SOUVENIRS EN MARGE
116 pages
Français

SOUVENIRS EN MARGE , livre ebook

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116 pages
Français

Description

A travers ces récits très courts, ces souvenirs, souvent proches de la guerre (39/45) on y retrouve l'émotion de celle qui fut une petite fille privilégiée (portée à la scène avec tant de succès) et l'enthousiasme de la suite, Après les camps la vie. Francine Christophe avec son sens de la formule et ses phrases simples, nous met tout de suite au cœur de l'histoire…de l'Histoire.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2002
Nombre de lectures 51
EAN13 9782296302907
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Merci à mes héros de m’avoir transmis quelques larmes de leur vie…
Francine
Un Coup de Téléphone
Il fait chaud dans cette salle sans air. Affreusement chaud. Une belle salle, d’ailleurs. Avec des pâtisseries au plafond et des murs lambrissés. Cela pourrait plaire à Maman. Les rideaux ? Pas mal, un peu foncés peutêtre, oui, d’un beige un peu foncé. Ça s’approche du tabac, du marron, même. Estce cela qu’on appelle terre de Sienne ? Une, deux, trois, hum, hum, hum, six fenêtres ! Grandes, avec de jolis voilages. Une cheminée de marbre où trône une grosse pendule ancienne, qui plairait aussi à Maman. De chaque côté, voyons, comment estce que ça s’appelle ? Ah ! Des girandoles. Elles brillent bien. Par terre, c’est du parquet, des lames de… on va dire de chêne. Je n’y connais rien du tout. Maman se moquerait de moi.
Dieu qu’il fait chaud. Je me lève, une, deux, trois, debout. J’ouvre une fenêtre, j’ai trop chaud. Ah ! Le voilage volette… et la porte s’ouvre.
Tu fermes la fenêtre, vite, et tu te rassois.
::::
Je me rassois. Par terre. Sur le parquet de chêne, comme les autres. Tous par terre. Cette belle salle sans un siège. Combien sommes nous ? Un, deux, trois, huum, huum, j’arrête, pas fort pour un fils d’expertcomptable, nous sommes trop, et j’ai trop chaud. Peutêtre trente… trente… hommes ? Oui, oui, c’est drôle, que des
hommes ! Trente hommes assis par terre, dans la grande salle d’un hôtel. L’âge, l’âge moyen plutôt ? De tout, je ne vais pas calculer, j’ai trop chaud. Personne ne parle. Ce que tous ces types ont l’air abasourdi. Moi aussi, sans doute. Abasourdi, Ah ! Ah ! Abruti, oui.
Qui sont tous ces bonshommes ? Celuilà avec sa barbiche blanche m’a l’air d’un vieux docteur. A côté de lui, le grand – estce qu’il est grand ? Je n’en sais rien puisqu’il est assis par terre, mais il paraît grand – bon alors, le grand, à côté de la barbichette, s’essuie tout le temps le front avec un mouchoir à gros carreaux rouges, comme dans Bécassine. Hi ! Hi ! Tordant ! Celuici, appuyé sur la cheminée, quel air distingué, quelle classe, et quel beau complet. Sous le tableau, le brun à moustache, pas mal non plus, on dirait notre notaire. A côté de lui, le chauve à la chemise entrouverte, le contraire, pas chic, pas distingué, vulgaire, même. Maman me dirait : cesse de critiquer les gens. Je veux bien, mais il faut passer le temps ! Ah ! Je vais regarder s’il y a des gens de mon âââge Oui ! Au moins deux ! Ben, ce sera plus amusant, quand on pourra bouger.
On va bien nous laisser bouger, on ne va pas continuer à remplir la salle : elle va exploser. Quelle heure ? J’ai laissé ma montre ce matin. Si je rentre en retard, Maman risque de s’inquiéter. Maman me cajole et me gâte, Papa dit qu’elle est mèrepoule. Peutêtre… Papa voudrait plus de rigueur, plus de discipline, moins d’attendrissements. Mais puisque je ne donne pas de soucis, autant me laisser vivre en paix, dit Maman. Son fils unique. Quarantehuit heures pour me mettre au monde ! C’est courant, mais cela doit faire peur de recommencer. Ah ! Mais je n’avais jamais pensé à ça. Qu’estce que je pense, aujourd’hui. Je disais ? … Je disais… je disais que j’ai chaud, que Papa est expertcomptable. Ce ne sont pas des études qui me font peur. Vous avez l’heure, Monsieur, s’il vous plaît ? Oh ! Il ouvre la porte.
Tu parles pas aux autres, compris ?
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Tuneparles pas aux autres. Estce qu’un Milicien fait de la grammaire ? Je préférais la Police italienne. Papa dit que les Italiens ne sont pas antisémites, que les Italiens de confession israélite sont des gens remarquables, mais celui qu’ils nous avaient envoyé buvait. Il se nommait Modigliani, l’oncle Henri, qui traînait à Montparnasse dans ses jeunes années, l’a connu, mais ne lui a pas demandé de tirer son portrait parce qu’il peint long comme un pain et que l’oncle Henri est rond comme un melon. Monsieur Lattès a accepté. Moi, je ne déteste pas…
