Les Petites histoires de la vieille : Pyrénées
108 pages
Français

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Les Petites histoires de la vieille : Pyrénées , livre ebook

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Description

Les Petites histoires de la vieille : Pyrénées - Rares sont les ouvrages qui vont chercher ce qui se cache derrière cette terre de cartes postales. Or notre vieux terroir possède bien des trésors, bien des légendes. Personne ne sait où habite « La Vieille », mais elle accepte de raconter à Pierre-Jean BRASSAC les vieilles histoires transmises de génération en génération. Des histoires bien malicieuses que seule La vieille pouvait nous restituer. Ces histoires vont vous faire sourire, vous faire peur, et vous faire rêver... C’est une émotion de la simple réalité qui vous est proposée c’est l’homme d’hier et l’homme contemporain qui vous sont rapportés dans ces nouvelles de terroir.


Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 27 décembre 2012
Nombre de lectures 10
EAN13 9782365729802
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La roche qui guérissait

Depuis le village de la Vieille, un étroit sentier conduisait au sommet de Peyre Bono. Très emprunté par la population des environs, il l’était également par tous ceux qui avaient entendu parler des vertus thérapeutiques de la Roche de Cure. Certains venaient de très loin et se trouvaient parfois obligés de passer la nuit à l’auberge du village. Ce sentier décrivait un large demi-cercle qui évitait la Roche, comme si les marcheurs devaient ne pas s’en approcher de trop près.
Quand on avait dépassé cet endroit, on entamait une montée de quelques minutes vers un petit plateau fort agréable où une administration avait l’intention de construire une colonie de vacances destinée aux enfants de ses employés. Cela déplaisait à beaucoup, tandis que d’autres – les commerçants et les élus locaux – voyaient dans la perspective de ce chantier une source de revenus supplémentaires dont le village avait bien besoin.
C’est l’Arlésienne, cette colonie de vacances, ironisait le maire quand on lui demandait des nouvelles du projet.
Il complétait, la prunelle malicieuse.
Hé, c’est vrai… On en parle, on en parle, on l’espère et on ne la voit jamais.
Aussi haute qu’un petit immeuble de quatre ou cinq étages, la Roche de Cure était le lieu de prédilection d’une certaine madame Gangneux. Celle-ci s’y rendait plusieurs fois par semaine en compagnie de tel ou tel villageois souffrant de maux que la médecine traditionnelle ne parvenait pas à guérir. Elle insistait sur le fait qu’elle n’était pas guérisseuse mais intermédiaire. En chemin, elle interrogeait ses patients avec insistance et savait toujours quelle vie ils menaient et de quoi ils souffraient avant d’atteindre la Roche de Cure. Nul ne résistait à ses questions. Ceux qui avaient cheminé ainsi avec elle s’étonnaient de la facilité avec laquelle ils s’étaient confiés à elle sans le vouloir. Ce faisant, madame Gangneux savait tout de tout le monde. « Tout et même davantage » aimait-elle à plaisanter. Mais il y avait bien sûr un fond de vérité : ce qu’elle ignorait sur quelqu’un, elle l’inventait promptement avant de le raconter au village.
Ces derniers jours, madame Gangneux était montée à la Roche avec un malade du foie, qui allait probablement mourir d’une cirrhose, puis avec un jeune homme au visage ravagé par l’acné, avec une jeune femme que sa stérilité désespérait et avec un vieillard voûté qui souhaitait plus que tout retrouver son aplomb. Pour sa rémunération, elle s’en remettait à la générosité de ceux qu’elle accompagnait, recevant tantôt des dons en nature – poulets, fruits, vins ou étoffes – tantôt en petites coupures qu’elle rangeait dans une valise en carton, sous son armoire à linge.
Son art consistait à identifier, sur les faces de la Roche, la forme qui correspondait le mieux au mal en présence. Elle connaissait chaque centimètre carré de pierre et pouvait dire, rien qu’en palpant, quel mal il pouvait guérir. À celui qui se plaignait de graves troubles hépatiques, elle conseilla de plonger son visage dans une étroite cavité en faisant semblant de boire.
Tu es malade d’avoir trop bu. Maintenant tu vas avaler le vide. Et ce vide éliminera tout ce que tu as bu en trop.
Avec la jeune femme stérile, elle utilisa une méthode déjà bien rôdée.
Enlève ta culotte et frotte-toi contre la roche.
Elle désigna une protubérance minérale qui évoquait de loin un sexe masculin.
Ça va me faire mal.
Mais non ! Tu n’as qu’à penser à ton époux et te dire qu’il est fort comme un roc et qu’un enfant va naître en toi, robuste comme la pierre.
Très impressionnées par le rituel, les patientes se montraient plutôt soumises.
