Le rivage des vivants
131 pages
Français

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Le rivage des vivants , livre ebook

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Description

S'il n'avait pas sauvé un vieillard suicidaire, rien n'aurait sans doute changé à la vie de troglodyte de Tobias, le personnage principal de ce livre. Voici, en quelque sorte, un roman d'apprentissage. Le parcours initiatique d'un grand solitaire qui va apprendre entre autres, presque malgré lui, l'amitié : "Et il était dans ma vie comme l'inimaginable et nous étions cette fraternité qui manque au monde."

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 décembre 2010
Nombre de lectures 221
EAN13 9782296699397
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le Rivage des Vivants
 
 
© L’H armattan, 2010
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris
 
Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
 
http://www.librairieharmattan.com  
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
 
ISBN : 978-2-296-11917-8
EAN : 9782296119178
Michelle Tochet
 
 
Le Rivage des Vivants
 
 
Roman
 
 
L'H armattan
 
Du même auteur
 
Nouvelles
 
Monde Sauvage , L'Harmattan, Paris, 2004.
 
Le plus sage en ce monde immense est le plus ivre.
Victor Hugo
 
À Dorothée Rambaud
 
En remerciement à Catherine Claeys et Monique Tochet
 
1
 
J e l'ai trouvé.
 
Imaginez le Vidourle en ces temps, pour s’y prendre l’eau en plein, il faut le vouloir vraiment.
C’est cette mauvaise volonté des suicidés, qui vous mettent de la mort là où on ne l’imaginerait pas. C’est des trouvailles de détraqués. En cette saison, la rivière n’est pratiquement faite que de sable. On y jetterait une ligne, les poissons se dépêcheraient d’y croire.
La nuit c’est joli encore ; des reflets de lumière semés là et là sur les flaques, des regrets de morceaux d’étoiles sous la lune. Il a dû vouloir cela tout à lui, à la brune, la lune, pour qu’il lui reste du beau à la fin. Pauvre vieux. Remarque, on ne sait pas qui il est. Les flics l’ont examiné, et les pompiers nous ont embarqués. Ça s’est fait comme cela.
Il porte une marque jaune sur la joue, reste d’une ancienne bataille, comme si on l’avait frappé très fort, une gifle magistrale. Sinon, il a le visage sage, ramassé, et sourit comme si l’eau lui avait raconté quelque chose de drôle et qu’il lui restait cette trace. Il est vivant, il n’y a pas. Et est-ce que l’on aurait pu le trouver, lui qui s’était acharné à se mettre au plus sombre, là près du pont ? C’est un bon sourire. Peut-être l’a-t-il attendu longtemps celui-là, jusqu’à espérer que la mort vienne débarrasser un ménage que font certains d’eux-mêmes, à se dire en trop, comme si la terre leur apparaissait si étroite et qu’ils boucheraient la vue du monde. Avec cet orgueil de se prendre pour inutiles, et à vouloir dans le fond rester vainqueurs. Il en faut de la gamberge pour savoir ce qui est nécessaire ou non.
La police a dit qu’il n’était pas saoul. Ils y vont vite pour cette fois. Sans doute parce que le suicide c’est la poisse. On pense que l’on ne pourra jamais s’en décoller. J’ai pourtant le sentiment qu’il n’est pas nécessaire d’avoir bu beaucoup pour décider de la mort.
 
Il est dans le coma. Une chance que je prenne ce chemin de sable et d’eau, sinon, le pauvre vieux c’était macchabée comme il voulait. Je ne sais pas s’il se réveillera, surtout si personne ne se souvient de lui. On ne sait pas combien la mémoire des autres aide à vivre. Ce n’est pas suffisant, les médecins. Il faut que quelqu’un vous rende au monde… je crois. J’en suis même convaincu.
Le vieux, il souriait parce qu’il allait partir. Peut-être des tas de morceaux de lui-même avaient déjà basculé au noir, à la mort, à l’aveugle de la vie. Et moi je l’ai dérangé.
Je n’ai jamais aimé ça, le tri du malheur, jusqu’à se pendre et le reste. On ne nous a rien demandé pour croire qu’il est l’heure, alors que voilà, devant, le temps qu‘il nous reste. Je n’ai jamais aimé le gaspillage. On a bien tous le malheur qui nous traque, tous plus ou moins taraudés. Il n’est pas plus vrai le malheur de ceux qui se donnent la mort. Ils s’échappent. Ainsi certains lâchent les rames et trouent la coque.
 
