Les amies du cœur de Michele Placido

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• Publié par: cinemavectoi
• Publié le: 23 décembre 2011
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• Langue: Français

Extrait

Les amies de coeur Le amiche del cuoreF de Michele PlacidoFICHE FILM fiche technique Italie - 1992 - 1h45 Réalisateur : Michele Placido Scénario : Angelio Pasquini Michele Placido Roberto Nobile Musique : Nicola Piovani Critique Interprètes : Asia Argento depuis, un bon bout de temps -et parmi les C'est parce qu il avait préalablement tour- Carlotta Natoli plus naturels aussi. Michele Placido sené un documentaire intitulé les Filles situe aux antipodes du "néo-néo-réalisme":d'Italie que Michele Placido s'est mis enClaudia Pandolfi de Marco Risi Mery pour toujours àtête de faire les amies de coeur, où troisMichele Placido Gianni Amelio Les Enfants volés, ce cou-adolescentes, copines de toujours, rant dominant en Italie filme le socialessaient de quitter leur banlieue romaine. comme un reportage d’actualité, tout enElles s'y sentent mal à l'aise même si la privilégiant l’analyse morale et psycholo-vraie pauvreté n'est pas Ieur lot quotidien. gique.Dans ce quartier de grandes tours moches comme il en fleurissait à foison dans les Chez Michele Placido, à l’inverse, c’est laannées soixante-dix, Simona, Claudia et fiction avec son propre vocabulaire, saMorena ont toujours à manger et de quoi force occulte, qui enquête sur le monde. Ilmettre de I'essence dans les scooters : ce y a du romantisme dans son approche sen-sont leurs rêves qu’elles ont du mal à sitive des jeunes filles de Rome qui pas-nourrir. sent leur temps à rêver leur évasion. Simona vit semi-cloîtrée chez son pèreLes trois Amies de coeur comptent (Michele Placido, formidable), ancien foot-parmi les personnages les plus attachants balleur reconverti masseur au chômage :que le cinéma italien nous ait donnés L E F R A N C E 1D O C U M E N T S elle a arrêté l’école de son propre fait. systématiquement tragiques. On les voit sures secrètes. A travers ces trois por- Morena poursuit ses études d’infirmiè- toutes les trois affairées à prendre une traits de filles de quinze ans et leurs re, entre une mère dopée aux antidé- cuite monstre ou à fuir ce qui s’annonce trajectoires contrastées, c’est une presseurs et une grand-mère qui sur- comme une partouze non programmée situation sociale dégradée que met en veille la teneur en shit de ses ciga- avec de vieux vicelards ridicules. On lumière Placido, sans faux semblants, rettes. Claudia, enfin, est la plus entre- voit tout cela et le reste, car en obser- sans concession non plus. Son propos prenante des trois. Très jolie, comme on vant les mouvements naturels de la cité, n’est pas de dénoncer ou de remettre en le lui a trop répété, elle s’imagine en Michele Placido cerne cette forme cause. La discrétion de sa mise en mannequin et fait à peu près tout pour y d’ingratitude propre aux adolescents : scène qui s’attache d'abord à suivre les parvenir. on leur prête des secrets qu’ils ne ren- personnages, à leur donner une véri- dent pas. Il filme leur beauté du diable table identité, marque bien son projet : Le grand talent des Amies de coeur et leurs attitudes imprévisibles qui constater les dysfonctionnements d’une c'est d'entremêler ces trois destins font parfois peur à voir. C’est I’objet de société aux liens distendus, aux valeurs indépendants sans jamais se livrer, jus- sa fascination pudique - et de la nôtre. faussées. Le néo-réalisme n’est pas loin, tement, à une Iecture psychologique ou Philippe Vecchi en tout cas celui dont Rossellini a pu morale. C’est d’ailleurs ce qui a choqué Libération dire qu’il était affaire de morale plus en Italie puisque le film recèle une his- Mercredi 31 Mars 93 que d'esthétique. Dans cette mesure, le toire d’inceste père-fille, et que Michele film de Michele Placido avec ses fai- Placido, qui joue le père obtus et inces- blesses, ses manques. Ia simplicité de tueux, noie cette histoire parmi toutes sa construction se situe résolument du les autres. L’inceste y est un symptôme côté de ce cinéma attaché à explorer comme un autre du cancer de la ban- les problèmes humains et sociaux avantCrises à l'Italienne lieue ordinaire, où les filles considèrent de se poser en objet cinématographique. chaque occasion de tracer la route