Sans le tain des miroirs
222 pages
Français

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Sans le tain des miroirs , livre ebook

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Description

Sans leur tain, les miroirs ne nous renverraient plus notre image invariable et, en quelque sorte, prisonnière d'elle-même. Des possibilités insoupçonnées, oubliées ou cachées de nos consciences se révéleraient peut-être. Le héros de Vlod se multiplie dans des simulacres lui permettant de différer longtemps une évidence cruelle. D'autres personnages cherchent à se soustraire à ces reflets inattendus et peu confortables d'eux-mêmes. Grâce à eux, une jeune femme se découvre une identité improbable, mais plus satisfaisante que celle que les événements voudraient lui imposer. Le héros de Môsa y puisera enfin une justification.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 octobre 2009
Nombre de lectures 47
EAN13 9782296678033
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0850€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Sans le tain des miroirs
 
Du même auteur
 
 
Roman
 
La Nuit Vécue, Editions Elzevir, Paris, 2008
 
Gérard Freitag
 
 
Sans le tain des miroirs
 
 
Récits
 
 
L'Harmattan
 
 
 
© L'Harmattan, 2009
5-7, rue de l'École polytechnique, 75005 Paris
 
Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
 
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattanl@wanadoo.fr
 
ISBN : 978-2-296-09061-3
EAN : 9782296090613
 
Mais s'il y a un sens du réel, et personne ne doutera qu'il ait son droit à l'existence, il doit bien y avoir quelque chose que l'on pourrait appeler le sens du possible.
L'homme qui en est doué, par exemple, ne dira pas : ici s'est produite, va se produire, doit se produire telle ou telle chose ; mais il imaginera : ici pourrait, devrait se produire telle ou telle chose ; et quand on lui dit d'une chose qu'elle est comme elle est, il pense qu'elle pourrait aussi bien être autre.
 
Robert Musil, L'Homme sans qualités . Traduction de Philippe Jaccottet.
 
VLOD
 
I
 
L es libellules tournaient au-dessus de l'étang, sans discontinuer.
 
Ce n'étaient pas, à vrai dire, des cercles qu'elles décrivaient : leurs vols, constitués d'une succession de trajectoires brusquement déviées, ne se refermaient qu'en orbes très approximatifs.
Et c'était encore plus compliqué que cela. Au ras de l'eau volaient les espèces les plus petites, de jolies libellules aux corps bleus, aux ailes transparentes, d'une sveltesse presque extraordinaire. Mais, au-dessus de ce pailletage lumineux et furtif, passait le vol plus dégagé, presque irascible, d'insectes bien plus grands.
C'était l'automne. L'air avait retrouvé sa limpidité. Ce qui l'avait rendu épais et sirupeux aux jours de forte chaleur semblait s'être condensé dans le jet coloré des insectes qui sillonnaient l'espace.
 
Que l'automne eût succédé à l'été se remarquait d'ailleurs à bien d'autres indices, à ce frémissement léger qui animait, par exemple, la surface de l'eau. Cela non plus n'existait pas avant. Ce n'était qu'à la fin de l'été que l'on retrouvait ce frisson. Un oiseau d'eau s'y ébattait parfois, montrait l'envers éclatant de ses ailes. Et, derrière tout cela, dans les allées ou le long des lisières, on sentait que les feuilles se mettraient à jaunir bientôt.
 
Un promeneur suivait la berge enherbée du plan d'eau. C'était ainsi qu'il voyait les choses.
Il les voyait ainsi mais elles, comment le voyaient-elles ? Quel aspect avait-il dans les yeux globuleux d'un Anax empereur, dans celui d'une grande Aeschne bleue ? Combien de fois l'insecte recevait-il l'image de quelqu'un qui avait mis un manteau bien trop tôt en saison ? Par moments, dans ses vertigineuses glissades, toute une pluie d'hommes précautionneux devait venir s'agrandir tout à coup.
Il se posait quelquefois ces sortes de questions.
Il contourna l'étang et se trouva bientôt dans une grande allée. Entre les troncs, le soleil oblique engendrait çà et là des contreforts lumineux.
 
Le premier enclos se trouvait au bout de la double rangée d'arbres.
Ses occupants, un couple de chameaux, ne lui accordèrent pas la moindre attention. La chamelle il devina que c'était la chamelle à sa douceur résignée resta placidement couchée. Le mâle, beaucoup plus imposant, arpentait son espace à grandes enjambées. Et la rudesse de son pas semblait investie d'une rage superbe et continue.
Il entreprit toutefois un geste amical, son esquisse tout au moins et, faute de trouver mieux, fit claquer la langue.
Il ne suscita rien.
Un moment seulement le regard de l'animal abrupt passa auprès de lui, mais ce fut avec l'impassibilité d'un phare en train de prospecter la nuit.
Il s'éloigna alors du champ d'indifférence crée par le chameau.
 
