Ne me cherchez pas
144 pages
Français

Ne me cherchez pas , livre ebook

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144 pages
Français

Description

L'auteur livre ici un roman qui met en scène l'histoire d'un homme confronté au hasard. En effet, flânant dans une librairie, il trouve un journal intime dont la lecture provoque en lui un sentiment d'amour unilatéral. Ce livre permet de comprendre toute la magie des émotions et décrit cet embarras de se sentir parfois incapable de déchiffrer le spectacle de l'inconnu.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 2012
Nombre de lectures 72
EAN13 9782296502512
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Ne me cherchez pas
Amarante Cette collection est consacrée aux textes de création littéraire contemporaine francophone. Elle accueille les œuvres de fiction (romans et recueils de nouvelles) ainsi que des essais littéraires et quelques récits intimistes.
La liste des parutions, avec une courte présentation du contenu des ouvrages, peut être consultée sur le site www.harmattan.fr
Jean-Philippe Kempf Ne me cherchez pas Roman
© L’Harmattan, 2012 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-57031-3 EAN: 9782296570313
Fragment 1
 Je n'ai jamais su pourquoi, au milieu de cet amas de livres imbriqués sur d'innombrables rayonnages d’étagères percées, déchaussées, j'avais fini par comprendre, ou plutôt ressentir, qu'il se passait quelque chose d’étrange, de troublant. Je ne me souviens plus exactement de ce jour, j’étais dans une librairie, au milieu de milliers d’ouvrages comme des fleurets mouchetés, tous pointés vers le bas. Des écrits que je venais parcourir pour éprouver, dans ces moments de découvertes, des pensées indignées, une certaine jouissance dans les récits, des instants de joie qui pouvaient m’enflammer au milieu d’une vie devenue préoccupante. Je ne voyais jamais l’ensemble de ces livres comme une masse informe, mais comme un flot d'énergie en apesanteur. Une forêt singulière, un univers de vertus cardinales, de faisceaux de sensibilité. Je suis venu tardivement à la lecture. Lorsque je fus débarrassé des obligations que mes études m’imposaient, je pus accéder à des portes qui s’ouvraient sur des étendues étonnantes. J’y trouvais un équilibre, une confiance presque vertigineuse. Je considérais ces navigations imaginaires comme une des activités les plus épanouissantes. À lire Styron, et sa littérature vérace, Javier Marias, pour ses secrets, Paul Zumthor grand médiéviste pour ses apports à la pensée critique d’aujourd’hui, les philosophes, Adorno, Gunther Anders, Hannah Arendt, leurs essais souvent ardus, leurs pensées éclairantes, j’entrais comme dans une œuvre d’art. Ainsi, les moments où tout semblait perdu pouvaient prendre un tournant jubilatoire. Je pouvais enfin être rasséréné pendant de longues heures. Les livres, peuplant mes insomnies, m’aidaient à passer de bonnes nuits. Je ne lisais pas avec autant de facilité dans ma chambre que dans les
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librairies. Je suis sensible aux ambiances. Prises par d’imprévisibles intrigues, emportées dans le mouvement d’une pensée, mes lectures pouvaient me transporter vers les secrets de mondes plus étendus encore que je ne pouvais l'imaginer.  C’était une fin d’après-midi d’un jour de printemps désenchanté. Je me trouvais derrière la grande baie vitrée de la devanture pleine de livres. Le soleil tapait et il faisait si chaud que je déboutonnai ma veste de lin. L’ouvrage que je venais de prendre entre mes mains explorait les symptômes d’un mal qui pouvait mener certains hommes à un terrible pouvoir de destruction. Il s’agissait d’un récit de combats contre des victimes expiatoires, boucs émissaires au cœur d’un chaos annoncé. L’auteur décrivait des héros avec une fine intelligence, des personnages privilégiant la force plutôt que la flamme, des guerriers aux convictions inflexibles, bouleversés devant le sang. Le sens et la vérité n’étaient pas les mêmes pour tous. Avaient-ils seulement la même consolation miraculeuse d'être encore en vie ? Une guerre donne toujours aux événements de l’Histoire un air d'imposture.
