Les médusés
188 pages
Français

Les médusés , livre ebook

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188 pages
Français

Description

Voici un récit fort édifiant sur le fantasme exacerbé que nourrit la jeunesse pour l'émigration. L'Espagne ici est l'eldorado que convoite Yoro, jeune Peul téméraire. Des histoires d'amour, d'orgueil, de jeunesse, de conflit de générations, de tensions et de désespoir rythment le récit ; et une question inéluctable le couronne : suicide ou courage de la jeunesse ?

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Informations

Publié par
Date de parution 01 octobre 2013
Nombre de lectures 15
EAN13 9782336325583
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Souleymane Condé
Les médusés Roman
Les Médusés
SOULEYMANECONDÉLes Médusés
© L'HARMATTAN, 2013 5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Parishttp://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-99576-5 EAN : 9782995765
1.
Dalifort, quartier populaire de la banlieue dakaroise, est plongé dans les ténèbres, car la lune, assiégée par un amas de nuages sombres et épais, arrivait à peine à éclairer la cime des arbres. Ainsi, la nuit noire avait triomphé des êtres et des choses et pas une âme n’osait braver l’obscurité. Seul le vent, libre et intrépide, circulait en toute liberté entre les ruelles sablonneuses et désertes. Doux et léger, il caressait les feuilles des arbres, faisait vaciller les rideaux des fenêtres ouvertes, puis pénétrait dans les chambres pour bercer leurs occupants endormis après une journée de dur labeur.
Oncle Hamidou était parmi ceux-ci. Il dormait en ronflant bruyamment ; quant à Yoro Kâ, son neveu venu seulement depuis quelques jours de Linguère, il n’arrivait pas du tout à fermer l’œil. Alors, pour tuer le temps, il se mit à écouter la musique du vent et à essayer de déchiffrer tout bruit qui troublait la quiétude de la nuit. Tour à tour, il distingua d’abord le bruit des chauves-souris qui s’agitaient sur le touffu badamier de la concession voisine, ensuite le hennissement strident d’un cheval au repos et enfin, le ronronnement du moteur d’un véhicule sur la toute proche route nationale 1.
Après ces quelques perturbations nocturnes, le silence redevint le maître des lieux. Alors, Yoro fit remonter son esprit dans le temps jusqu’au mois d’avril dernier, il y a deux mois de cela, lorsqu’il rencontra Grand Matar. Ce dernier, drapé dans un joli grand boubou bleu ciel, était venu ce jour-là dans son village pour prospecter, disait-il, avant d’acheter des moutons qu’il voulait revendre à l’occasion de la Tabaski, ou la fête du
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SOULEYMANECONDÉmouton. Au cours des salamalecs, lorsqu’il déclara qu’il venait de M’bour, une grande ville de pêche située sur la petite côte sénégalaise, Yoro se rappela qu’il ne put s’empêcher de lui demander par simple curiosité : « Est-ce vrai, comme cela se dit partout dans le village, que des jeunes ont pu rejoindre l’Espagne en partant de M’bour ? — Bien sûr ! lui répondit Grand Matar. C’est plus que possible avec nos pirogues. D’ailleurs, j’en connais beaucoup qui actuellement sont en Espagne et vivent dans de très bonnes conditions. — Comment se passe le voyage alors ? questionna Yoro, devenu subitement curieux et fort excité. — Il n’est dangereux que de nom ! répondit prestement Grand Matar. Les jeunes prennent des embarcations conçues spécialement pour la haute mer. Ce sont de véritables petits bateaux où ils sont à l’aise et ont à leur disposition tout ce qu’il leur faut. — Et pourquoi y a-t-il autant de morts ? interrogea Yoro. — Des morts ! répéta Grand Matar d’un air surpris. Dans les rares cas où il y en a, ce sont des décès en cours de route à la suite d’une crise cardiaque, mais non par noyade. — Ah bon ! fit Yoro d’un air ahuri. — Mais oui ! s’exclama Grand Matar sur un ton rassurant. Hormis les pêcheurs, rares sont les individus capables de ne pas mourir de peur lors d’une traversée de l’océan en pleine nuit noire. — Cela doit être terrible ! dit Yoro stupéfait. — Horrible ! pesta Grand Matar. Le lourd bruissement des vagues et du vent peut faire éclater la poitrine de n’importe quelle personne non aguerrie. Mais bon ! Celui qui parvient à tenir le coup assurera son entrée au paradis, je veux dire son entrée en Espagne, pays où il fera fortune en moins d’une année.
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Les Médusés — Cela me tente, s’écria Yoro. Je suis le plus fougueux parmi les jeunes de ce village. — Fougueux ! répéta avec ironie Grand Matar. Dans ce cas qu’attends-tu pour défier l’océan ? — Parce que je ne connais pas ceux qui organisent ces voyages. — Et si tu en connaissais un ? murmura Grand Matar. — Alors, je serai prêt à consentir à tout sacrifice ! Pourvu que je puisse quitter ce pays. » Plus que convaincu de l’engouement et de la conviction de Yoro, une excitation subite s’empara de Grand Matar. Alors, il enleva son bonnet noir pour s’en servir comme éventail. Une fois le visage aéré, il sortit un mouchoir de la poche du devant de son grand boubou et le passa délicatement sur ses joues. Son visage, si jovial auparavant, changea d’aspect pour devenir subitement solennel et sévère. Il attira Yoro vers lui comme pour l’embrasser et lui chuchota à l’oreille : « J’en suis un et je cherche des candidats. » Quand il le relâcha, Yoro comprit les vraies raisons de la présence de cet homme qui tenait amicalement ses bras, car dès le début, il avait un brin de soupçon quant aux réelles motivations de cet inconnu venu très tôt dans le village pour, disait-il, prospecter ou acheter des moutons alors que ce n’était point la période. Cependant, il oublia vite les incohérences de la présence de celui-ci, car la phrase glissée au creux de son oreille avait déjà fait son effet. Ce qui lui importait désormais, c’était son destin qui lui faisait face. Alors, son cœur se mit à battre très fort, non pas parce qu’il avait peur ou parce qu’il était emporté dans une sorte de frénésie, mais parce qu’il avait longtemps attendu ce moment, cette heure de vérité, ce jour où il devait entrer dans la légende de son village, comme étant celui qui avait su sortir tous ses parents de la pauvreté et de la misère. C’est pourquoi, fixant Grand Matar du regard, il lui lança sur un ton aussi sérieux qu’enthousiasmé : « Tu ne quitteras pas ce village sans moi !
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