Vassili Verechtchaguine
VOYAGE
DANS LES PROVINCES DU CAUCASE
Présentation et introduction de Lora Arys-Djanaïéva et Iaroslav Lebedynsky
Collection « Voix du Caucase »
VOYAGE DANS LES PROVINCESDU CAUCASE
9RL[ GX &DXFDVH Collection dirigée par Lora Arys-Djanaïéva et Iaroslav Lebedynsky /H &DXFDVH HVW O¶LVWKPH TXL V¶pWHQG HQWUH OD PHU 1RLUH HW OD PHU &DVSLHQQH j OD IRLV EDUULqUH HW SRLQW GH FRQWDFW HQWUH GHV PRQGHV GLIIpUHQWV (XURSH HW $VLH FKUpWLHQWp HW LVODP QRPDGHV HW VpGHQWDLUHV ,O FRQFHQWUH VXU XQ WHUULWRLUH UHVWUHLQW XQH WUqV JUDQGH GLYHUVLWp HWKQLTXH HW OLQJXLVWLTXH TXL Q¶D SDV HPSrFKp OH GpYHORSSHPHQW GH FHUWDLQHV WUDGLWLRQV FRPPXQHV $XMRXUG¶KXL TXH FHWWH UpJLRQ VRXYHQW GLVSXWpH HQWUH OHV HPSLUHV GX QRUG HW GX VXG HVW XQH IRLV GH SOXV UHGHYHQXH OH WKpkWUH GH FRQIOLWV HW GH ULYDOLWpV JpRSROLWLTXHV LO HVW HVVHQWLHO GH PLHX[ OD FRQQDvWUH /H &DXFDVH D WRXMRXUV pWp QLPEp GH P\WKHV HW GH OpJHQGHV PDLV VRQ KLVWRLUH VHV FXOWXUHV O¶pWHUQHO EDODQFHPHQW HQWUH OH IRQG LQGLJqQH HW OHV LQIOXHQFHV H[WpULHXUHV GRLYHQW rWUH UHGpFRXYHUWV /D FROOHFWLRQ © 9RL[ GX &DXFDVH ª V¶\ HPSORLH j WUDYHUV GHV SXEOLFDWLRQV DX[ WKqPHV YDULpV 'HUQLqUHV SDUXWLRQV ,DURVODY /(%('<16.<Sur les traces des Alains et Sarmates en Gaule,/RUD $U\V'MDQDwpYD HW ,DURVODY /HEHG\QVN\, Contes populaires ossètes (Caucase central) 9ODGLPLU *28'$.29Caucasiens, Cosaques et empires ,DURVODY /(%('<16.<Témoignages anciens sur les Tcherkesses ,DURVODY /(%('<16.<Armes et guerriers du Caucase
Vassili VERECHTCHAGUINEVoyage dans les provinces du Caucase * Traduit du russe par M. et Mme Ernest BarbierPrésentation et introduction de Lora Arys-Djanaïéva et Iaroslav Lebedynsky
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INTRODUCTION
Le Caucase, terre de paysages sublimes et de populations diverses aux fortes personnalités, a inspiré de nombreux récits de voyage depuis plusieurs siècles. Les amateurs français du genre connaissent souvent celui d’Alexandre Dumas, aussi remarquable par sa qualité littéraire que par ses inventions saugrenues. Le texte que nous proposons ici vaut lui aussi par la personnalité de son auteur, mais il est considérablement plus réaliste et précis.
Verechtchaguine
Il est inattendu de découvrir, dans le rôle du voyageur et chroniqueur, un homme connu surtout comme l’un des grands peintres russes du XIXe siècle : Vassili Verechtchaguine (dont le nom apparaît, dans l’édition originale, sous la forme francisée de « Basile Vereschaguine »).
Vassili Vassilievitch Verechtchaguine est né en 1842 dans une famille de propriétaires fonciers à Tchérépovets, dans l’actuelle région de Vologda en Russie du nord. Il entama une carrière militaire, assez classique dans son milieu social, en entrant dans le Corps des cadets de la marine impériale. Son premier voyage, en 1858, le conduisit sur les côtes danoises, françaises et égyptiennes.