 Je ne pouvais pas acheter tous les livres, et même si j’étais moins tributaire de mes rigoureuses servitudes budgétaires, il restait la question de la place. Il y avait plus d’espace dans le petit trois-pièces depuis le départ de Violetta. Réfugié dans le goût des choses de l’esprit, malheureux, je ne pensais qu’à la misère sexuelle dans laquelle cette rupture me plongeait, qu’aux irritantes odeurs de pizzas froides et de chagrin qui régnaient dans ce que je pensais être, il n’y a pas si longtemps encore, un petit paradis.  J’étais maintenant dans la salle du fond de cette librairie, au milieu d’un monceau d'ouvrages qui venaient de paraître sur la crise mondiale de la première décennie
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d’un siècle mutant. J’en feuilletais deux ou trois qui traitaient remarquablement de l’indignation générale des hommes face au système bancaire verrouillé de l’intérieur, une forteresse planétaire froide et implacable. Une indignation montante face aux stratégies de profits de sangsues qui n’engendrent que souffrances, humiliations, manipulations, facéties, dans les impostures du pouvoir de leur suprématie écrasante et ô combien contestable. Je n’étais pas loin de penser comme certains auteurs qu’il faudrait extirper ces gens, ces infâmes infectés de déraison, d'orgueil, d’arrogance, de bêtise, d'ignorance, de mensonge et des pires bassesses, couper certains arbres des forêts où ils se croyaient à l’abri, dresser des potences sur les places publiques et les pendre haut et court. Bon nombre de gens s’indignaient, étaient profondément affectés par cet ordre des choses plus fort encore que la raison. Bon nombre de gens assistaient impuissants à la construction du système financier dont les conséquences désastreuses finissent par être comme la neige quand elle recouvre le monde. Il était aujourd’hui plongé dans un incommensurable hiver où les voix des hommes inquiets restaient pour la plupart enfouies dans le silence de cet épais manteau de glace. La menace de révoltes rendait une certaine énergie à ce monde perdu dans l’intranquillité, où la précarité cohabitait avec la douleur, se mêlait même. Il me revenait à la mémoire la première phrase du livre de Günther AndersL'obsolescence de l’hommeParce: « qu’on avait tranché au-dessus de nos têtes » avec en exergue cet extrait paru dans la presse – comme il le dit – « Les condamnées à mort peuvent décider librement s’ils veulent, pour leur dernier repas, que les haricots leur soient servis sucrés ou salés. » Sur une étagère, devant moi, les œuvres de Sade. Je pris le premier volume,Les 120 journées de Sodome et je lis : « Les guerres considérables que Louis XIV eut à soutenir
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pendant le cours de son règne, en épuisant les finances de l’État et les facultés du peuple, trouvèrent pourtant le secret d’enrichir une énorme quantité de ces sangsues toujours à l’affût des calamités publiques qu’ils font naître au lieu d’apaiser, et cela pour être à même d’en profiter avec plus d’avantages. » La plupart des traders d’aujourd’hui, dans le dérangement de leur esprit enclin à vénérer l’argent sacré, n’ont aucune vision d’un monde qu’ils plongent dans l’abîme, obnubilés par cette idée fixe d'amasser des profits indécents. Comme le dit remarquablement Edmond Jabès, le livre sert à éclairer l’avenir.  S’en remettre aux livres, à la raison, aux rêves, aux corps des femmes, aux mouvements de l’esprit permettait de se détourner d’apparences construites. Ce faste donnait la possibilité de traverser l’existence en repoussant la cupidité et la folie. Dans un miroir grandiose, les reflets de quelques clients me distrayaient de ce que j’étais venu chercher : une lecture, ou plutôt une relecture d’un ouvrage qui m’avait bouleversé, mais dont j’avais perdu le titre. Je n’en avais retenu qu’un style d’une grande pureté où il était raconté comment un être tentait de survivre face aux écarts croissants entre les pulsions de son corps et ses pensées passionnelles. Il y avait dans cette œuvre une clef. Comme je finis par interroger le vendeur, je ne fus pas étonné de l’entendre me répondre que, sans titre, sans auteur, il lui serait difficile de m’indiquer un ouvrage. Alors, avec un certain détachement, je n’hésitai pas à lui confier – car je n’aurais pas voulu qu’il pût s’imaginer à quel point cela me concernait – qu’il s’agissait d’une histoire — et je n’osai dire irrationnelle, je dis conflictuelle — entre deux êtres que tout semble séparer. Il me répondit que, dans la violence de notre monde, sa précarité, la perte d’influence de l’homme lui-même et sur lui-même, de grands auteurs
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s'attelaient à comprendre ce qui demeurait la première préoccupation des gens. Et comme il voyait leSade que j’avais dans les mains, il ajouta que rarement fut éprouvée l’absence de limites jusqu’au renversement de l’être. Il s’était adressé à moi de sorte que j’eus le sentiment qu’il pourrait deviner mes secrets. En face de lui, bien en face, je le regardais comme il me regardait. Nous aurions disposé d’un autre lien, nous aurions été amis, je lui aurais dit sur-le-champ que je voulais savoir comment allait être la vie de Violetta, sa vie sans moi, désormais, et ma vie sans elle. Notre histoire venait de prendre fin, et ma question était suppliante, parce que j’avais toujours supposé, sans jamais la mettre en doute, que sa vie auprès de moi était la meilleure chose pour elle et que pour moi, ailleurs, serait forcément pire. Je le remerciai et tournai la tête.
