La Double Inconstance
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Description

La Double InconstanceMarivauxComédie en trois actes représentée pour la première fois parles Comédiens-Italiens, le mardi 6 avril 1723À MADAME LA MARQUISE DE PRIEMadame,On ne verra point ici ce tas d’éloges dont les épîtres dédicatoires sontordinairement chargées ; à quoi servent-ils ? Le peu de cas que le public en faitdevrait en corriger ceux qui les donnent, et en dégoûter ceux qui les reçoivent. Jeserais pourtant bien tenté de vous louer d’une chose, Madame ; et c’est d’avoirvéritablement craint que je ne vous louasse ; mais ce seul éloge que je vousdonnerais, il est si distingué, qu’il aurait tout l’air ici d’un présent de flatteur, surtouts’adressant à une dame de votre âge, à qui la nature n’a rien épargné de tout cequi peut inviter l’amour-propre à n’être point modeste. J’en reviens donc, Madame,au seul motif que j’ai en vous offrant ce petit ouvrage ; c’est de vous remercier duplaisir que vous y avez pris, ou plutôt de la vanité que vous m’avez donnée, quandvous m’avez dit qu’il vous avait plu. Vous dirai-je tout ? Je suis charmé d’apprendreà toutes les personnes de goût qu’il a votre suffrage ; en vous disant cela, je vousproteste que je n’ai nul dessein de louer votre esprit ; c’est seulement vous avouerque je pense aux intérêts du mien. Je suis avec un profond respect,Madame,votre très humble et très obéissant serviteur.D. M.PersonnagesLE PRINCE.UN SEIGNEUR.FLAMINIA, fille d'un domestique du Prince.LISETTE, sœur de Flaminia ...

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Langue Français
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Extrait

La Double InconstanceMarivauxComédie en trois actes représentée pour la première fois parles Comédiens-Italiens, le mardi 6 avril 1723À MADAME LA MARQUISE DE PRIEMadame,On ne verra point ici ce tas d’éloges dont les épîtres dédicatoires sontordinairement chargées ; à quoi servent-ils ? Le peu de cas que le public en faitdevrait en corriger ceux qui les donnent, et en dégoûter ceux qui les reçoivent. Jeserais pourtant bien tenté de vous louer d’une chose, Madame ; et c’est d’avoirvéritablement craint que je ne vous louasse ; mais ce seul éloge que je vousdonnerais, il est si distingué, qu’il aurait tout l’air ici d’un présent de flatteur, surtouts’adressant à une dame de votre âge, à qui la nature n’a rien épargné de tout cequi peut inviter l’amour-propre à n’être point modeste. J’en reviens donc, Madame,au seul motif que j’ai en vous offrant ce petit ouvrage ; c’est de vous remercier duplaisir que vous y avez pris, ou plutôt de la vanité que vous m’avez donnée, quandvous m’avez dit qu’il vous avait plu. Vous dirai-je tout ? Je suis charmé d’apprendreà toutes les personnes de goût qu’il a votre suffrage ; en vous disant cela, je vousproteste que je n’ai nul dessein de louer votre esprit ; c’est seulement vous avouerque je pense aux intérêts du mien. Je suis avec un profond respect,Madame,votre très humble et très obéissant serviteur.PersonnagesLUEN  PSREIINGCNEE.UR.FLAMINIA, fille d'un domestique du Prince.LISETTE, sœur de Flaminia.ASIRLLVEIAQ, UaIiNm.ée du Prince et d'Arlequin.TDREIVS ELLAINQ, UoAffIiSci.er du palais.DES FILLES DE CHAMBRE.La scène est dans le palais du Prince.SommaireActe IAAccttee  IIIIILa Double Inconstance : Acte IACTE PREMIERScène première.M .D