Bien qu’excellent élève-officier, il quitta dès 1860 la marine pour se consacrer à sa véritable passion : la peinture. Il étudia à l’Académie des beaux-arts à Saint-Pétersbourg de 1861 à 1863, date à laquelle il reçut sa première récompense : une médaille pour un tableau intituléUlysse tuant les prétendants. En 1864, il partit poursuivre sa formation à Paris auprès d’un maître réputé de la peinture historique et orientaliste : Jean-Léon Jérôme (1824-1904). Corps des cadets de la marine impériale. Son premier voyage, en 1858, le conduisit sur les côtes danoises, françaises et égyptiennes. Bien qu’excellent élève-officier, il quitta dès 1860 la marine pour se consacrer à sa véritable passion : la peinture. Il étudia à l’Académie des beaux-arts à Saint-Pétersbourg de 1861 à 1863, date à laquelle il reçut sa première récompense : une médaille
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pour un tableau intituléUlysse tuant les prétendants. En 1864, il partit poursuivre sa formation à Paris auprès d’un maître réputé de la peinture historique et orientaliste : Jean-Léon Jérôme (1824-1904).
Vassili Vassilievitch Verechtchaguine
De retour en Russie, Verechtchaguine accompagna les armées impériales dans leurs campagnes de colonisation de l’Asie Centrale, entre 1867 et 1870. Ce voyage lui inspira plusieurs de ses premiers grands tableaux, dont la très célèbreApothéose de la guerrevision glaçante d (1871), ’une pyramide de crânes sur fond - 6 -
de désert. L’œuvre renvoie aux sinistres monuments qu’élevait le conquérant centre-asiatique Tamerlan devant les villes prises, mais l’image a une portée universelle.
Le peintre fut, durant toute sa vie, un grand voyageur. En Russie même, outre le Turkestan, il visita le Caucase. A l’étranger, il retourna en France, séjourna en Allemagne, en Grande-Bretagne. Il accompagna à nouveau l’armée russe, en 1877-78, lors de la campagne des Balkans contre les Ottomans. Il voyagea aux Indes, en Syrie et Palestine et même, dans les premières années du XXe siècle, aux Philippines, à Cuba et au Japon. Ces voyages nourrirent sans cesse son inspiration. Par exemple, ses impressions de Palestine se retrouvent dans son cycle deLa vie du Christ.
Verechtchaguine connut le succès et la célébrité dès le début des années 1870, à partir de ses premières expositions à Londres (1873) et à Saint-Pétersbourg (1874). Il est principalement connu comme peintre d’histoire–d notamment ’histoire militaire– et aussi peintre orientaliste. Cependant, la plupart de ses tableaux à thématique orientale sont en réalité d’inspiration historique. A côté d’œuvres isolées, on lui doit des ensembles de plusieurs tableaux, comme ceux deLa vie du Christprécitée ou deNapoléon en Russie (années 1890).
Le style réaliste à l’extrême de Verechtchaguine suscita naturellement diverses critiques. Sa peinture fut jugée trop dure et même parfois « vulgaire ». On le soupçonna d’employer des élèves tant il peignait vite. Plus grave, les autorités russes décelèrent dans certains de ses tableaux de bataille des sentiments antimilitaristes. De fait, ses œuvres sont très éloignées de la peinture héroïque classique. Elles insistent sur les horreurs de la guerre, et en cela reflètent fidèlement l’opinion de l’artiste. Cela n’empêcha pas Verechtchaguine de participer aux campagnes du Turkestan et des Balkans, plus tard au conflit russo-japonais. Il paya d’ailleurs un lourd tribut à la guerre : son frère fut tué au siège de Plevna (Pleven, Bulgarie) en 1877. Lui-même fut blessé au cours de la même campagne. Et c’est au cours des combats du Pacifique contre les Japonais qu’il mourut : le 13 avril 1904, il se trouvait à bord du navire amiral de la flotte russe, le Petropavlovsk, à
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l’invitation de l’amiral Makarov, quand le bâtiment coula après avoir heurté deux mines. Cette mort tragique couronnait symboliquement une vie et une carrière intimement liées à la guerre.
