Partie de campagne
F de Jean Renoir
FICHE FILM
Fiche technique
France - 1936 - 40 mn - N&B
Réalisateur :
Jean Renoir
Scénario :
Jean Renoir, d’après
Guy de Maupassant.
Musique :
Joseph Kosma
Paul Temps, Gabriello et Sylvia Bataille dans Partie de campagne
Résumé CritiqueInterprètes :
Sylvia Bataille
(Henriette)
Jane Marken
En ce dimanche de l’été 1860, M. Dufour, Conçue comme un film court, cette Partie(Juliette Dufour)
en compagnie de sa belle-mère, de sa de campagne est cependant longtemps
Gabriello femme, de sa fille Henriette et de son com- restée inachevée. Deux cartons venant
(Cyprien Dufour) mis Anatole, va passer une journée à la remplacer les scènes manquantes ont enfin
campagne. Tandis que M. Dufour et permis que le film connaisse une exploita-
Jacques Borel
Anatole vont à la pêche, deux «canotiers» tion normale dix ans après sa réalisation.
(Rodolphe) font la cour aux dames. Henriette connaît C’est pourtant l’une des œuvres majeures
une étreinte brève mais passionnée avec de Jean Renoir, qui traduit au mieux sonGeorges Darnoux
l’un d’eux. Les années passent. Henriette à amour de la vie, cette espèce de commu-(Henri)
épousé Anatole. Sur les lieux mêmes de sa nion entre l’homme et la nature. Un rayon
première étreinte, elle retrouve son ancien de soleil, un souffle d’air, un frémissement
amoureux, le temps d’un regard chargé de sur l’eau y ont en effet autant d’importance
regrets. que le regard noyé de larmes de Sylvia
Bataille, que les rires en cascade de Jane
Marken, que la danse faunesque de
Jacques Brunius (alias Jacques Borel). Par
sa simplicité, sa tendresse, sa beauté, sa
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perfection absolue, ce film reste un pur se poursuivre, devrait tourner au grivois, Entretien avec le réalisateur
joyau de l’art cinématographique, procu- nous nous apprêtons à en rire et brus-
rant à chaque vision le même bonheur quement le rire se brise, le monde chavi-
immense allié à la même tristesse infi- re avec le regard de Sylvia Bataille,
nie. I’amour jaillit comme un cri ; le sourire Jean Renoir - Et le mauvais temps,
Claude Bouniq-Mercier ne s’est pas effacé de nos lèvres que les Sylvia ? Vous vous en souvenez, du mau-
Guide des films larmes nous sont aux yeux.» (André vais temps ? Les pluies qui nous dégrin-
Bazin, Cahiers du cinéma n°8) golaient dessus, qui arrêtaient tout
Cette scène résume bien la structure et notre travail... Et on a dû tout changer.
le climat du film : la comédie sans cesse
s’y dissout dans l’émotion : émotion Sylvia Bataille - Vous vous souvenez,
Jean Renoir (...) conçut un petit film, devant la nature, émotion des sens, vous avez dit : «Il pleut. Eh bien, il pleu-
genre nouvelle cinémotographique, qui émotion sentimentale, il est vain de vra».
devait durer environ trois quarts d’heure. considérer le film comme un court- Jean Renoir - Il a plu dans le film, et
Jean Renoir adapta lui-même ce film de métrage ou comme un film «pictural» alors, là, je bénis... je bénis mon neveu,
la nouvelle de Guy de Maupassant (...). Il (encore que trois tableaux au moins Claude, l’opérateur, parce que vraiment
en écrivit lui-même les dialogues. En d’Auguste Renoir s’y reconstituent il nous a aidés à capter cette pluie, à
1937, Jean Renoir commença la réalisa- devant nos yeux : «La Grenouillère», «La faire quelque chose avec. Je crois,
tion des extérieurs qui constituaient la Balançoire», «Le déjeuner des cano- d’ailleurs , que sans cette pluie le film
majeure partie de son film. La réalisa- tiers»), vain aussi de dire qu’il n’est pas ne serait pas ce qu’il est.
tion du film, une fois les extérieurs ter- terminé. Les problèmes qu’il a posés à
minés, fut interrompue ; Jean Renoir divers stades, les hésitations devant son S. B. Et je crois que vous avez improvisé
devait tourner alors : La grande illu- métrage définitif, le long temps écoulé des répliques pour le mauvais temps.
sion. Il pensait terminer par la suite le entre son tournage et sa sortie, la perte J. R. Oui, bien sûr.
film inachevé. C’est alors qu’éclata la du premier montage de Renoir dérobé
guerre de 1939. Pendant l’occupation, par les Allemands, I’absence de l’auteur S. B. «Attention, il va y avoir de l’orage !»
les nazis détruisirent le premier monta- lors du second montage, le plan d’exté- C’était une improvisation, ça ?