 Il y avait dans mes attitudes la volonté farouche de cacher un mal par la désinvolture, l’inconstance. Quand auprès d’une femme, un sentiment d’abandon me submergeait, je versais dans les déloyautés en inventant. Je travestissais ma propre histoire, m’arrangeant pour que les faits soient invérifiables, leurs sources évanouies dans l’énigme absolue de secrets. Sans que je donne à ce que l’on s'apitoie sur mon sort, on me consolait. La compassion me permettait de confesser d’autres fautes intrigantes. Il y avait dans ces récits, des manœuvres, des complots, toutes sortes de cabales, de conjurations, des calculs. Mes récits étaient à plusieurs niveaux, mais empreints souvent de banalités que je travestissais pour les rendre intrigantes. Ce n’était ni mensonge ni fiction, une posture sans cesse remaniée dans l’idée qu’un jour je serais conforme à l’idéal que souhaitait mon père. Mes chroniques tissaient des artifices, et tout ce processus fonctionnait parce que j’avais choisi la bienveillance
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plutôt que la colère pour répondre à la brutalité du monde. Vu mon physique fade, banal, sans charisme particulier, cette vertu me permettrait d’attirer l’attention des femmes. Tout près d’elles, cette bonne conscience imaginaire que j’affichais d’emblée était — j’ose le croire — à l’origine de mes modestes succès.  C’était un soir, chez des amis où nous allions fêter l’anniversaire de l’un d’entre eux. Nous étions dans un appartement situé au onzième étage d’une tour à la périphérie nord de Paris. Il faisait froid. J’étais accompagné d’une jeune femme qui, quand elle parlait, s’exprimait par proverbes interposés, des dictons qui raillaient cruellement. La désinvolture et ses pauvres aphorismes dénotaient une perception du monde douteuse, sans assise, dans le déni de l’Histoire, de la nôtre aussi. Durant notre relation qui ne devait durer que six mois quinze jours et sept heures, je ne l’entendis jamais tenir un discours propre. C’est en descendant de voiture que je la vis partir devant moi, sans me prêter la moindre attention. Ma présence lui était dangereusement troublante. Mes passions, mes emballements dans les plaisirs charnels l’effrayaient. Il y avait fort longtemps du reste que nous avions renoncé à nous étreindre pour éviter de soulever ses sarcasmes sur le sexe. Il y avait entre elle est moi une frontière de sensible que je ne franchirais plus, et si je devais revenir dans ses bras, c’était en la contournant. L'ascenseur nous conduisit directement au sommet de la tour. Au moment où nous pénétrions dans l’appartement, à l’instant où nous saluâmes nos amis, j’eus une intuition fugitive.  Au fond du petit salon, il y avait une estrade surélevée où était dressée une table tout en longueur avec toute sorte de bonnes choses à manger et à boire. Devant ce petit buffet appétissant, je m’étais déjà attelé à ôter la peau d’un saucisson quand une main de femme glissa sous
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