Verechtchaguine est moins connu comme écrivain mais, comme le montre le texte que nous publions, sa plume bénéficiait du même don d’observation que son pinceau.
Le Voyage dans les provinces du Caucase
Le Caucase a toujours fasciné les Russes. C’était la terre des belles princesses et des nobles guerriers, des vengeances inexpiables et d’une certaine liberté. Cet attrait n’a jamais été aussi fort qu’au XIXe siècle, à l’époque où l’empire prenait, lentement et non sans mal, le contrôle de la région. L’aventure caucasienne marqua fortement l’armée russe, qui copia même l’armement de ses adversaires. Elle inspira peintres (Gagarine), musiciens (Ippolitov-Ivanov), écrivains (Lermontov, Tolstoï) et savants (Klaproth, Miller).
LeVoyagede Verechtchaguine relève d’un genre littéraire bien connu, à cheval entre la lecture récréative et la description ethnographique. Il est dépourvu de prétention scientifique au sens fort ; on n’y trouve pas les longs développements que Klaproth, par exemple, consacrait aux peuples et langues du Caucase. Il n’aborde que très superficiellement certains sujets classiques, comme les affinités linguistiques des différentes ethnies ou leur histoire ancienne.
L’auteur est loin d’être ignorant à ce sujet : il sait ce que savent les Russes cultivés de son temps. Il comprend que la situation qu’il voit résulte d’une stratification de peuples, de cultures et de religions. Il évoque la présence des Ossètes sur un territoire plus septentrional que l’Ossétie moderne (même s’il ne les relie pas expressément à leurs ancêtres alains dont il parle par ailleurs). Il mentionne le substrat chrétien au Caucase du Nord. Mais il ne cherche pas à faire un exposé scientifique. Il livre avant tout des impressions subjectives et des descriptions, d’une précision
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presque photographique, de paysages, d’habitations, de gens, de costumes… Sa vision des peuples rencontrés ne pèche certes pas par excès de romantisme. Le portrait des Kalmouks–laids, sales, misérables et malhonnêtes–est cruel, et Verechtchaguine se laisse aller à quelques lieux communs sur la vie nomade. Aux Nogaïs, il reconnaît «un certain degré d’intelligence»… parce qu’ils parlent russe. Mais au-delà des préjugés, beaucoup d’observations sont justes, comme celle sur la relative unité de civilisation des montagnards caucasiens, qui transcende leur grande diversité ethnique et linguistique.
L’auteur critique franchement certains aspects de l’administration russe : le laisser-aller des fonctionnaires, mais aussi leur corruption et les vexations infligées aux indigènes : «Ceux-là même qui ont entre les mains les instruments de la civilisation, c’est-à-dire l’administration, encouragent au contraire le vol et le brigandage.» Dans ces conditions, résistances et rebellions ne sont pas surprenantes, et c’est encore une occasion pour Verechtchaguine d’: la cruauté de laévoquer son thème favori guerre. Il n’en prend pas moins clairement le parti de la Russie, comme le montre son récit de l’insurrection de Hadji-Mourtouz au Daghestan : il vante la bravoure des soldats russes et décrit les rebelles comme des sauvages mûs par le fanatisme religieux–mais aussi comme de « pauvres diables » victimes des circonstances. En définitive, le peintre ne reproche pas à la Russie de coloniser le Caucase, mais plutôt de ne pas avoir encore pu le « civiliser » efficacement.
Deux longs développements témoignent d’un certain intérêt pour les questions religieuses : celui sur les sanglantes cérémonies chiites d’Azerbaïdjan, qu’il compare à celles observées en Perse, et celui sur les colonies de sectaires russes établies dans les provinces 1 caucasiennes . Sans que Verechtchaguine cherche à se mettre particulièrement en valeur, le lecteur comprend vite que son équipée au Caucase relève
1 Nous avons omis, dans cette publication, la très longue note que les éditeurs français avaient ajoutée au texte de Verechtchaguine pour présenter les sectes russes. Cet exposé, assez médiocre et périmé, est sans rapport avec le reste du Voyage. - 9 -