Les histoires extraordinaires de mon grand-père : Alsace
104 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Les histoires extraordinaires de mon grand-père : Alsace , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
104 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Les histoires extraordinaires de mon grand-père : Alsace - Rares sont les ouvrages qui vont chercher ce qui se cache derrière cette terre d'anciens clichés et histoires de veillées. Or cette vieille province d'Alsace, possède bien d'autres trésors, bien d'autres richesses, un patrimoine oral particulièrement original et varié, transmis de génération depuis ces temps que l'on dit "immémoriaux" ici racontés avec talent et humour par mon Grand-père. Ce sont des histoires, à faire sourire, à faire peur, mais surtout à faire rêver... que nous racontaient nos grands-pères, et nos pères avant eux.


Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 17 janvier 2013
Nombre de lectures 195
EAN13 9782365729932
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0064€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le kouglof de Jerri Meyer


Le pâtissier d’Allerdingsheim était célèbre pour ses kouglofs. La devanture de sa boutique, surmontée de moules en terre émaillée affirmait depuis trente ans sa prééminence artisanale.
Ses affaires florissantes lui laissaient peu de loisirs mais cela ne l’affectait nullement, car il aimait passionnément son métier. Ses enfants avaient déserté depuis longtemps le toit familial et sa femme se chargeait de la vente. Jerri Meyer était un homme heureux qui n’aurait jamais songé à une autre vie que celle qu’il menait depuis son retour du service militaire il y a bien longtemps.

Un soir que Jerri avait achevé sa fournée plus tôt que d’habitude, l’envie le prit de faire le tour du village pour se détendre. Il s’apprêtait à éteindre l’éclairage de son laboratoire quand il s’aperçut qu’il avait égaré ses clés. Il eut beau chercher pendant un bon quart d’heure, il ne retrouva pas le trousseau. Il ferma donc la porte de l’intérieur et passa par le magasin. Il prit dans le tiroir de la caisse la clé de la porte d’entrée, sortit par la rue et referma la porte de verre derrière lui.

Le lendemain matin, l’esprit absorbé par la perte de ses clés, Jerri reprit sa recherche dans le laboratoire. Avant de se remettre au travail, il inspecta les cinq postes de travail un par un, contrôla le four, les machines, vérifia le stock, ouvrit les armoires, passa en revue les étagères. Rien. Renonçant à perdre son temps à cette recherche infructueuse, il allait déplier son programme de production de la matinée quand il s’aperçut qu’une moitié de gâteau se trouvait sur le plan de travail. Aurait-on oublié de déposer le kouglof dans la chambre froide ? Jerri prit la feuille de papier pliée en quatre que l’on avait glissée sous le gâteau.
« Ton kuglof est seulement à moitié excellent. »