SILVIA, TRIVELIN et quelques femmes à la suite de Silvia.Silvia paraît sortir comme fâchée.TRIVELINMais, Madame, écoutez-moi.SILVIAVous m'ennuyez.TRIVELINNe faut-il pas être raisonnable ?SILVIA, impatiente.Non, il ne faut point l'être, et je ne le serai point.TRIVELINCependant…SILVIA, avec colère.Cependant, je ne veux point avoir de raison ; et quand vous recommenceriezcinquante fois votre cependant, je n'en veux point avoir : que ferez-vous là ?TRIVELINVous avez soupé hier si légèrement, que vous serez malade si vous ne prenez rience matin.SILVIAEt moi, je hais la santé, et je suis bien aise d'être malade. Ainsi, vous n'avez qu'àrenvoyer tout ce qu'on m'apporte ; car je ne veux aujourd'hui ni déjeuner, ni dîner, nisouper ; demain la même chose ; je ne veux qu'être fâchée, vous haïr tous tant quevous êtes, jusqu'à tant que j'aie vu Arlequin, dont on m'a séparée. Voilà mes petitesrésolutions, et si vous voulez que je devienne folle, vous n'avez qu'à me prêcherd'être plus raisonnable. Cela sera bientôt fait.TRIVELINMa foi, je ne m'y jouerai pas, je vois bien que vous me tiendriez parole. Si j'osaiscependant…SILVIA, plus en colère.Eh bien ! ne voilà-t-il pas encore un cependant ?TRIVELINEn vérité, je vous demande pardon, celui-là m'est échappé, mais je n'en dirai plus,je me corrigerai ; je vous prierai seulement de considérer…SILVIAOh ! vous ne vous corrigez pas ; voilà des considérations qui ne me conviennentpoint non plus.TRIVELIN, continuant.… que c'est votre Souverain qui vous aime.SILVIAJe ne l'empêche pas, il est le maître ; mais faut-il que je l'aime, moi ? Non ; et il ne lefaut pas, parce que je ne le puis pas : cela va tout seul, un enfant le verrait, et vousne le voyez pas.TRIVELINSongez que c'est sur vous qu'il fait tomber le choix qu'il doit faire d'une épouse
entre ses sujettes.SILVIAQui est-ce qui lui a dit de me choisir ? M'a-t-il demandé mon avis ? S'il m'avait dit :me voulez-vous, Silvia ? je lui aurais répondu : non, Seigneur ; il faut qu'une honnêtefemme aime son mari, et je ne pourrais pas vous aimer. Voilà la pure raison, cela ;mais point du tout, il m'aime, crac, il m'enlève, sans me demander si je le trouverai.nobTRIVELINIl ne vous enlève que pour vous donner la main.SILVIAEh ! que veut-il que je fasse de cette main, si je n'ai pas envie d'avancer la miennepour la prendre ? Force-t-on les gens à recevoir des présents malgré eux ?TRIVELINVoyez, depuis deux jours que vous êtes ici, comment il vous traite : n'êtes-vous pasdéjà servie comme si vous étiez sa femme ? Voyez les honneurs qu'il vous faitrendre, le nombre de femmes qui sont à votre suite, les amusements qu'on tâche devous procurer par ses ordres. Qu'est-ce qu'Arlequin au prix d'un Prince pleind'égards, qui ne veut pas même se montrer qu'on ne vous ait disposée à le voir ?D'un Prince jeune, aimable et rempli d'amour, car vous le trouverez tel ? Eh !Madame, ouvrez les yeux, voyez votre fortune, et profitez de ses faveurs.SILVIADites-moi, vous et toutes celles qui me parlent, vous a-t-on mis avec moi, vous a-t-on payés pour m'impatienter, pour me tenir des discours qui n'ont pas le senscommun, qui me font pitié ?TRIVELINOh ! parbleu ! je n'en sais pas davantage ; voilà tout l'esprit que j'ai.SILVIASur ce pied-là, vous seriez tout aussi avancé de n'en point avoir du tout.TRIVELINMais encore, daignez, s'il vous plaît, me dire en quoi je me trompe.SILVIA, en se tournant vivement de son côté.Oui, je vais vous le dire en quoi, oui…TRIVELINEh ! doucement, Madame ! Mon dessein n'est pas de vous fâcher.SILVIAVous êtes donc bien maladroit !TRIVELINJe suis votre serviteur.SILVIAEh bien ! mon serviteur, qui me vantez tant les honneurs que j'ai ici, qu'ai-je affairede ces quatre ou cinq fainéantes qui m'espionnent toujours ? On m'ôte mon amant,et on me rend des femmes à la place ; ne voilà-t-il pas un beau dédommagement ?Et on veut que je sois heureuse avec cela ! Que m'importe toute cette musique, cesconcerts et cette danse dont on croit me régaler ? Arlequin chantait mieux que toutcela, et j'aime mieux danser moi-même que de voir danser les autres, entendez-vous ? Une bourgeoise contente dans un petit village, vaut mieux qu'une princessequi pleure dans un bel appartement. Si le Prince est si tendre, ce n'est pas mafaute ; je n'ai pas été le chercher ; pourquoi m'a-t-il vue ? S'il est jeune et aimable,tant mieux pour lui ; j'en suis bien aise. Qu'il garde tout cela pour ses pareils, et qu'il
me laisse mon pauvre Arlequin, qui n'est pas plus gros monsieur que je suis grossedame, pas plus riche que moi, pas plus glorieux que moi, pas mieux logé ; quim'aime sans façon, que j'aime de même, et que je mourrai de chagrin, de ne pasvoir. Hélas ! le pauvre enfant, qu'en aura-t-on fait ? Qu'est-il devenu ? Il sedésespère quelque part, j'en suis sûre ; car il a le cœur si bon ! Peut-être aussiqu'on le maltraite… (Elle se dérange de sa place.) Je suis outrée ; tenez, voulez-vous me faire un plaisir ? Ôtez-vous de là, je ne puis vous souffrir ; laissez-moim'affliger en repos.TRIVELINLe compliment est court, mais il est net ; tranquillisez-vous pourtant, Madame.SILVIASortez sans me répondre, cela vaudra mieux.TRIVELINEncore une fois, calmez-vous. Vous voulez Arlequin, il viendra incessamment ; onest allé le chercher.SILVIA, avec un soupir.Je le verrai donc ?TRIVELINEt vous lui parlerez aussi.SILVIA, s'en allant.Je vais l'attendre ; mais si vous me trompez, je ne veux plus ni voir ni entendrepersonne.(Pendant qu'elle sort, le Prince et Flaminia entrent d'un autre côté et la regardentsortir.)Scène IILE PRINCE, FLAMINIA, TRIVELIN.LE PRINCE, à Trivelin.Eh bien ! as-tu quelque espérance à me donner ? Que dit-elle ?TRIVELINCe qu'elle dit, Seigneur, ma foi, ce n'est pas la peine de le répéter ; il n'y a rienencore qui mérite votre curiosité.LE PRINCEN'importe, dis toujours.TRIVELINEh non, Seigneur ; ce sont de petites bagatelles dont le récit vous ennuierait ;tendresse pour Arlequin, impatience de le rejoindre, nulle envie de vous connaître,désir violent de ne vous point voir, et force haine pour nous : voilà l'abrégé de sesdispositions. Vous voyez bien que cela n'est point réjouissant ; et franchement, sij'osais dire ma pensée, le meilleur serait de la remettre où on l'a prise.Le Prince rêve tristement.FLAMINIAJ'ai déjà dit, la même chose au Prince ; mais cela est inutile. Aussi continuons, etne songeons qu'à détruire l'amour de Silvia pour Arlequin.TRIVELINMon sentiment à moi est qu'il y a quelque chose d'extraordinaire dans cette fille-là ;