vers Sous les apparences les plus diverses, le centre de Rome comme une aventure la motivation est toujours la même : neII est là, le malaise italien. Là, dans ces inédite. rien céder, ne rien offrir, ne rien parta-horizons bouchés, dans ces familles ger. Jeunes filles ou hommes mûrs,éclatées, dans ces solitudes abyssales, Entre ce qu’elles attendent de la vie et ambitieux ou ratés, se saoulantdans ces modèles aussi clinquants que ce qui les attend chez elles, on devine d’espoirs ou résignés, les héros destocs offerts par la télévision, dans ces beaucoup de leur malaise et de leur Amies de cœur sont des êtres fermés,détresses sociales dont tout le monde capacité irréfléchie à s’exalter comme des monstres habituels -quelquefoisdétourne les yeux. Le regard attentif et les adolescentes qu’elles sont. L’éner- séduisants ou touchants- dont la mons-vigilant de Michele Placido est donc gie que déploie Claudia afin de truosité principale est peut-être bien,d’autant plus précieux lorsqu’il s’attarde s’envoyer en l’air avec tout ce qui au-delà des larmes ou des remords,sur ces situations quotidiennes et misé- bouge pour y arriver, hommes et dans cette incapacité brutale à faire lerables, sur ces destins infimes peuplés femmes, jeunes et vieux, est semblable bonheur des autres aux dépens de leurde rêves de paillettes et de minables à la rage rentrée de Simona, incapable confort propre. En se réservant le rôleréalités. Devant sa caméra, les amies de s’épanouir sous le joug paternel. impressionnant du père amoureux etde cœur sont trois, trois gamines de Quant à Morena, c’est la plus raison- indigne, Michele Placido ne s’est pasbanlieue tentant de s’en sortir du mieux nable du lot, celle qui comprend les offert la part la plus facile de son film :possible, parant les coups à grand ren- excès de l’une et le malheur de l’autre dans une scène d’une puissance drama-fort de sourires et de rires forcés, sans les juger. tique rare, il fait en effet l'aveu buté demimant déjà les femmes, qui à la télé, ses véritables relations avec sa fille àqui à l’hôpital, qui en maîtresse de mai- Ce couvercle qu’aucune des trois ne l'ami de celle-ci. On sent là un mondeson. Morena, Claudia, Sabrina : pas parvient à faire sauter rendrait les basculer, une immobilité des êtres, unmême un demi-siècle à elles trois et Amies de coeur proprement irrespi- silence lourd s’installer. Et pourtant,déjà le goût amer des désillusions au rables si Michele Placido n’avait réguliè- lorsque cette pesanteur terrible se dis-fond de la bouche. Le cinéma se fait rement recours à la légèreté. On voit sipe, les issues de ce microcosme sontentomologiste ici, précis à retracer le bien que la petite Simona aime son toujours bloquées, les possibilités depetit monde étriqué de ses protago- père qui le lui rend trop bien, et que les s’en extraire encore plus réduites. Lenistes, patient et obstiné à en débus- moments qu’ils partagent ne sont pas fiancé - celui qui représentait un tantquer, toujours plus profond, les meurtris- L E F R A N C E SALLE D'ART ET D'ESSAI CLASSÉE RECHERCHE 8, RUE DE LA VALSE 42100 SAINT-ETIENNE RÉPONDEUR : 77.32.71.71 2 77.32.76.96 Fax:[phone]D O C U M E N T S soit peu l’espérance de Sabrina Filmographie I'extérieur, I’ouverture - ayant fui, Sabrina et son père se retrouvent face à face, douleur contre douleur, solitude Pummaro 1990 contre solitude, sang contre sang. Ce ne sont pas des exclus ou des marginaux Le amiche del cuore 1992 flamboyants que filme Placido : juste (Les amies de coeur) des êtres en situation sociale difficile, des banlieusards en déséquilibre affec- tif, relationnel, professionnel et dont la société italienne, claquemurée derrière ses jeux télévisés, les hauts murs de ses villes, ne veut pas entendre parler de peur d’être contaminée. Il est là, Ie malaise italien désigne Placido : dans cette absence de courage des pouvoirs, dans ce défaut de solidarité qui laisse à la traîne une part entière de la popula- tion, ne lui offrant que la prostitution (car est-ce donc autre chose que les prestations à l'écran de Claudia ?), que la drogue et ses artifices ou que le meurtre pour tenter de fuir le sort com- mun. Didier Roth-Bettoni Le Mensuel du Cinéma N° 5 L E F R A N C E SALLE D'ART ET D'ESSAI CLASSÉE RECHERCHE 8, RUE DE LA VALSE 42100 SAINT-ETIENNE RÉPONDEUR : 77.32.71.71 3 77.32.76.96 Fax:[phone]