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Description
Sujets
Informations
Publié par | L'Harmattan |
Date de parution | 01 juillet 2010 |
Nombre de lectures | 199 |
EAN13 | 9782296699380 |
Langue | Français |
Informations légales : prix de location à la page 0,0850€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.
Extrait
Sylvie, ou comment S. écrire
suivi de
Bleu Fort
© L'Harmattan, 2010
5-7, rue de l'Ecole polytechnique, 75005 Paris
Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattanl@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-11916-1
EAN : 9782296119161
A.A.L. Bindi
Sylvie, ou comment S. écrire
suivi de
Bleu Fort
L'Harmattan
Du même auteur
Adresse au Père, L'Harmattan, Paris, 2007
Elle, L'Harmattan, Paris, 2009
Sylvie,
ou comment
S. écrire
1
Le 3 février 1991
Sylvie,
Savez-vous que la jeune fille que j'ai autrefois aimée s'appelait comme vous Sylvie ?
Pour moi, vous écrire c'est reprendre une correspondance brutalement interrompue un jour, sans explication. Aussi, je me demande si tout compte fait je n'ai pas tant écrit, après avoir été dans l'incapacité de le faire durant des années, parce qu'il m'avait été impossible de dire et écrire ce que j'aurais alors voulu exprimer.
On ne cesse de vouloir atteindre quelque chose de si proche, jamais tant désiré. Il y a - il est vrai – de l'impuissance, de l'impossibilité d'être, de la réalité qui n'est pas, dans l'écriture.
Bien des mois après, j'ai vu poindre l'ennui, puis l'indifférence. Tout s'en est allé, une image, son odeur, les souvenirs d'un été trop bref, parmi tant de gens autour, le désir de l'attendre. J'ai corrigé ses lettres. Les corrections sont progressivement devenues des choses bizarres, des cercles, des points d'exclamation, des annotations en rouge, et finalement des lettres dans les lettres. Ces bouts de papiers ont été pour moi des moments d'incertitude, de folles envies de la revoir, un grand calme qu'il m'arrivait de m'imposer. Mais aussi des mots, que j'inventais pour la nommer, l'appeler, la chercher derrière une porte, au bas d'un escalier que subitement je dévalais. Et là, rien, sinon moi-même venant à ma rencontre, nonchalamment, dans un halo d'ennui.
Un jour, à mon tour je l'ai quittée. J'ai longtemps dormi, me semble-t-il.
À bientôt ?
Je vous embrasse.
Lt.
2
Le 3 février
Sylvie,
Lorsque mon amie s'est jetée dans mes bras, j'ai senti son corps juvénile, ses vêtements trempés par une transpiration abondante, à cause d'un jeu plein d'excitation pour elle. Je l'ai tenue un moment contre moi, surpris, ne sachant que faire. Et, me fixant dans les yeux, devant nos camarades, elle déclara qu'elle m'aimait. Elle m'embrassa, sans aucune gêne. Je ne me souviens de rien d'autre.
Plus tard, j'ai su qu'elle avait voulu devancer celle d'entre nous qui, bien naïvement, n'avait pas fait mystère de ses sentiments à mon égard.
La vie n'est pas chose courante. Elle vient d'un coup, sans crier gare. Elle heurte et passe. Elle vous choisit, vous ou un autre. Le plus souvent, il faut l'attendre, la voir rôder autour de nos pas, des choses immédiatement là. Comment la reconnaître à temps, dans ce qu'on dit, ou fait, dans ce que, par peur, nul n'ose imaginer ou saisir, et qui finit par échapper, s'évanouir, un peu comme vous et moi d'habitude ?
La vie alors vous trouve sur sa route. Enfin on existe. On est. Vite il vous appartient de saisir la chance au vol et de construire, avant que tout ne parte, comme la vie justement. Quelle agitation ! Quel carnaval ! Comment comprendre, vouloir, posséder ce qui ne sait que bouger, claquer, passer, monter, ouvrir, et bruyamment !
Pour moi, Sylvie, voyez-vous, la vie c'est ce jour inoubliable où Sylvie finit par m'atteindre en se jetant d'une balançoire lancée de plus en plus fort et réussir à tout emporter dans l'air plein de chaleur, gorgé de soleil et de sueur, dans laquelle trempe depuis ma solitude.
