Rencontres Virtuelles

Marie-Christine L'Heureux

Description

petite réflexion sur les sites de rencontres

Informations

• Publié par: Marie-christine.LHeureux
• Publié le: 12 octobre 2013
• Nombre de lectures: 147
• Licence : Tous droits réservés
• Langue: Français

Extrait

 RENCONTRES VIRTUELLES   

  J'avance mes doigts, fébrile, sur le clavier. Je tape, au kilomètre, une présentation que je connais par cœur, à force. Et en même temps, je me dis que ça ne servira, une fois de plus, à rien.   Personne ne répond jamais à ce qu'on écrit, personne ne se retrouve vraiment dans ce qui est inscrit. C'est juste une idée comme ça, qu'on nous a glissé à l'oreille: vas-y, qui ne tente rien n'a rien, on ne sait jamais, il ne suffit que d'une fois...   Tu parles !! S'il ne s'était agit que d'une fois !! Mais non, ce sont des dizaines, des centaines de fois dont il est question. Des centaines de dialogues plus ou moins construits, d'échanges artificiels, histoire de se dire que l'on est là, bien vivant, et que l'on veut encore vivre, mais pas tout seul...   Mais est-ce que l'on veut vraiment ne plus vivre seul? Est-ce qu'onn’est pas juste en train de se dire que ce serait bien, oui, dans l'avenir, mais pas maintenant, on n'est pas prêt. Mais on ne peut pas dire ça. Si l'on est là, pour être crédible, il faut chercher du sérieux, du durable, du définitif. Alors on se présente bien, on raconte des tas de choses, ou on ne dit presque rien, attendant que l'autre avance vers nous. On est là, pathétique, à parcourir dans tous les sens ces listes interminables de personnes aussi pathétiques et soi-disant seules que nous.   Parfois, au détour d'un message ou d'une photo, se noue quelque chose de fugace, d'indicible, de virtuel. Impossible de mettre des mots concrets sur ces échanges insolites.

Parfois encore, l'on va plus loin, et l'on parle. Pas avec un clavier, avec des mots dit à voix haute, dans un engin moins moderne que l'ordinateur, mais tout aussi distant. On a alors l'impression d'être tout près, de pouvoir tout dire, tout savoir. C'est magique, on s'est parlé !! Alors forcément on va se voir, et tout ce que l'on se sera dit, on le retrouvera là, en face, c'est évident!!   Mais si c'était si évident que ça, ça se saurait, non? Si ces impressions positives qui se sont dégagées étaient réelles et fondées, pas de doute, on ne serait pas aussi nombreux, pathétiques et célibataires, à parcourir désespérément (ou non) les pages à la recherche de LA personne fatalement introuvable mais à laquelle on croit toujours. L'espoir fait vivre...   Certains sont morts, parait-il, devant leur écran, les yeux épuisés de chercher à décrypter, au milieu des textes et des photos, le vrai et le caché. D'autres ont capitulé devant tant d'impossibilités. A quoi bon!! Après tout, nos grands-parents se débrouillaient très bien par eux-mêmes, alors pourquoi pas nous? Oui mais nos grands parents ne sont plus là ou s'ils y sont encore, ne s'y retrouvent plus. Le bal du village n'a plus lieu, même pas au 14 juillet, les collègues de bureau sont tous mariés ou pas volontaires pour le devenir, nos voisins sont nos voisins, ils nous entendent passer l'aspirateur et tirer la chasse d'eau, et les amis des cousins du grand oncle sont au bout du monde.... Personne autour, alors nous allons chercher là, au pays des comptes de faits, ce qui ne pourra de toute façon jamais nous arriver chez nous. Et l'angoisse monte de ne pas trouver. Comment est-ce possible, au milieu de tant de personnes, de ne pas en trouver au moins une! Et si, en fin de compte, rien ne remplaçait les bonnes vieilles méthodes de nos grands parents?   Alors, après l'étape de l'échange verbal distant, vient parfois l'envie de l'échange visuel proche. Et là, tout est à refaire. Même pire, il faut faire encore mieux qu'avant. La pression monte, l'enjeu paraît énorme, on s'angoisse, on respire mal, on tremble. On se sent être un comédien sur le point d'entrer

en scène dans LE rôle de sa vie...On est près à défaillir. Et soudain tout retombe. Bon sang!! On s'est angoissé pour ça!! Ce n'était vraiment pas la peine! On discute, on papote, on épuise tous les sujets possibles et apparemment accessibles à l'autre, on redoute le moment où l'on se retrouvera à parler du temps qu'il fait, du temps qui passe, et oh mon Dieu!! Il est tard, il faut que j'y aille !! J'ai mes enfants à récupérer, mon chat à faire manger, les courses à faire, des tonnes de boulot en retard...   On se quitte en se disant qu'on s'appelle le lendemain, qu'on se revoit, c'est sur, qu'on se téléphone... Et puis on retourne dans sa vraie vie, et dans ses espoirs, passés, présents ou à venir, qu'importe. C'était bien mais pas parfait. Ce sera mieux la prochaine fois, mais avec une autre personne. On se promet qu'à l'avenir, on y regardera de plus près, on ne s'emballera pas aux premières connivences apparentes, on fera attention...   A qui appartient la solution? Qui a la bonne réponse à la bonne question? Personne ne répond jamais à nos attentes, toujours plus nombreuses et étroites. La gamme se resserre avec le temps, et avec elle les chances de voir un jour bouger les choses.   Je ne veux pas finir aveugle et arthritique des mains, la voix cassée à force de parler au loin à des sourds inconsciemment persuadés que l'autre qu'il cherche n'existe pas, et du coup décidés à tout tester, tout essayer, surtout pour un soir. Mais est-ce raisonnable de penser que c'est possible?