Les médecins ne me laissent pas encore entrer dans la chambre, mais personne ne m’a chassé. Je dis « J’ai repêché le noyé… » et ils repartent. Pas plus de questions, comme la police. Si j’avais l’intention de ne pas regagner mes pierres, ce soir, c’était tout trouvé. Je suis passé aux lavabos pour vérifier mon allure et qu’ils ne me croient pas de la rue, ne sachent rien de mon trou. Peut-être que c’est une chance cet homme ? L’aubaine que je ne demande pas.
Et comment un homme embourbé peut-il filer autre chose que le mal de vivre ? Et là, je suis servi. Pire, il s’y jetait au malheur. J’allais pas le laisser, aux béatitudes, la tête dans un verre d’eau jusqu’au Jugement dernier. La partie n’était pas terminée. Et il croyait l’abandonner parce qu’il n’avait plus de jeu ? Comme si c’était suffisant. Il se disait : je suis maudit. J’ai levé la malédiction de celui qui n’y croyait pas. On ne s’enfonce pas dans la part d’eau qui reste de la rivière, là où personne ne connaît votre nom, ni les poissons et il n’y en a guère pour qu’il vous vienne du paradis.
Les suicidés, ça me plaît d’imaginer qu’on les met en haut, avec de la brume. Et c’est ni bleu, ni noir. Pour qu’ils sachent qu’ils entraînent avec eux l’absence, paralysent les vivants qui leur étaient attachés. Ils pointent du doigt les pauvres troufions qui continuent, acharnés jusqu’à cet hôpital. Il doit y en avoir, ailleurs dans d’autres chambres, de ceux qui se battent pour vivre, accrochés, piqués de partout, avec les choses qu’on leur donne pour avoir moins mal. Et ils prennent tout. Et ils attendent que cela revienne. Ce sont ceux qui guettent, à force.
Des gamins qui viennent de mourir, alors qu’ils étaient là. Le Vidourle, ils l’auraient traversé sur la tête, si on leur avait dit oui.
Je ne sais même pas pourquoi je m’énerve ce soir.
Il faudrait qu’ils voient la décomposition, la face horrible du pendu ou du noyé, la tête éclatée du tueur. Si mes parents n’étaient pas morts dans un accident, je ne vivrais peut-être pas dans un trou. Qu’importe, ça date et je n’ai pas pleuré. Trop grand ou trop petit pour être malheureux. Reste seulement une certaine tristesse, infinie.
Il fait bien chaud. Il y a de la lumière et des gens passent, des gens qui attendent, comme moi. C’est comme l’essentiel d’une nuit qui ne sera jamais entièrement douce, jamais tout à fait simple. C’est ici même qu’on le sait. C’est bien quand il fait nuit dehors, comme si j’avais là toute la place pour moi. Pour un soir.
 
– Est-ce que je peux rester à côté de mon ami ?
Je me suis retrouvé dans un fauteuil, auprès du lit, avec les accoudoirs en aluminium et juste une veilleuse allumée. Le vieux avait gardé son sourire et il est percé au bras. Il donne l’impression de dormir. Moi, mes yeux tombent de fatigue. Il ne restera pas longtemps dans le coma, je le sens. J’aime bien cette chambre. J’ai l’impression d’être en excursion. L’infirmière est passée et jusqu’à demain la nuit pourra finir. Dedans, je vois mon reflet dans la vitre, le grand fond noir du ciel emmêlé de lumière, comme s’il entrait dans la chambre. Le vieux est là. J’entends cette respiration qu’il me doit. Basta !
Souvent, je passe des nuits à attendre quelque chose qui ne viendra jamais, juste au bord de mon trou de la rive du Vidourle. Je suis là, à bord, à regarder tous les lampions du trottoir d’en face qui fait l’autre berge. À me demander si on s’amuse là-bas plus que dans ma solitude. Une seule fois on m’a invité, comme pour avoir son pauvre sur soi. C’était un homme de la ville. Je ne lui ai trouvé aucune conversation et moi aussi à l’aise qu’un goujon ensablé.
Je n’ai jamais imaginé que l’on puisse se faire un ami. Pourquoi aurais-je choisi d’être si seul ? Le travail, les enfants, les hobbies, ce sont des univers que je ne calcule pas, une addition vide de chiffres. On n’en tient pas d’ami, quand on est ballotté entre adoption et famille d’accueil. Et en sortant, à la majorité, on est jeté dans la vie. Il reste tout à réinventer. Je n’ai jamais livré de combat, celui qui dirait qu’il y a trop de désespoir ; sinon j’aurais déjà cherché à faire comme lui.
J’aimerais dormir, si cette histoire ne me tournait pas la tête, à

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