Baisers.
Lt.
3
Le 6 février
Sylvie,
Il neige encore ce matin, la ville joue du blanc et terne. C'est beau et très doux.
J'ai toujours pensé que l'amour est un bonheur offert, qu'il n'est pas à partager avec celui à qui on le destine. Une attention, un désir, une manière de disposer les affaires, de les déplacer ou encore de les révéler. Un monde à créer, à délimiter, et puis le clôturer, l'agencer. Je revois la petite épicière d'autrefois, disposant ses primeurs, ses fruits, toutes sortes de choses dans un fouillis sans nom, et à l'occasion, les faisait rire, parler, s'étonner des événements du quartier, des banalités du jour. Tout s'animait à partir d'un point tout à coup privilégié, plus présent qu'à l'accoutumée. Une nouveauté, le hasard, un caprice bien féminin.
Il neigeait. Dans l'obscurité elle s'avance, à l'autre extrémité du vestibule, à même le sol un clochard est allongé. Elle l'appelle. Insiste, à voix basse. Serait-il mort ? Elle n'a pas peur, bien qu'étant sur ses gardes, à distance. Tout doucement, avec précaution, elle pousse devant elle un bol de lait encore chaud. L'homme bouge, avec de grandes difficultés. Le froid l'a saisi et l'engourdissement ce matin est tel qu'il doit patienter entre deux gestes douloureux. Sa pensée réussit à sortir du brouillard, sa volonté s'enhardit lorsqu'elle se découvre plus forte que les muscles, le sang, la surprise d'être là.
L'amour, cette femme l'ignore depuis qu'elle a perdu son jeune enfant. Elle ne cesse de dire qu'un secours, une pensée affectueuse, c'est une prière pour lui. C'est aussi un cri en moins que parfois elle croit encore entendre au moment de l'agonie, alors que chacun avoue son impuissance. Depuis longtemps déjà elle sait que ses prières sont des objets, ceux de sa chambre le soir, lorsqu'elle est seule avec elle-même.
Sa vie sans vie aucune. Au fond, n'a-t-elle pas peur de trahir l'amour de son enfant ? Ne craint-elle pas de manquer de force, pour de la sorte acheter des prières ? Car elle se défie de l'amour, qui est un sentiment pauvre. Elle sait en tout cas que la vraie prière est appel de celui qui n'est plus, qu'elle lance à sa place. La vraie prière est un monde où le brouillard ne se dissipe jamais.
Dehors, tout est encore calme et semble vouloir être sourire, si faible, bien timide, avec le jour qui se lève. Son travail l'attend. Il est au plus secret de sa personne, ce qu'elle éprouvera, seule ce soir, pour entrer dans une nouvelle nuit. Où elle s'allongera, étendra ses jambes, les bras sur les draps qu'elle tire à elle, ses mains sur la poitrine. Des bras d'un blanc laiteux. Ceux d'une belle femme à la tristesse que la chambre enveloppe. Tout s'organise et devient familier. Les yeux clos, elle n'a plus à regarder, croire, comprendre.
Je vous quitte, Sylvie.
Dans la main une orange glacée de mon épicière.
Lt.
4
Le 10 février
Petite Sylvie,
Depuis hier je cherche une idée, qui vient jusqu'à mes lèvres et aussitôt s'évanouit. J'écris "La forme est l'acte qui crée", pour dire, je crois "L'œuvre préexiste au modèle...". Que sais-je encore ? Je ne retrouve pas mes mots.
Rien ne vaut, la tête qui, entre deux sommeils, hors des réalités, pense seule. C'est la clarté des mots plus que des formules et des sens, aux limites du raisonnement. Les mots, eux, sont à l'ouvrage. Ils composent sans cesse, pour tout défaire, des bouts de phrase, des expressions qui changent l'idée et son contenu, puis reviennent à la case départ. Il faudrait alors pouvoir se lever et noter ou retenir, car tout s'en va si vite.
Une douleur au plexus, comme une pile qui grésille encore et se meurt, m'annonce cet état qui est le mien. J'ai mal à la tête, aux tempes surtout. L'envie de parler, d'avoir quelqu'un tout près de soi. L'envie de s'accroupir, d'êtr