ge de Une partie de campagne. Le rieur non tourné remplacé par un carton, J. R. Ah oui. Et puis même on a changé
négatif fut sauvé par un Français qui le le non tournage total des scènes en stu- tout le dialogue... On a constamment
rendit, après la Libération au producteur dio (la boutique), tout cela finalement ne improvisé le texte et la pluie nous pous-
du film : Pierre Braunberger. Jean Renoir joue aucun rôle. Sans que son réalisa- sait à improviser. Je crois que, sans la
était alors en Amérique. Il ne pouvait teur ni son producteur le sachent sur le pluie, la fin du film n’aurait pas un cer-
être question de lui faire terminer son moment Une partie de campagne tain côté tragique, qui, finalement, est
œuvre. On reprit donc le premier monta- était terminé le jour de l’involontaire devenu l’essence du film. On ne s’aper-
ge auquel il ne manquait que quelques dernier tour de manivelle. Il n’y manque çoit de ce que les choses signifient,
scènes d’intérieur qui furent remplacées pas un mètre. notamment les films, que lorsqu’on les a
par deux sous-titres... C’est un dialogue amoureux entre Jean faites. C’est longtemps, longtemps
Laurent Chevallier Renoir et la nature, conversation tantôt après avoir fait La partie de cam-
L’animateur culturel n°22 badine, tantôt sérieuse et à laquelle pagne, que je me suis aperçu de ce que
Maupassant n’assiste qu’en spectateur. ça voulait dire.
La nature rend bien à Jean Renoir
l’amour qu’il lui porte : au cours d’une S. B. C’est vrai ?
longue scène entre la mère et la fille où J. R. Ah oui. Et ce que ça voulait dire, je
elles parlent du printemps (« ... une crois que c’est exprimé dans votre gros
«L’une des plus belles images de sorte de désir vague ») un papillon ne plan, à la fin. Ce gros plan, c’est peut-
l’œuvre de Renoir et de tout le cinéma cesse de voltiger de l’une à I’autre, sort être le meilleur gros plan que j’ai fait
est cet instant dans Une Partie de du champ et y rentre aussitôt. dans ma vie.
campagne où Sylvia Bataille va céder Jacques Doniol Valcroze Nous étions toute une troupe réunie au
aux baisers de Georges Darnoux. Cahiers du cinéma n°78, déc. 1957 bord d’une petite rivière, le Loing, à côté
Commencée sur un ton ironique, de Malesherbes. Et, mon Dieu, nous
comique, presque chargé, I’idylle, pour avions un budget limité. Pierre
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Braunberger était le producteur, mais la pierre avec un marteau, ou, pour un à la fois l’inspiration de Maupassant et
enfin nous savions que c’était une pro- peintre, d’obtenir les rapports qu’il y a celle de son père), La Marseillaise
duction avec laquelle il ne fallait pas entre un bleu et un rouge, et d’exprimer (exaltation un peu manichéenne, mais
exagérer les dépenses. Et je savais que un petit morceau d’éternité avec ce rap- bien filmée, de la Révolution), La bête
si je ne trouvais pas quelque chose pour port, n’est-ce pas : c’est pendant qu’on humaine (superbe adaptation de Zola)
répondre à la menace du mauvais le fait que ça compte. Après ça, mon et surtout les deux œuvres maîtresses
temps, eh bien, on ne pourrait finir le Dieu, les gens disent «c’est bien» ou de Renoir, La grande illusion, film
film. Il le fallait... «c’est mal» . Et bien, tant pis... ça les regar- pacifiste qui montrait également com-
J’ai très rapidement adapté mes scènes de. ment les affinités de classe se nouent
à la pluie. J’ai même profité de la pluie Propos recueillis par Sylvia Bataille par-dessus les différences nationales
directement. J’étais dans l’aviation Cinéma n° 117, juin 1967 (les liens entre l’aristocrate français
autrefois ; alors, I’avion m’a appris à Pierre Fresnay et le hobereau allemand
regarder le ciel et à deviner un peu joué par Stroheim) et La règle du jeu,
quand il va pleuvoir, quand il va faire œuvre prophétique, comparable à ce
mauvais. Alors, je surveillais les nuages que fut à la veille de la Révolution, Le
et, quand je voyais qu’un gros nuage mariage de Figaro.de Beaumarchais.Le réalisateur
arrivait et allait crever, on mettait les Bien des scènes de La règle du jeu
caméras en branle et on pouvait avoir sont devenues classiques : la danse
cette chose délicieuse qui est le com- macabre, la partie de chasse. La guerre
mencement, le départ de la pluie sur surprit Renoir en Italie où il se préparaitDeuxième fils du peintre Auguste Renoir
une rivière. C’est très agréable et très à tourner La Tosca qui fut achevé paret frère de l’acteur Pierre Renoir, il
joli. Carl Koch. Il se réfugia aux Etats-Unis oùdécouvrit le cinéma en 1902 avec Les
Mais je pense que tout ceci n’était pas il acquit la nationalité américaine (sonaventures d‘Auto-Maboul puis ce fut
calculé. Enfin, si mes souvenirs sont grand-père maternel avait été I’un desle choc causé par Les mystères de
exacts, c’était tout simplement la joie de fondateurs du Dakota). A Hollywood, ilNew York de Gasnier et les Charlot.
profiter des beautés naturelles... Je le se heurta à de sérieuses difficultés. NiPourtant, après avoir fait la guerre dans
répète tout cela était inconscient. Ça son film de propagande, This Land Isl’aviation, ce n’est qu’en 1923 que
venait comme ça venait. Dans tout mon Mine avec Charles Laughton, ni sonRenoir abandonne la céramique pour le
travail, et cela depuis que j’ai commen- adaptation du Journal d’une femmecinéma. Son premier film est La fille de
cé, j’ai toujours essayé de faire des de chambre malgré Paulette Goddard,l’eau que joue sa propre épouse
films parce que ça m’amusait, mon prin- ni son Homme du Sud dont les pro-Catherine Hessl