La journée s’annonçait délicate. Jerri s’assit sur l’unique chaise du laboratoire, passa la main dans ses cheveux et resta un long moment, tête baissée, à observer les motifs du carrelage.
Pourquoi ce message ? Il relut le billet, sans comprendre qui pouvait bien l’avoir déposé là. Et pourquoi lui avait-on retourné une moitié de kouglof ? En admettant que celui-ci avait bien été acheté dans sa pâtisserie… Les questions se bousculaient dans sa tête.
Quand arriva le premier commis, il ne trouva pas l’énergie nécessaire pour se lever et feindre que tout allait bien. L’abattement de son patron n’échappa pas au jeune homme dont le visage s’assombrit tout à coup, tandis qu’il extrayait des sacs plastiques d’une armoire métallique.
– C’est quoi ce kouglof ?
– Je ne sais pas, moi…
– Moi non plus.
– Je suis parti avant vous hier soir et j’avais tout rangé…
– Dis tout de suite…
– Non, patron, mais je ne sais pas d’où il vient, c’est tout, mais c’est pas
grave, on va le ranger…
– Et le billet ?
– Quel billet ?
– Le billet-là, que quelqu’un a posé à côté ?
– Qu’es-ce qu’il y a de marqué dessus ?
– Numme quatsch ! Des conneries !
– Qui a fait ça ?
– ’n Dermel !
À une heure de l’après-midi, après la fermeture, Jerri s’enferma avec sa femme dans le petit office où elle rangeait ses carnets de commande et d’achats. Elle l’écouta et lui assura qu’elle n’était pour rien à ce qu’il prenait maintenant pour une farce insipide et très irritante.
– Je suis partie avant toi, hier soir. Ce ne serait pas un commis qui a voulu te faire une blague ?
– Tu parles d’une blague !
– Tu as demandé à Hans,
– Bien sûr. Les autres sont en congé aujourd’hui. Il ne sait rien. Ah !
– Ne t’énerve pas, c’est sans importance.
– Je veux savoir, c’est tout !
Les jours passèrent dans la pâtisserie d’Allerdingsheim. La femme de Jerri surveillait, sans rien laisser paraître, tous ceux qui lui achetaient un kouglof, c’est-à-dire une bonne vingtaine de clients par jour, surtout en ce moment. Elle ne releva aucune attitude particulière, personne qu’elle pût soupçonner d’être l’auteur du billet.
Ce n’était pourtant pas faute d’inciter les clients à s’exprimer sur le kouglof.
– Notre kouglof a beaucoup de succès, vous le servez comment ? questionnait-elle.
Ou alors elle plaisantait, selon l’humeur de la cliente.
– Pas besoin d’avoir faim : un kouglof comme ça se mange tout seul ! C’est une véritable Leckerbessa.
Elle n’apprit rien qui permette de résoudre l’énigme qui affligeait son époux. Les fidèles de la boutique s’étonnèrent des bavardages de la pâtissière, habituellement si peu diserte.
Quelques jours plus tard, Jerri arriva dans son laboratoire accompagné du serrurier.
– Verdommi ! jura-t-il, voyant sur le plan de travail que l’on avait déposé de nouveau un kouglof entamé. Il s’en approcha et se hâta de lire le billet coincé entre la plaque du moule et le gâteau. Il en reconnaissait l’écriture aux jambages arrondis et démesurés, comme ceux d’une jeune fille folle, pensa-t-il. « Demain, c’est le grand jour ».
Jerri Meyer se tourna vers le serrurier qui, entre temps, s’était mis à examiner la porte arrière.
– Je ne peux pas vous la remplacer de suite. Il faut que je la commande, c’est une serrure spéciale. En attendant, je peux vous dupliquer la clé. Vous en avez une de réserve ?
– Oui, celle de ma femme.
Jerri fit signe au serrurier de se diriger vers la boutique et lui emboîta le pas.
L’homme revint en début de soirée avec deux copies de la clé du laboratoire. Tout n’était pas résolu pour autant. Quelqu’un avait pénétré par deux fois dans son laboratoire.
– Je vais passer la nuit ici. J’ai un matelas pneumatique et un duvet. Je vais attendre d’r Schuft, d’r Soihund qui a fait ça !
Cela n’était pas pour rassurer la pâtissière qui hésitait à le laisser seul dans cet état. Mais elle se dit qu’elle passerait une fois dans la nuit avec son frère pour remonter le moral de son veilleur de mari.
Jerri tint bon jusqu’à deux heures du matin. Mais toutes ces émotions l’avaient fatigué et il s’endormit. Vers quatre heures du matin, son beau-frère cogna sur la porte.
– C’est moi, Franz, esch ben es ! Tout va bien ?
Jerri marmonna quelques mots qui rassurèrent Franz. Le mauvais plaisant n’était pas encore passé. Il fallait attendre. Franz repartit informer sa sœur. Jerri se rendormit.
La lumière du jour fit briller les murs clairs et les meubles métalliques du laboratoire. Encore enveloppé dans son duvet, Jerri se hissa à la force des bras pour voir si un nouveau kuglof se trouvait sur le plan de travail. Il ressemblait à une grosse chrysalide. Bouffi de mauvais sommeil, il dut admettre qu’il aurait mieux fait de dormir dans son lit.
Il se leva et fit sa toilette dans l’évier de la plonge et entra dans la boutique au moment où sa femme y arrivait par la rue.
– Un jetz ?
– Rien.
– Tu te fais des idées, Jerri. Abandonne !
Hébété, le pâtissier vit venir ses commis, leur expliqua le programme de la journée et se mit lui-même à l’ouvrage. En début d’après-midi, alors qu’il préparait une fournée de bretzels, sa femme poussa violemment la porte du laboratoire.
– Regarde, Jerri. Je suis sûre qu’elle est là ?
– Quoi ?
– La clé !
– Quelle clé ?
– Celle de la porte de derrière. Celle qu’on nous a volée… Une petite fille vient de me rapporter ce kuglof en disant que son père l’a trouvé trop dur. Trop dur. Tu te rends compte ? Trop dur, ça veut dire quoi ça, trop dur ?
La femme du pâtissier plongea sa petite main dans le gâteau, nerveusement, comme si elle plongeait ses griffes dans un corps pour en arracher le cœur.
– Les voilà, tes clés !
-…

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents