Les perles noires de Gorée
149 pages
Français

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Les perles noires de Gorée , livre ebook

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Description

"Les Blancs ne savent pas bien s'orienter d'après les points cardinaux", dit le jeune Malik à l'étranger venu se perdre dans l'île de Gorée. Ces dix nouvelles témoignent de leur trouble en terre africaine. Et pas seulement face aux points cardinaux. Loin des histoires de lions et de tout exotisme de pacotille, elles content la rencontre difficile, ancrée dans le quotidien, entre des mondes différents, des trajectoires personnelles que rien ne prédisposait à se croiser, des illusions dissemblables qui ne peuvent mener qu'au malentendu.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 2009
Nombre de lectures 261
EAN13 9782296929531
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Les perles noires de Gorée
Ecrire l’Afrique
Collection dirigée par Denis Pryen


Dernières parutions

Ilyas Ahmed Ali, Le miroir déformant, histoires extraordinaires, 2009.
Boika TEDANGA Ipota Bembela, Le Destin d’Esisi, 2009.
Patrick-Serge BOUTSINDI, L’homme qui avait trahi Moimgali, 2009.
Ludovic FALANDRY, Sawaba. Une vie volée, 2009.
Jimmy LOVE, Les Émigrants , 2009.
Mamadou Dramane TRAORE, Les soupirs du baobab, 2009.
Abdoul Goudoussi DIALLO, Un Africain en Laponie, 2009.
Simplice IBOUANGA, Au pays des tyrans, 2009.
Oumar Sivory DOUMBOUYA, Chronique d’un retour en Guinée , 2009.
Yvonne OUATTARA et Jean-Luc POULIQUEN, En souvenir de L’Arbre à palabres. Lettres de France et du Burkina Faso , 2009.
Alexis KALUNGA, Mes frères, pourquoi vous me faites ça ?, 2009.
Brigitte BERTONCELLO, avec la collaboration de Thomas Samba SARR, Du Sénégal à Marseille. Migration réussie d’un gentleman rasta, 2009.
Bazoumana OUATTARA, Le sacrement constitutionnel, 2009.
Colette LANSON, Professeur Béatrice Aguessy. Une vie de femme (s), 2009.
Bertrand LEMBEZAT, Palabres en pays kirdi, 2009.
Viviane MPOZAGARA, Ghetto de riches, ghetto de pauvres, 2009.
Pascal DA POTO, Mort héroïque, 2009.
Mahmoud BEN SAÏD, La Guinée en marche. Mémoires inédits d’un changement. Volume 2, 2009.
Aboubacar Eros SISSOKO, Une enfance avec Biram au Mali, 2008.
Bellarmin MOUTSINGA, La Malédiction de la Côte, 2008.
Daniel GRODOS, Niamey post, 2008. Kamdem SOUOP, La danse des maux, 2008.
N’do CISSE, L’équipée des toreros, 2008.
Daniel Grodos


Les perles noires de Gorée

Nouvelles
Ouvrages du même auteur

Lithographies de l’Eifel et de l’Ahr avec dédicace au Kronprinz, roman, Le Cri, Bruxelles, 1993.

Le district sanitaire urbain en Afrique subsaharienne. Enjeux, pratiques et politiques, essai, Karthala, Paris, 2004.

Niamey Post. Lettres du Niger 2001-2004, L’Harmattan, Paris, 2008.


© L’Harmattan, 2009
5-7, rue de l’Ecole polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairiehannattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-09880-0
EAN : 9782296098800

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
En mémoire de René Tonglet
Le soldat et la mer
Le soleil rougeaud de Cotonou dégringole dans l’harmattan. Les moustiques réapparaissent.
Seule envie ce soir : me débarrasser des moiteurs de la journée sous la brise du littoral.
Accroché aux épaules de mon zémidjan, je fais le tour de la Place des Martyrs, où les héritiers du Dahomey, soldats et paysans, poitrail fier, main sur le fusil, main sur la machette, surplombent, hiératiques, la puanteur bleue des gaz d’échappement. Leur regard minéral brave à travers la cohue les mercenaires de Bob Denard tentant le coup de force dans ce pays perdu. Il y a bientôt vingt ans. La pétarade tournoie par-devant et par-dessous le monument. Elle convainc sans peine que la déroute des baroudeurs à la peau blanche parsemée de taches de rousseur, aux deltoïdes épais tannés par les coups de soleil, mâchonnant du chewing-gum, le regard brouillé par l’alcool, était inéluctable.
Prendre quelques photos. Me baigner dans l’océan.
Les bords de l’Atlantique, on m’a prévenu de leurs dangers. Vols à la tire, agressions au couteau. Sans compter les noyades. Mais, comme tous les jours de la semaine, la plage est quasi déserte. Il n’y a ce soir qu’un jeune Africain debout au bord de la dune plate, à portée de voix, là où le sable commence à s’humidifier, garde la trace du poids des corps. Le rivage s’étire rectiligne jusqu’à l’horizon, l’océan ronchonne, l’air est doux, la lumière de décembre un peu laiteuse.
J’ôte ma chemise, arme le Minolta et zoome vers l’homme. Il doit avoir un peu plus de vingt ans. Difficile à dire. Il est grand. Sec. Il regarde la mer. Il porte un uniforme militaire.
Une main en poche, une jambe un peu fléchie. Le contre-jour souligne l’arête du nez, droite, les lèvres entrouvertes, l’éclat des incisives. Non, pas l’éclat de ses incisives, le zoom n’est pas assez puissant. Le cliché pris, j’enroule chemise et short autour de l’appareil, pose le tout sur mes sandales et m’avance vers les vagues. Le soldat, c’est certain, a dû m’apercevoir. Il n’a pas détourné la tête.
Il n’y a pas de barre, l’eau est claire et tiède. Les vagues me fouettent, je goûte le sel, touche le fond, perds l’équilibre, me méfie du large, reprends pied, essuie l’eau qui pique les yeux. Le soldat est loin, comme s’il s’était reculé. Pourtant il n’a pas bougé, ni changé d’attitude. Je repars sur le dos.
Le soleil devient mat, couleur de pêche, on peut le regarder en face. La nuit va tomber. Je nage encore, me laisse couler, émerge ; un poisson saute à deux pas de moi. Le soldat tourne les talons et s’en va vers la dune. Après la dune, il y a des rangées de cocotiers, un terrain vague, puis l’avenue. Je plonge, lutte contre la marée, cherche une assise qui se dérobe, et sors de l’eau, essoufflé. J’enfile mes vêtements à même la peau mouillée. Il faut rejoindre le soldat qui s’éloigne à lentes enjambées. L’idée m’en est venue bien plus tôt, quand j’ai douté des performances du Minolta – l’éclat de l’émail des dents.
Je n’ai jamais vu un Noir rester seul, sans un geste, sans motif, à regarder la mer. En uniforme. Les plages sont des lieux d’aisance, de jeu ou de drague, de racket, de pique-nique, de travail.
Je m’éloigne de l’océan comme un voleur, presse le pas. Je ne suis pas sûr de parler au soldat, il va s’effaroucher si je l’accoste.
Bonsoir.
Il tourne la tête.
Bonsoir.
Nous marchons côte à côte. Pas pesants dans la dune molle. Je porte mes sandales à la main, lui est en brodequins. Rien n’a suivi le bonsoir. Ni curiosité ni étonnement. Deux types quittent la plage, rentrent à la caserne, un Noir et un Blanc. Je dis : « Ce sont les gens tristes qui regardent la mer tout seuls ».
Il s’arrête. Il me regarde. S’esclaffe : « Non, je ne suis pas triste. Vous êtes photographe ? »
Je ne réponds pas. Il reprend sa marche et son allure ralentit. Il passe les pouces sous son ceinturon.
Mais la mer a quelque chose d’étrange.
Vraiment ?
Ça bouge tout le temps.
Je cherche ses yeux mais il regarde devant lui.
Tu es poète ?
Ça bouge tout le temps et ça n’a pas de fin.
Il insiste sur les mots, comme si je n’avais pas compris. Tout le temps. Ça bouge. Sa voix réprime un peu de surprise.
Je te dis que tu es poète.
Eh ! Qu’est-ce que ça veut dire ? Pourquoi les Blancs, ils mettent toujours des noms ? Tout le monde peut être poète, ou bien ? Mais Dieu, vraiment…
Pris de court, je cherche encore ses yeux. En vain. Son profil est sévère, son air plus grave qu’à travers les lentilles de l’objectif.
Ça bouge tout le temps, dis-tu. Et Dieu, quoi Dieu ?
Dieu, vraiment, il est très fort !
Je frotte le sable séché sur mes cuisses.
Tu as vu Dieu ce soir ?
Il se tait. Nous avançons vers la ville et l’air redevient lourd. Le sable mêlé à la poussière se fait collant et noircit mes pieds nus.
Vraiment très, très fort…
Tu habites Cotonou ?
Non, je suis militaire.
Tu es né où ?
Je ne comprends pas le nom du village. Chacun reste toujours de son village. Ça doit être dans le nord.
Et tu es caserné à Cotonou ?
Le soldat fait des signes de la tête. Oui, non.
Je suis de la garde présidentielle.
De service à la plage ?
Aujourd’hui, nous avons congé.
Il y a longtemps que tu es dans la garde ?
Oh ! Longtemps, plusieurs années. Déjà du temps de Kérékou. Vous voyez ? Longtemps, longtemps. Et vous, vous êtes touriste ?
Pourquoi tu dis ça ?
Parce qu’en semaine seuls les touristes se baignent ici. Ils n’écoutent pas ce qu’on leur dit.
Je suis venu pour la route qu’on va réparer vers Parakou.
Alors, vous n’êtes pas photographe.
Non, ce n’est pas mon métier.
Ah ! Les routes, c’est bien.
Je secoue et rechausse mes sandales. Il s’arrête pour m’attendre.
Il y a donc des militaires philosophes ?

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