L'enclos suivant n'était d'ailleurs qu'à quelques pas et, du plus loin qu'elle le vit, la harde de daims blancs se tourna vers lui.
Il y avait dans une absence aussi complète du souci mimétique un fait bien déroutant. En ne tenant plus compte de ses lois chromatiques, les daims semblaient avoir pour toujours quitté le monde des réalités et ses contingences cruelles.
Quand il se fut approché du grillage, plusieurs bêtes se détachèrent du troupeau et vinrent à lui. Il passa deux doigts dans les mailles du grillage et, aussitôt, un museau rose et tiède vint les flairer.
Et, à nouveau, il se posa la question : quelle image de lui un daim blanc laissait-il pénétrer dans la vaste apathie de son champ perceptif ?
Il n'attendait pas de réponse.
Il avait passé l'âge où l'on a ce besoin. Peut-être même toujours à cause de cet âge et du gisement mort d'exigences désavouées que celui-ci supposait était-il convaincu que, dans toute réponse, il n'entre presque rien de ce que l'on cherche à savoir. Ce n'était donc pas une véritable question qu'il s'adressait ainsi. Il s'agissait surtout d'une sorte d'expédient, d'un procédé commode pour supposer une image de lui en dehors de lui-même.
Après s'être approchés, les daims languides s'éloignaient à nouveau. L'un après l'autre leurs museaux roses, sans odorat peut-être, s'étaient détournés. D'ailleurs il y avait un moment qu'il n'accordait plus aux bêtes qu'une attention distraite.
 
Un peu plus loin, le long du grillage et de biais par rapport à lui, une jeune femme suivait aussi la harde des yeux. Elle tenait un enfant par la main. Mais de son autre bras, elle venait d'esquisser un mouvement en direction des bêtes. Et ce geste lui avait paru tout à fait surprenant, beaucoup trop éloquent pour pouvoir passer inaperçu.
Il regarda la jeune femme s'éloigner. Elle s'aventura vers ce qui semblait être un massif de grandes fleurs roses, mouvantes et flexueuses. Et, de nouveau, en montrant à l'enfant les flamants de Cuba, elle eut ce geste, lui aussi flexueux.
Il se tint à distance.
Il savait que jamais il n'avait su apprécier de près la beauté des flamants. Ce n'était que de loin qu'il pouvait voir que tous ne composaient qu'une grande corolle au-dessus de laquelle (comme un mouvement continu d'étamines) passaient de longs cous roses et extatiques.
 
Pourtant, au bout de peu de temps, il perdit la jeune femme de vue. Il est vrai qu'il lui avait semblé les voir entrer, elle et l'enfant, dans l'un des bâtiments qui prolongeaient l'allée. Mais il n'en avait aucune certitude.
Il se dirigea pourtant de ce côté, poussa une porte à battant, entra dans une sorte de long vestibule carrelé. À l'autre extrémité, il voyait la porte de sortie. Mais, dans la lumière tamisée, épaissie de reflets, il ne distingua pas les deux silhouettes espérées.
 
La première bête qu'il vit fut un caïman du Nil. Il se tenait à demi-immergé, figé dans une immobilité de mort. L'enflure de la panse, les colorations verdâtres qui veinaient celle-ci semblaient d'ailleurs déployer sur le corps de la bête des signes ostensibles de putréfaction. Mais quatre points ténus, cerclés de plis d'eau, les narines et les yeux, le rattachaient sournoisement au monde des vivants.
Au caïman succédait une colonie d'escargots gigantesques et qui pondaient des œufs gros comme ceux d'un oiseau.
Un peu plus loin venaient des poissons aux reflets déconcertants, des singes enfin, de toutes les tailles, de toutes les espèces.
 
 
Il s'arrêta. Il se sentit tout à coup abattu.
D'ailleurs il ne pouvait oublier la véritable raison pour laquelle il se trouvait ici.
Car il n'était pas venu au jardin zoologique pour se procurer le plaisir de faire d'agréables rencontres, ni pour celui de voir déambuler au fond de perspectives savamment ménagées des bêtes de toutes les espèces. Il n'avait pas franchi l'entrée du parc afin d'échapper aux bruits de la ville, ou pour se donner une bonne raison de prendre l'air, ou pour changer le cours ordinaire de ses pensées. Non, rien de cela ne

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