refuser ce qu'elle refuse, cela n'est point naturel ; ce n'est point là une femme,voyez-vous ; c'est quelque créature d'une espèce à nous inconnue. Avec unefemme nous irions notre train ; celle-ci nous arrête, cela nous avertit d'un prodige,n'allons pas plus loin.LE PRINCEEt c'est ce prodige qui augmente encore l'amour que j'ai conçu pour elle.FLAMINIA, en riant.Eh ! Seigneur, ne l'écoutez pas avec son prodige, cela est bon dans un conte defée ; je connais mon sexe : il n'a rien de prodigieux que sa coquetterie. Du côté del'ambition, Silvia n'est point en prise, mais elle a un cœur, et par conséquent de lavanité ; avec cela, je saurai bien la ranger à son devoir de femme. Est-on alléchercher Arlequin ?TRIVELINOui, je l'attends.LE PRINCE, d'un air inquiet.Je vous avoue, Flaminia, que nous risquons beaucoup à lui montrer son amant : satendresse pour lui n'en deviendra que plus forte.TRIVELINOui ; mais, si elle ne le voit, l'esprit lui tournera, j'en ai sa parole.FLAMINIASeigneur, je vous ai déjà dit qu'Arlequin nous était nécessaire.LE PRINCEOui, qu'on l'arrête autant qu'on pourra ; vous pouvez lui promettre que je lecomblerai de biens et de faveurs, s'il veut en épouser une autre que sa maîtresse.TRIVELINIl n'y a qu'à réduire ce drôle-là, s'il ne veut pas.LE PRINCENon ; la loi qui veut que j'épouse une de mes sujettes, me défend d'user de violencecontre qui que ce soit.FLAMINIAVous avez raison. Soyez tranquille, j'espère que tout se fera à l'amiable ; Silvia vousconnaît déjà, sans savoir que vous êtes le Prince, n'est-il pas vrai ?LE PRINCEJe vous ai dit qu'un jour à la chasse, écarté de ma troupe, je la rencontrai près desa maison ; j'avais soif, elle alla me chercher à boire : je fus enchanté de sa beautéet de sa simplicité, et je lui en fis l'aveu. Je l'ai vue cinq ou six fois de la mêmemanière, comme simple officier du palais : mais quoiqu'elle m'ait traité avecbeaucoup de douceur, je n'ai pu la faire renoncer à Arlequin, qui m'a surpris deuxfois avec elle.FLAMINIAIl faudra mettre à profit l'ignorance où elle est de votre rang ; on l'a déjà prévenueque vous ne la verriez pas sitôt ; je me charge du reste, pourvu que vous vouliezbien agir comme je voudrai.LE PRINCE, en s'en allant.J'y consens. Si vous m'acquérez le cœur de Silvia, il n'est rien que vous ne deviezattendre de ma reconnaissance.FLAMINIA
Toi, Trivelin, va-t'en dire à ma sœur qu'elle tarde trop à venir.TRIVELINIl n'est pas besoin, la voilà qui entre ; adieu, je vais au-devant d'Arlequin.Scène IIILISETTE, FLAMINIALISETTEJe viens recevoir tes ordres, que me veux-tu ?FLAMINIAApproche un peu que je te regarde.LISETTETiens, vois à ton aise.FLAMINIA, après l'avoir regardée.Oui-da, tu es jolie aujourd'hui.LISETTE, en riant.Je le sais bien ; mais qu'est-ce que cela fait ?FLAMINIAÔte cette mouche galante que tu as là.LISETTE, refusant.Je ne saurais, mon miroir me l'a recommandée.FLAMINIAIl le faut, te dis-je.LISETTE, en tirant sa boîte à miroir, et ôtant la mouche.Quel meurtre ! Pourquoi persécutes-tu ma mouche ?FLAMINIAJ'ai mes raisons pour cela. Or çà, Lisette, tu es grande et bien faite.LISETTEC'est le sentiment de bien des gens.FLAMINIATu aimes à plaire ?LISETTEC'est mon faible.FLAMINIASaurais-tu avec une adresse naïve et modeste inspirer un tendre penchant àquelqu'un, en lui témoignant d'en avoir pour lui, et le tout pour une bonne fin ?LISETTEMais j'en reviens à ma mouche, elle me paraît nécessaire à l'expédition que tu meproposes.FLAMINIA
N'oublieras-tu jamais ta mouche ? non, elle n'est pas nécessaire : il s'agit ici d'unhomme simple, d'un villageois sans expérience, qui s'imagine que nous autresfemmes d'ici sommes obligées d'être aussi modestes que les femmes de sonvillage ; oh ! la modestie de ces femmes-là n'est pas faite comme la nôtre ; nousavons des dispenses qui le scandaliseraient ; ainsi ne regrette plus tes mouches, etmets-en la valeur dans tes manières ; c'est de ces manières dont je te parle ; je tedemande si tu sauras les avoir comme il faut ? Voyons, que lui diras-tu ?LISETTEMais, je lui dirai… Que lui dirais-tu, toi ?FLAMINIAÉcoute-moi, point d'air coquet d'abord. Par exemple, on voit dans ta petitecontenance un dessein de plaire, oh ! il faut en effacer cela ; tu mets je ne sais quoid'étourdi et de vif dans ton geste, quelquefois c'est du nonchalant, du tendre, dumignard ; tes yeux veulent être fripons, veulent attendrir, veulent frapper, font millesingeries ; ta tête est légère ; ton menton porte au vent ; tu cours après un air jeune,galant et dissipé ; parles-tu aux gens, leur réponds-tu ? tu prends de certains tons,tu te sers d'un certain langage, et le tout finement relevé de saillies folles ; oh !toutes ces petites impertinences-là sont très jolies dans une fille du monde, il estdécidé que ce sont des grâces, le cœur des hommes s'est tourné comme cela,voilà qui est fini : mais ici il faut, s'il te plaît, faire main basse sur tous cesagréments-là ; le petit homme en question ne les approuverait point, il n'a pas legoût si fort, lui. Tiens, c'est tout comme un homme qui n'aurait jamais bu que debelle eau bien claire, le vin ou l'eau-de-vie ne lui plairaient pas.LISETTE, étonnée.Mais de la façon dont tu arranges mes agréments, je ne les trouve pas si jolis que tu.sidFLAMINIA, d'un air naïf.Bon ! c'est que je les examine, moi, voilà pourquoi ils deviennent ridicules : mais tues en sûreté de la part des hommes.LISETTEQue mettrai-je donc à la place de ces impertinences que j'ai ?FLAMINIARien : tu laisseras aller tes regards comme ils iraient si ta coquetterie les laissait enrepos ; ta tête comme elle se tiendrait, si tu ne songeais pas à lui donner des airsévaporés ; et ta contenance tout comme elle est quand personne ne te regarde.Pour essayer, donne-moi quelque échantillon de ton savoir-faire ; regarde-moi d'unair ingénu.LISETTE, se tournant.Tiens, ce regard-là est-il bon ?FLAMINIAHum ! il a encore besoin de quelque correction.LISETTEOh dame, veux-tu que je te dise ? Tu n'es qu'une femme, est-ce que cela anime ?Laissons cela, car tu m'emporterais la fleur de mon rôle. C'est pour Arlequin, n'est-ce-pas ?FLAMINIAPour lui-même.LISETTEMais le pauvre garçon, si je ne l'aime pas, je le tromperai ; je suis fille d'honneur, etje m'en fais un scrupule.FLAMINIA
S'il vient à t'aimer, tu l'épouseras, et cela te fera ta fortune ; as-tu encore desscrupules ? Tu n'es, non plus que moi, que la fille d'un domestique du Prince, et tudeviendras grande dame.LISETTEOh ! voilà ma conscience en repos, et en ce cas-là, si je l'épouse, il n'est pasnécessaire que je l'aime. Adieu, tu n'as qu'à m'avertir quand il sera temps decommencer.FLAMINIAJe me retire aussi ; car voilà Arlequin qu'on amène.Scène IVARLEQUIN, TRIVELIN.Arlequin regarde Trivelin et tout l'appartement avec étonnement.TRIVELINEh bien ! seigneur Arlequin, comment vous trouvez-vous ici ? (Arlequin ne dit mot.)N'est-il pas vrai que voilà une belle maison.ARLEQUINQue diantre ! qu'est-ce que cette maison-là et moi avons affaire ensemble ? Qu'est-ce que c'est que vous ? Que me voulez-vous ? Où allons-nous ?TRIVELINJe suis un honnête homme, à présent votre domestique ; je ne veux que vous servir,et nous n'allons pas plus loin.ARLEQUINHonnête homme ou fripon, je n'ai que faire de vous ; je vous donne votre congé, etje m'en retourne.TRIVELIN, l'arrêtant.Doucement !ARLEQUINParlez donc ; hé, vous êtes bien impertinent d'arrêter votre maître !TRIVELINC'est un plus grand maître que vous qui vous a fait le mien.ARLEQUINQui est donc cet original-là, qui me donne des valets malgré moi ?TRIVELINQuand vous le connaîtrez, vous parlerez autrement. Expliquons-nous à présent.ARLEQUINEst-ce que nous avons quelque chose à nous dire ?TRIVELINOui, sur Silvia.ARLEQUIN, charmé, et vivement.Ah ! Silvia ! hélas, je vous demande pardon ; voyez ce que c'est, je ne savais pasque j'avais à vous parler.TRIVELIN
Vous l'avez perdue depuis deux jours ?ARLEQUINOui, des voleurs me l'ont dérobée.TRIVELINCe ne sont pas des voleurs.ARLEQUINEnfin, si ce ne sont pas des voleurs, ce sont toujours des fripons.TRIVELINJe sais où elle est.ARLEQUIN, charmé, et le caressant.Vous savez où elle est, mon ami, mon valet, mon maître, mon tout ce qu'il vousplaira ? Que je suis fâché de n'être pas riche, je vous donnerais tous mes revenuspour gages. Dites, l'honnête homme, de quel côté faut-il tourner ? Est-ce à droite, àgauche, ou tout devant moi ?TRIVELINVous la verrez ici.ARLEQUIN, charmé et d'un air doux.Mais quand j'y songe, il faut que vous soyez bien bon, bien obligeant pourm'amener ici comme vous faites ? Ô Silvia ! chère enfant de mon âme, ma mie, jepleure de joie !TRIVELIN, à part les premiers mots.De la façon dont ce drôle-là prélude, il ne nous promet rien de bon. Écoutez, j'aibien autre chose à vous dire.ARLEQUIN, le pressant.Allons d'abord voir Silvia, prenez pitié de mon impatience.TRIVELINJe vous dis que vous la verrez : mais il faut que je vous entretienne auparavant.Vous souvenez-vous d'un certain cavalier qui a rendu cinq ou six visites à Silvia, etque vous avez vu avec elle ?ARLEQUIN, triste.Oui, il avait la mine d'un hypocrite.TRIVELINCet homme-là a trouvé votre maîtresse fort aimable.ARLEQUINPardi, il n'a rien trouvé de nouveau.TRIVELINIl en a fait au Prince un récit qui l'a enchanté.ARLEQUINLe babillard !TRIVELINLe Prince a voulu la voir, et a donné l'ordre qu'on l'amenât ici.ARLEQUIN
