le cabinet
de toilette. TI prit un verre d'eau pour se rincer la
bouche. Il voulait se débarrasser rapidement de tous
les mauvais rêves et de leur arrière-goût nauséeux.
Long restait néanmoins le chemin à faire avant
d'arriver au bout du couloir du réveil, nombreux les
obstacles à écarter à coups de machette comme dans
une sorte de jungle.
Petit à petit, les choses reprirent formes et couleurs
autour de lui. Le mille-pattes courait vivement sur
13ses dents bien plantées. Le miroir lui renvoya l'image
d'un homme qui portait gaillardement la cinquantaine.
D'ailleurs, son coiffeur préféré ne manquait jamais
de lui confirmer, contre un substantiel pourboire, qu'il
ne portait pas encore un seul cheveu blanc. Il se disait
avec satisfaction qu'il était bien le fils de son père,
une variété de bois de fer sauvage que les coups de
hache du temps n'entamaient qu'avec difficulté. Nu
sous la douche qui coulait avec une violence
bienfaisante, Mung'Undu retrouvait toute sa lucidité. Il
s'enveloppa finalement dans un peignoir rouge vif, et
termina sa toilette avec sa méticulosité coutumière. Il
examina d'un air critique la silhouette qui lui
apparaissait de pied en cap dans la grande glace murale.
Un soupir lui échappa quand il constata qu'il
s'arrondissait de plus en plus. Ah! que la vie est injuste;
on ne se refuse aucun plaisir et on finit par le payer
d'une manière ou d'une autre. J'ai beau me boucher
les oreilles, c'est sûr que celui qui frappe à la porte
comme un forcené, c'est l'âge. Comme saute un
bouchon de champagne, plusieurs soupirs lui échappèrent,
faisant remonter d'un seul coup à la surface ses
rancœurs enfouies la veille.
...
L'incident avait éclaté au cours du repas du soir.
Chez Mung'Undu, la maisonnée obéissait à un rite
immuable. L'on s'attablait à treize heures, puis à
vingt heures sous l'œil impassible de la vieille et fidèle
horloge qui avait vu naître tous les enfants, et
provoqué leur premier émerveillement avec les apparitions
chantantes, ponctuelles de son petit oiseau sorcier.
L'étudiant était arrivé en retard, faisant vrombir
longuement le moteur de son étincelante monture. Le
14centaure botté, casqué, très ange de l'enfer avec son
blouson en cuir marron (mais pour qui se prend-il
celui-là avec cette jugulaire qui lui fait un menton de
terroriste de troisième catégorie? Il n'y a pas à dire,
l'aîné Emmanuel ne manque pas d'allure mais le
regard sombre de papa ne présage rien d'amusant),
vint prendre place avec le sans-gêne du cow-boy des
temps modernes traînant autour de lui une subtile
odeur d'huile et d'essence. Pas le moindre soupçon de
bonjour, pas un seul regard amène ni à gauche, ni à
droite. Il se servit copieusement et montra un appétit
de cannibale.
- Qu'est-ce qu'on vous apprend donc à
l'université? tonna le père, incapable de retenir plus
longtemps son exaspération. On ne connaît plus les bonnes
manières, on rentre à la maison quand on veut, on fait
ce qu'on veut, hein?
Temps d'orage. Marthe ne s'y habituerait jamais,
bien que le couple eût fêté dernièrement ses noces
d'argent. Chaque éclair dans les yeux de son mari,
chaque mot plus haut que l'autre dans la bouche de
son maître faisaient renaître ses frayeurs. Elle n'osait
plus regarder son fils aîné.
- On sort avec les filles, on nous a déjà fait un
gros scandale avec celle d'un magistrat, et ça ne suffit
pas? Il m'a fallu pratiquement aller baiser la mule
de de de... de ce haut personnage pour étouffer cette
affaire, et tu continues la java! Parce qu'on a déjà
l'âge de la majorité, on se croit tout permis, n'est-ce
pas? Ici, c'est moi qui commande, et tu pourrais
répondre, Emmanuel, nom d'Dieu! quand ton père
te parle!
La voix s'enflait et roulait au-dessus d'un plafond
lambrissé supportant un lustre assez imposant.
Inca15pable de réprimer le tremblement de ses mains, Marthe
déposa cuiller et fourchette qui firent un bruit de
tonnerre sur les rebords de son assiette. Cependant, le
tam-tam de guerre continuait. Toute la salle à manger
vacillait à présent sous le souffle de la tornade.
Troussant haut leurs pagnes, les paroles du père se crêpaient
le chignons à qui mieux mieux. Son autorité ayant
paru insuffisante entre-temps pour faire office de
rabatteuse en ramenant le fils prodigue à portée de fusil,
Jean Mung'Undu sautait avec une joie féroce sur
l'occasion tant attendue de dompter la seule bête rétive du
troupeau. Va-t-il s'arrêter enfin, disait l'épouse qui,
sous les assauts répétés du vent, sentait balancer
furieusement sa fibre maternelle, ainsi sont faits les hommes
une fois lancés et ce défaut, mon mari l'attribue
généralement à nous autres les femmes, il va finir par
énerver le petit avec toute cette morale des messes du
dimanche. Emmanuel ne bronchait pas, il en avait
vu d'autres. Il regardait son père comme un être à
part, un des premiers représentants du gotha local,
ancien élève de l'Institut des Hautes Etudes
d'OutreMer d'où il devait ramener le titre tant envié
d'Administrateur des Services Administratifs et Financiers, les
SAF comme il disait lui-même avec une pointe de
vanité, les SAF qui constituaient alors la carrière par
excellence pour une élite occupant le sommet d'une
pyramide sociale à la base de laquelle pataugeait
dans les marais de la médiocrité la cohorte grisâtre
des besogneux sans ambition, des routiers blasés
chaussant les bottes éculées de la bonne vieille routine. A
son retour de Paris, Jean Mung'Undu avait servi en
qualité de préfet dans une circonscription d'où lui
parvinrent, quelques années plus tard, les nouvelles du
changement radical de paysage politique qui venait de
se produire à Saint-Denis, la capitale. Quelques mois
16après, il fut rappelé au siège de l'administration
centrale, plus précisément à la direction nationale des
Affaires territoriales. Un beau rêve venait de se briser
pour l'ancien fonctionnaire de commandement qui ne
séparait pas dans son esprit les privilèges attachés à
ses précédentes fonctions et le prestige de son grade;
même s'il conservait normalement celui-ci, il ne se
remit jamais de la perte de celles-là, illustrée par sa
relégation dans ce que l'on appelait le cimetière des
anciens commandants.
- J'entends que ta conduite change

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