Quant au jeune homme à l’acné, elle l’invita à passer une nuit entière « avec la Roche pour oreiller », lui montrant par où il pouvait grimper jusqu’à son sommet et dormir, comme dans un lit, une joue, puis l’autre, puis le front contre la pierre.
Le vieil homme eut droit à une démonstration.
Tu t’adosses contre la Roche et tu étends les bras sur la pierre au-dessus de ta tête. Ta voûte entrera dans la Roche et tu auras un dos tout plat.
Un soir, alors qu’elle rentrait au village en compagnie d’un employé de banque énurétique et d’un politicien bègue qu’elle venait de soumettre aux radiations bénéfiques de la Roche, une villageoise courut tout essoufflée à sa rencontre.
Ça y est ! C’est d’accord pour la colonie de vacances. Ils ont signé !
Enfin !
Et même qu’ils vont faire une route, fini le sentier !
Cette dernière remarque déplut à madame Gangneux. Que l’on construise au-delà de la Roche de Cure lui était indifférent, pourvu bien sûr que l’on ne touche pas à sa chère Roche qui était aussi son gagne-pain.
Une route ? Mais pour quoi faire ?
Ben, pour monter à la colonie. Et ils font faire sauter la Roche…
Mon Dieu ! Non, ce n’est pas vrai. Ils ne feront jamais ça : notre Roche est trop précieuse.
Nous on le sait, mais eux…
Madame Gangneux rentra chez elle dans un état de surexcitation nerveuse qui faisait peine à voir à tous ceux qui connaissaient son amour de la Roche de Cure et des environs.
Le lendemain matin, déjà, la place du village se changea en aire de stationnement pour engins de travaux publics. Leur masse jaune et orange défigurait les abords de l’église. Le délicat jardin public disparut complètement derrière un bureau de chantier préfabriqué.
Madame Gangneux vint se rendre compte par elle-même. Elle tenait surtout à s’assurer que l’on ne toucherait pas à sa Roche de Cure. Mais rien n’était moins sûr. Elle demanda un entretien avec le maire, mais il venait de partir pour Saint-Girons.
En fin d’après-midi, un jeune qu’elle avait chargé d’observer les allées venues des ouvriers, enfonça la sonnette jusqu’à ce qu’elle lui ouvre.
Ça va, je suis pas sourde. Que se passe-t-il ?
La Roche Cure… C’est comme vous avez dit, ils vont la faire sauter. Ils ont une camionnette remplie de dynamite.
Bon ! Alors il faut la faire sauter ?
Quoi la Roche ?
Non, gros bêta ! La camionnette !
Vous vous rendez pas compte…
Oh que si ! Si tu ne veux pas le faire, je le ferai moi-même.
Vous allez faire sauter tout le village !
Si on m’y oblige, je n’hésiterai pas.
Les intentions de la guérisseuse n’étant pas restées secrètes, les responsables du chantier décidèrent d’accélérer les préparatifs et lancèrent les bulldozers sur le sentier en direction de la Roche de Cure. Des camions remplis de matériel purent ainsi monter jusque sur les lieux du futur chantier. La camionnette d’explosifs fut prudemment garée là où les explosifs devaient servir, c’est-à-dire au pied de la Roche.
Ce soir-là, madame Gangneux éprouva le besoin de renouer avec deux de ses anciens amoureux, auxquels elle rendit visite en hâte.
Il faut que tu m’aides, Louis, dit-elle au premier. Nous ne pouvons pas les laisser faire. Ils veulent détruire notre Roche, te rends-tu compte ? Ce serait un grand malheur si cela arrivait.
À l’autre, elle expliqua qu’elle ferait sauter la camionnette d’explosifs et qu’elle désirait se présence de mâle costaud, pour la protéger des risques encourus.
Les deux hommes acceptèrent chacun de leur côté, non sans souligner que cela ne servirait probablement pas à grand-chose, car ils reviendraient évidemment avec un nouveau chargement d’explosifs si elle faisait sauter celui-ci.
Un coup de tonnerre assourdissant réveilla le village en pleine nuit. Aucune créature vivante, humaine ou animale, n’y échappa. Peu de vitres résistèrent à la formidable déflagration.
En fin de matinée, gendarmes et enquêteurs privés étant venus constater les ravages, le chef de chantier revint sur les lieux suivi d’une nouvelle camionnette d’explosifs. Il rassembla ses ouvriers, les prit à témoin de l’agression perpétrée contre eux.
Ce village nous en veut, les gars ! Il se meurt et nous lui apportons la vie. Mais cela ne fait rien : il préfère crever ! N’attendons pas plus longtemps. Je vous interdis d’aider à nettoyer ce village comme son maire nous l’a demandé. Faisons sauter cette roche qui nous barre la route. Et tout de suite !
À peine le contremaître avait-il parlé, qu’une pluie diluvienne s’abattit sur la vallée, grossissant le torrent et forçant chacun à se mettre à l’abri en espérant que son toit, sa remise ou son préfabriqué tienne.
Il plut pendant toute une semaine. Madame Gangneux considéra que sa bonne fortune lui octroyait un répit destiné à une réflexion plus poussée quant aux formes de sa résistance.
Les abords de la Roche de Cure, se changèrent en étang et il fallut attendre une bonne quinzaine de jours avant que les ouvriers

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