Mais il me la rendra, comme cela est juste ?TRIVELINHum ! il y a une petite difficulté ; il en est devenu amoureux et souhaiterait d'en êtreaimé à son tour.ARLEQUINSon tour ne peut pas venir ; c'est moi qu'elle aime.TRIVELINVous n'allez point au fait ; écoutez jusqu'au bout.ARLEQUIN, haussant le ton.Mais le voilà, le bout. Est-ce que l'on veut me chicaner mon bon droit ?TRIVELINVous savez que le Prince doit se choisir une femme dans ses États ?ARLEQUINJe ne sais point cela : cela m'est inutile.TRIVELINJe vous l'apprends.ARLEQUIN, brusquement.Je ne me soucie pas de nouvelles.TRIVELINSilvia plaît donc au Prince, et il voudrait lui plaire avant que de l'épouser. L'amourqu'elle a pour vous fait obstacle à celui qu'il tâche de lui donner pour lui.ARLEQUINQu'il fasse donc l'amour ailleurs : car il n'aurait que la femme, moi j'aurais le cœur ; ilnous manquerait quelque chose à l'un et à l'autre, et nous serions tous trois mal ànotre aise.TRIVELINVous avez raison ; mais ne voyez-vous pas que, si vous épousiez Silvia, le Princeresterait malheureux ?ARLEQUIN, après avoir rêvé.À la vérité, il serait d'abord un peu triste ; mais il aura fait le devoir d'un bravehomme, et cela console ; au lieu que, s'il l'épouse, il fera pleurer ce pauvre enfant ;je pleurerai aussi, moi, il n'y aura que lui qui rira, et il n'y a pas de plaisir à rire tout.luesTRIVELINSeigneur Arlequin, croyez-moi, faites quelque chose pour votre maître ; il ne peut serésoudre à quitter Silvia. je vous dirai même qu'on lui a prédit l'aventure qui la lui afait connaître, et qu'elle doit être sa femme ; il faut que cela arrive ; cela est écrit là-.tuahARLEQUINLà-haut on n'écrit pas de telles impertinences ; pour marque de cela, si on avaitprédit que je dois vous assommer, vous tuer par derrière, trouveriez-vous bon quej'accomplisse la prédiction ?TRIVELINNon, vraiment, il ne faut jamais faire de mal à personne.
ARLEQUINEh bien, c'est ma mort qu'on a prédite ; ainsi, c'est prédire rien qui vaille, et danstout cela, il n'y a que l'astrologue à pendre.TRIVELINEh morbleu, on ne prétend pas vous faire du mal ; nous avons ici d'aimables filles ;épousez-en une, vous y trouverez votre avantage.ARLEQUINOui-da, que je me marie à une autre, afin de mettre Silvia en colère et qu'elle porteson amitié ailleurs ! Oh, oh ! mon mignon, combien vous a-t-on donné pourm'attraper ? Allez, mon fils, vous n'êtes qu'un butor, gardez vos filles, nous ne nousaccommoderons pas, vous êtes trop cher.TRIVELINSavez-vous bien que le mariage que je vous propose vous acquerra l'amitié duPrince ?ARLEQUINBon ! mon ami ne serait pas seulement mon camarade.TRIVELINMais les richesses que vous promet cette amitié ?ARLEQUINOn n'a que faire de toutes ces babioles-là, quand on se porte bien, qu'on a bonappétit et de quoi vivre.TRIVELINVous ignorez le prix de ce que vous refusez.ARLEQUIN, d'un air négligent.C'est à cause de cela que je n'y perds rien.TRIVELINMaison à la ville, maison à la campagne.ARLEQUINAh, que cela est beau ! il n'y a qu'une chose qui m'embarrasse ; qui est-ce quihabitera ma maison de ville, quand je serai à ma maison de campagne ?TRIVELINParbleu, vos valets !ARLEQUINMes valets ? Qu'ai-je besoin de faire fortune pour ces canailles-là ? Je ne pourraidonc pas les habiter toutes à la fois ?TRIVELIN, riant.Non, que je pense ; vous ne serez pas en deux endroits en même temps.ARLEQUINEh bien, innocent que vous êtes, si je n'ai pas ce secret-là, il est inutile d'avoir deuxmaisons.TRIVELINQuand il vous plaira, vous irez de l'une à l'autre.ARLEQUIN
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