Ah ! Ah ! Qu’estce qu’ils ont tous à me regarder tout soudain ? Quelle chaleur ! Alors, les Italiens… Le pape Pie XI est chouette, il a écrit une encyclique épatante que les Nazis ont brûlée dans les rues de Berlin. Il a recueilli au Vatican la femme et la fille de Hertz, l’inventeur des ondes hertziennes, dixit Papa ? Ça sent le Latin, ça n’est pourtant pas ma matière préférée. Ma matière préférée serait plutôt la plage, et pourtant, à Nice, les galets font mal aux pieds. Le type à béret vient de passer dans la salle un autre type … en… caleçon ! Ça alors, en caleçon ! C’est pour ça qu’on l’amène ici ? Mais je ne suis pas en caleçon, et je suis là à transpirer assis par terre au milieu d’hommes que je ne connais pas.
Le nouveau pape Pie XII n’emballe pas Papa. Si vis pacem, para bellum. Mon ami Jacques dit "belloum". Ça fait rigoler la classe. C’est parce qu’il était en école libre, il a voulu faire sa philo au lycée par ouverture d’esprit. Alors, alors, je disais que les Italiens qui nous occupaient nous fichaient la paix, mais qu’ils ont signé un armistice avec les Alliés après avoir viré Musso, et qu’ils sont rentrés chez eux, et que les Allemands les ont remplacés et que leur police associée à celle de Vichy fait des ravages et que nous devons faire attention parce qu’il y a des chasses à l’homme, des pièges et des contrôles partout et c’est comme ça qu’on m’a attrapé avec un contrôle d’identité dans la rue en regardant ma carte je m’appelle Paul Raphaël et le tamponJUIFy figure. Vichy l’a voulu, et me voilà dans cet hôtel qui sert de dépôt avec un type en caleçon et un autre en béret qui gueule et garde la porte et porte un pistolet !
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Papa et Maman m’attendent, il faudrait peutêtre que je leur téléphone pour leur dire où je suis. Mais je ne sais pas où je suis…
Que vatil se passer ? Estce qu’ils vont continuer à amener des gens ici ? Estce qu’il y a une autre salle avec des femmes ? Estce qu’on va nous nourrir ? Je n’ai pas faim, il fait trop chaud, mais j’aimerais bien boire. Que vatil se passer ? Je viens de le dire. Oh ! Remarque, mon vieux Paul, je ne suis pas inquiet, cela ne fait pas partie de ma nature. D’ailleurs, Maman dit que je suis imprévoyant, Papa dit que c’est de sa faute et je dis qu’ici, je commence à sacrément m’emmerder. Paul ! Oui, oui. Oui, oui, construisons notre avenir : ça ne risque pas d’être bien méchant. Regardons mieux. Finalement, il y a dans cette salle plus de jeunes gens que de vieux bonshommes. Alors, on va nous emmener à la campagne ; peutêtre seulement dans l’arrièrepays, sur une quelconque exploitation, manier la bêche et le râteau. Je cracherai dans mes mains et ça marchera. Mon dos est bon, mes bras musclés, mes jambes solides. Ça marchera. Rien de terrible. Maman a dû dire à Papa : que fait le petit ? Le "petit", il est assis par terre sur du chêne, du moins il le croit, et il a envie de téléphoner, Maman, pour te rassurer.
Si ce n’est pas la campagne… si ce n’est pas la campagne ? Cela peut être une usine. Je me mettrai à la chaîne tranquillement et j’attendrai la fin de la guerre. Mon ami Marcel qu’on est venu chercher la semaine dernière doit être dans un truc comme cela. Je vais peutêtre le retrouver, voilà qui serait bien ! De toutes manières, je ferai des recherches et je demanderai à aller travailler sur le même chantier que lui. Ce sera plus sympathique. Je peux reprendre mes études après la guerre. Je ne suis pas en retard, pas du tout, et la guerre va très vite finir. Cela peut être une expérience intéressante, Papa dit qu’il faut tirer sagesse de toute expérience dans la vie. Me voilà déjà sage ! En attendant, Maman n’est plus au stade de "que fait le petit ?". Elle parle de son inquiétude à papa. Je vais lui téléphoner. Personne ne téléphone. Les gens n’y pensent pas, parce qu’ils n’ont pas le téléphone. Mais avec le métier de Papa, nous l’avons. Donc, je vais demander à appeler pour rassurer Maman. Voilà, le Milicien ouvre la porte. "Monsieur, Monsieur, je voudrais…"
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